David Hockney, Rétrospective des 80 ans, Centre Georges-Pompidou, 19 octobre 2017

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Vichy – Le Parc des Sources, 1970 (détail). Photo : Josée Novicz.

Exposition vedette (plusieurs heures d’attente si tu n’as pas d’ami handicapé), la rétrospective David Hockney, qui se tient au Centre Georges-Pompidou pour encore quelques jours, propose de plonger dans le kaléidoscope produit par le peintre anglo-californien octogénaire.
Suivant une chrono-logique, elle présente donc, dans une première partie, des œuvres de jeunesse, presque sages mais déjà colorées, des portraits gravés tantôt réalistes tantôt libres, puis des œuvres rageusement abstraites, manières d’introduction à ce qui fit la renommée de la star : les paysages avec piscine et, souvent, cul de garçon nu (les textes officiels ne parlent pas d’homosexualité mais d’« hédonisme californien » et d’« ode à la liberté », ô euphémisme quand tu nous tiens, comme est heureuse notre barbichette, bref). Les tableaux semblent s’amuser des exigences de savoir-faire : sous des dehors brillants et chic, évoquant la maîtrise hautaine et ironique d’un Voutch, se cache un souci permanent de glisser le sale à l’intérieur du beau, l’imperfection au sein du rigoureux, le cochon derrière le brillant, la couleur insolente en réponse aux teintes vraisemblables. C’est çà une coulure, là une rupture de perspective, ailleurs des taches cracra, un peu plus loin des traits de crayon non effacés, un raccord maladroit, un trait inégal, une toile inachevée… Comme si l’artiste s’amusait de cette notion d’art qui surgit quand la maîtrise technique se troue, sciemment ou pas, cette fausse désinvolture, assise sur une technique et une culture picturales patentes, interroge la notion de représentation, de réalisme donc de réalité mieux qu’une toile plus sage ne l’aurait fait. Sur l’ensemble de la visite, le mélange des options esthétiques – réalisme, cubisme, onirisme, abstrait, graff sur le mur final – dans une même œuvre ou sur un même mur saisit, surprend et nourrit l’intérêt de l’exposition.

Pool and Steps, 1971 (détail). Photo : Josée Novicz.

La deuxième partie fait éclater la notion de peinture au profit d’une profusion de stratégies esthétiques. La technique des joiners (ces œuvres assemblées pour former un tout, homogène ou hétéroclite) s’applique aussi bien à la peinture – acrylique en général, huile rarement – qu’aux Polaroïd, aux papiers teints et à l’image vidéo (installation vidéo saisonnière incluse, les quatre murs de Four Seasons reproduisant le même panoramique avant sur une même route à quatre saisons différentes). Après les célèbres tableaux chlorés, le deuxième clou du spectacle est alors l’immense Bigger Trees, qui happe le visiteur dans une saisissante paroi, où nature jointoyante, route et petites bâtisses humaines déclinent trois thèmes picturaux chers à David Hockney sur cinquante tableaux associés avec plus ou moins de précision. Pour partie, cette évidence ambitieuse et polymorphe de l’image « réaliste », parfois narrative, souvent mise à mal par une dissonance ou des décalages (ainsi des remarquables tables en verre, pourtant jamais respectueuses de la perspective), constitue à la fois l’attractivité du peintre et sa singularité. Néanmoins, elle ne permet pas de les résumer, d’autant que l’exposition souligne l’amplitude d’un projet où chacun peut entendre résonner des références qui lui sont propres par écho formel (Picasso affleure parfois), colorique (couleurs entre Matisse, Magritte et Miró), créatif (Rothko), par l’insertion d’œuvres collées sur la peinture, par le décalque de scènes typiques déjà peintes par d’autres, par la recréation de tableaux connus, etc.

A Large Diver, 1978 (détail). Photo : Josée Novicz.

La dernière partie de l’exposition, centrée sur les œuvres plus récentes, se révèle assez décevante, peut-être parce que, trop documentée sur une courte période (trop de tableaux d’une même veine ?). De fait, elle semble décliner un seul motif – en l’espèce une terrasse bleue, avec ou sans l’intérieur qui va avec. Plane alors une impression de répétition, de ressassement, de remise sur le chantier, qui peut évoquer, certes, un recentrage obsessionnel par contraste avec la variété des pièces précédentes, mais aussi une mise en scène du choix de perspective (l’artiste cherchant à ouvrir les possibles que referme d’ordinaire un tableau), une interrogation de la question d’unicité d’un tableau (qu’est-ce qui différencie un style ou une peinture : un sujet, un choix de couleur, d’angle, de technique, de disruption ?), ou la formalisation d’un travail réflexif d’ordinaire caché (l’artiste aurait alors refusé de trancher sur la “meilleure” manière de saisir un lieu ou un instant, chaque œuvre apportant un regard spécifique sur un aménagement identique). Avouons-le : pour celui qui n’est pas spécialiste, le plaisir de goûter des couleurs riches et pleines, fût-il associé à une réflexion sur le pourquoi de cette déclinaison au quasi identique, ne suffit pas toujours à soutenir l’intérêt, surtout après la variété des formes d’expression précédentes.

Nichols Canyon, 1980 (avant Google Maps, détail). Photo : Josée Novicz.

Reste une exposition riche et puissante, où l’on regrette un éclairage pas toujours adapté (reflets sur les vernis, par exemple) et où l’on s’amuse de la bêtise d’un Centre Pompidou qui interdit les photos même sans flash dans certaines salles mais pas partout, au bon vouloir des « gardiens ». Heureusement, cette attitude stupide, discrétionnaire et rétrograde n’enlève rien au plaisir de découvrir, en inculte de bonne volonté, une œuvre saisissante.