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Nina Minasyan (Oscar), Piero Pretti (Riccardo), Sondra Radvanovsky (Amelia) et Simone Piazzola (Renato). Photo : BF.

L’histoire

Le comte Riccardo (Piero Pretti), après avoir fait des misères à de nombreux sujets, est menacé par un complot. Cependant, sa vraie préoccupation est de conclure avec Amelia (Sondra Radvanovsky), hélas femme de Renato (Simone Piazzola), son meilleur allié [acte I, 1 h]. Sur les conseils d’Ulrica (Varduhi Abrahamyan), une sorcière entourée de négresses – si, dans le contexte, le terme est pertinent pour évoquer des figurantes à peau sombre traitées comme des esclaves et parfois pas très vêtues du haut –, la nénette part chercher une plante pour ne plus penser au comte qu’elle aimerait s’envoyer en dépit du contrat conjugal. Le comte la rejoint. Renato débaroule pour lui signaler que des méchants arrivent. Il découvre le pot-aux-roses et tout le monde se gausse du cocu putatif [acte II, 30′ puis entracte]. Renato fulmine, tu m’étonnes. Pour se venger, il pense buter sa femme puis décide de rejoindre les méchants pour éliminer le comte – en l’espèce Tom (Thomas Dear) et Samuel (Marko Mimica). Lors du bal masqué organisé le soir même, le mari jaloux repère le comte sous son déguisement grâce à Oscar (Nina Minasyan, ancienne Lucia) et le poignarde. Avant de périr longuement, Monsieur le comte lui pardonne, ouf [acte III, 1 h].

Le constat

Une fois de plus, deux artistes français seulement se glissent dans la distribution – le chef Bertrand de Billy et Vincent Morell dans le minirôle de Giudice. Le reste est non pas arménien (signora Martina Biagini nous stipule qu’Ulrica a fait ses études à Erevan mais est Française, dont acte), canadien, russe, anglais et coréen, voire d’origine monégasque (Thomas Dear revendique sa nationalité française). En soi, ça n’aurait rien de scandaleux si l’État français ne subventionnait pas autant cette institution. Après tout, depuis le film de Jean-Stéphane Bron, la structure utilise sans cesse Mikhail Timoshenko : pourquoi ne pas faire profiter un Français de cet art de la formation ? Ne pas se servir de Bastille ou de Garnier, qui coûte si cher aux contribuables, afin de permettre aux nationaux de s’aguerrir ou de briller est une gabegie culturelle que nous tenons à dénoncer, na.

Le spectacle

Loin des mises en scène extravagantes avec soldats nazis s’enculant pendant Aida, garçons en tutus ou cosmonautes souillant Puccini dans une mégaboîte en carton (on synthétise à peine), la régie de Gilbert Deflo reprise cette saison fait le minimum. Les décors de William Orlandi sont réduits à un élément symbolique (quatre, pour les quatre lieux différents) : un amphithéâtre pour le palais, un hémicycle pour la maison de Renato, un portique pour “le lieu de mort” où se trouve la plante magique, etc. Rien de répulsif, mais ce niveau d’épure sent d’autant plus le travail bâclé que, de mise en scène, point. Les personnages s’ennuient, ne savent que faire de leur corps et de leurs déplacements. Pour mimer l’émotion, ils s’appuient contre un élément scénique et le caressent. Quand ils ne savent plus comment s’occuper parce que c’est pas eux qui chantent, ils s’endorment – ainsi de Renato pendant l’air déchirant où la mère réclame de voir son fils avant d’être trucidée par son époux. C’est affligeant, d’autant que cette absence de densité dramatique impacte, inévitablement, la portée de l’œuvre.

Reflets de masque sur la scène de Bastille. Photo : BF.

La musique

Trois choses.
D’abord, Un ballo in maschera est l’un des opéras de Giuseppe Verdi les plus plaisants à écouter. Si la finesse d’accompagnement ne rend pas toujours raison du talent du compositeur, la multiplicité des scènes, la foule d’airs pyrotechniques, l’utilisation d’ensembles efficaces et variés, la structuration nette en cinq tableaux réguliers et lisibles, le sens du gimmick et de la mélodie gourmands, tout concourt au plaisir sans fard du spectateur.
Ensuite, entendre ce classique en direct, dans un opéra doté d’un orchestre et d’un chœur du niveau de Bastille, voilà qui renforce le pétillement, même si, parfois, on aimerait, dans notre toute-puissance de spectateur fantasmant, que les contrastes et l’énergie fussent rendus avec plus de vivacité par la bande à de Billy. La tonicité des hommes, la justesse de la phalange et la précision des instrumentistes solistes (clarinette) ou seuls à accompagner (harpe) séduisent.
Enfin, devant la difficulté et la répétition des airs proposés aux premiers rôles, notamment aux II et III, Un bal masqué exige une distribution sans faille. Piero Pretti, qui sait brillamment gérer une voix un peu fatiguée – on la comprend – sur la fin grâce à la volonté et au métier, et Sondra Radvanovsky, qui sera remplacée par Anja Harteros en février (avec augmentation des prix), démontrent sans ambages qu’ils ont l’étoffe, la voix, le souffle et la technique superlatifs indispensables. Dès lors, comment expliquer que ces chanteurs impressionnent, à défaut d’éblouir par la beauté de leur voix, mais émeuvent si peu ? Assurément, la démission de la mise en scène (pas longue à apprendre donc pratique, c’est sûr) et l’absence de travail d’acteur sont fautifs. Face au livret fonctionnel, ridiculement donc plaisamment transposé à Boston pour faire zizir à la censure d’époque, jamais Gilbert Deflo ne commet l’effort de donner du sens à ce mélodrame, par exemple en confrontant l’enthousiasme officiel du peuple et la rage des courtisans qui ont pris cher, sans faute d’orthographe, avec ce tyran vicieux que la pièce présente comme un brave type. Ou en interrogeant cette notion de “pureté” et du récurrent “ciel”, ou en besognant la notion d’Amérique (où, aujourd’hui encore, on déplace les critiques que l’on n’oserait point porter sur la France, par exemple pour dénoncer Trump car l’on ne saurait égratigner notre Saint Cochon de Pharaon Ier de la Pensée Complexe Contre les Fékniouz), ou… Ici, rien. Donc grande performance vocale, et béante déficience d’émotion : sans drame, reste le mélo. Dommage.

La conclusion

Un grand opéra suscitant du plaisir, une interprétation digne inspirant des brava, des chanteurs à la hauteur justifiant les applauses de rigueur, mais pas de frissons. Disons que l’essentiel y était, mais ce qui manquait n’était pas superflu.