Frédéric Pélassy, Institut Goethe, 27 juin 2017

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Frédéric Pélassy par Rozenn Douerin

Jadis, nous avions abordé un grand tabou : peut-on écouter de la musique contemporaine sans être un expertologue ni un pur snobisticien ? Aujourd’hui, grâce au dernier concert organisé par l’Institut Goethe et François Segré dans le cadre de la série « Classiques en suite », répondons à une nouvelle question interdite : un récital QUE de violon, c’est pas chiant ? Ce sera bref. Deux mots suffiront – ben non. Ça n’enlève pas nos questions, du type : pourquoi ça coûte pas moins cher de goûter, live ou en disque, un soliste plutôt qu’un orchestre de deux cents personnes environ – sera-ce que la part de l’artiste dans un budget est négligeable ? Chaque mystère en son temps.
Donc, ce mardi 27 juin, dans un auditorium quasi comble, c’était violon solo avec
Frédéric Pélassy dans un programme de concours, avec Bach, Ysaÿe et Prokofiev en ligne de mire. Même si l’on n’est pas certain que, en termes de notoriété, l’invité du jour soit « l’un des artistes français les plus reconnus », comme l’affirme son site, l’on a hâte de le découvrir. D’une part parce qu’il a choisi un programme de malade mental gravement atteint ; d’autre part parce qu’il s’intègre à une série des plus spectaculaires : chaque mois, de septembre à juin, un auditorium comble vient applaudir un virtuose ou un petit ensemble de musique de chambre ayant enregistré un disque pour la galaxie Socadisc et rappelant que l’art classique ne s’arrête pas à Martha Argerich ou aux frères Capuçon. Comme une bonne idée en appelle souvent d’autres, ces programmes – oscillant autour d’une « bonne heure », durée idéale pour mélomanes et curieux – sont accessibles pour un prix de 5 ou 10 €, et suivis d’un verre et de quelques grignottages offerts par les organisateurs.
Prima la musica cependant. Le petit mot de la patronne (dans une étrange robe peut-être trop moulante) (non, définitivement trop moulante) de l’Institut Goethe évacué, la présentation de François Segré annoncée avec la menace d’un bouleversement du programme qui créera du suspense à défaut de se révéler très effective, l’heure du crime joyeux était arrivée par l’intermédiaire de la grande Chaconne de la deuxième partita de Johann Sebastian Bach. Avec une audace bienvenue, Frédéric Pélassy refuse d’y lisser le patchwork que constitue cette œuvre (une pièce quasi techno puisque, chaconne oblige, elle reprend un même enchaînement harmonique tout du long, en l’espèce pendant un quart d’heure). Le virtuose caractérise donc des mouvements, enflammant au besoin les doubles de la première séquence avant de passer à une nouvelle série d’enchaînements. La force de l’artiste, très concentré, tient dans le maintien d’une énergie qui subsume les questions de tempo. En musicien expérimenté, l’interprète, avec autorité, suggère à l’auditeur la cohérence d’une œuvre qui avance par séquences unies par une même virulence subtile.

Jardins de l’institut Goethe par Rozenn Douerin.

La Quatrième sonate d’Eugène Ysaÿe, articulée en trois mouvements, contraste avec l’œuvre précédente. Même si l’interprète précise combien Ysaÿe souhaite se placer dans les pas de JSB, l’exigence virtuose de la pièce en trois mouvements détone avec une chaconne redoutable mais qui n’érigeait pas l’acrobatique en critère de qualité. Ce qui est séduisant, dans ce que Frédéric Pélassy donne à entendre, c’est cette capacité à laisser croire que ces démanchés, ces doubles cordes (a minima), ces contrastes de nuances, ces déchaînements de notes n’ont qu’un but : faire de la musique, donc susciter des émotions. Le résultat est convaincant et se prolonge curieusement avec la Sonate pour violon seul de Sergueï Prokofiev, où l’art du récital laisse la place au sens du détail. Ce quart d’heure de musique fait chanter l’art polyphonique d’un instrument souvent caricaturé comme bonne à tout faire des orchestres ou mélodiste survitaminé des concertos dont il est la danseuse. Ici, rigueur, exigence, aisance dans l’extraordinaire et facilité à laisser chanter mélodies et réponses en dépit des difficultés techniques captent l’ouïe des zozoditeurs.
Après ce haut fait, la Troisième sonate d’Ysaÿe tente, en un mouvement, de synthétiser les prouesses entendues jusque-là. Avec un art consommé, la conduite du chant module dans diverses humeurs où doigts et poignet de l’instrumentiste sont mis à rude épreuve, sans ébranler la sérénité de Frédéric Pélassy. Le Prélude de la troisième partita de Bach, quasi enchaîné, offre un p’tit bonbon pour feindre de conclure le récital sur une douceur qui exige précision et engagement afin de tenir l’auditoire en haleine après ce détour dans une musique plus récente où seuls les fins connaisseurs pointeront les emprunts bachiens structurant tel ou tel passage. Un florilège d’encores où fugue et caprice se répondent achève de sidérer, ce qui est bien mais technique, et de séduire, ce qui est subjectif mais tout aussi impressionnant, l’auditoire.
On peut certes lister quelques points négatifs typiques du concert classique : l’utilisation, pour l’affiche, d’une photo surannée de l’artiste, amusante mais réduisant le musicien au brillant premier de la classe que remarqua Yehudi Menuhin lorsque l’interprète du soir avait douze ans, topos qu’il n’est plus (seulement) à quarante-cinq ans sonnés ; la très regrettable souplesse des rganizateurs laissant filmer sur portable chaque début de morceau ou mouvement par un gros connard de chauve, suscitant la déconcentration des spectateurs ; et l’indélicatesse des vieilles demeurées donnant leur avis sur une œuvre tandis que s’escrime le violonisss devant elles, vieilles connes à qui il faut plus qu’un regard pour qu’elles ferment leurs grandes gueules. Ajoutons une suggestion en vue de la prochaine saison. Sur les programmes gracieusement offerts pour le prix d’une entrée, préciser le nombre de mouvements pour chaque œuvre, afin d’éviter les applaudissements intempestifs des naïfs qui croient être libérés après un mouvement alors que restent 10’ de musique, sots.
Si le concept vous met en éveil, tenez-vous prêts : prochain concert le 19 septembre, 20 h… et c’est vite plein !