Édith Butler et Robert Charlebois, Théâtre de Poissy, 11 avril 2018

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La scène avant la bataille. Y a un peu d’rangement à faire, mais bon.

N’est-il bon bec que de Québec, comme s’en agaçait Anne Sylvestre en interpelant Pauline Julien ? Ce serait oublier qu’il en plut aussi d’Acadie, dont la représentante qui, ici, plut le plus (en partie grâce à Marie-Paule Belle, ainsi qu’elle le rappelle), demeure Édith Butler. Ce 11 avril, elle était réunie avec Robert Charlebois au théâtre de  Poissy.
En présence de complices de l’artiste comme Catherine Lara et Lise Aubut (pourtant annoncée enterrée au détour d’un lapsus), le concert s’ouvre donc par une première partie d’une heure assurée par Édith Butler, plus connue pour son énergie débordante, appuyée sur sa passion pour le folklore, que pour l’ensemble de son répertoire chansonnier. Ce jour-là, elle est annoncée en formation trio, avec Javier Asencio, un pianiste argentin, et la violoniste Andrée-Anne Tremblay dont le nom, contrairement à ceux de maints fouteboleurs français, ne nécessite pas de précision quant à la provenance. Cette formule resserrée est hélas trahie par une bande-son remplaçant la section rythmique. Reconnaissons-le, ici comme pour Michèle Bernard, jadis, au Forum Saint-Germain : quelque admirateur de la chanteuse que nous soyons, payer pour entendre de la musique partiellement en conserve nous hérisse – autant comme musicien syndicaliste que comme spectateur. On nous dira : manque de moyens. Je répondrai : avec un piano, un violon et une chanteuse pouvant guitariser, y avait de quoi réarranger quelques tunes, même sans beaucoup de thune, non ? D’autant que chaque utilisation de ce stratagème, rendant superflu et inaudible le piano, suscite ce soir-là de tristes décalages entre le mp3 et le chant. Les trois tubes remixés par Catherine Lara, « Marie Caissie », « À la claire fontaine » et « Dans les prisons de Nantes » en souffriront ; le bis indispensable, « Paquetville », sera de justesse sauvé par les indications orales d’Andrée-Anne Tremblay alors que l’on se dirigeait de nouveau vers la cata.

Édith Butler et Andrée-Anne Tremblay. Photo : Bertrand Ferrier.

Pour autant, fut-ce un mauvais concert ? Certes non, et pour trois raisons, en sus de notre fanitude.
Première raison, le répertoire est choisi pour plaire puisque, hormis une chanson d’amour, le reste ressortit du folklore énergisé qui fit le succès, mérité, de l’« ethnologue et interprète », ainsi qu’elle se définissait sur Madame Butterfly (Kappa, 2003). Deuxième raison, la violoniste, rock mais précise à souhait, apporte un geyser de pétillements qui colle parfaitement au concept de party, à la fois chéri et honni par la chanteuse pour avoir, parfois, étouffé ses autres facettes. Troisième raison, l’artiste continue d’irradier comme un voyageur immobile. Vêtue avec soin, elle a du souffle, de la voix, du métier, de l’aisance scénique (poupée comprise) et cette distance légèrement ironique qui lui va comme une chapka.

Édith Butler. Photo : Bertrand Ferrier.

Ainsi, à soixante-seize ans, deux cancers au compteur et un téton en moins, la squaw Édith Butler continue d’être une exceptionnelle passeuse de chansons antiques et une formidable distributrice d’énergie souriante, que l’on a hâte de réentendre… débarrassée de ces béquilles consternantes que sont des arrangements lourdauds et l’utilisation d’une bande-son. Pour preuve, si besoin était, “Le grain de mil” en solo était à tomber. Avouons-le, c’est cette simplicité, cette pulsation, cette profondeur qui nous émeuvent encore et toujours, quand le talent, la singularité de la démarche et le savoir-faire s’extraient donc nous extraient de la contingence.

Photo : Bertrand Ferrier

Après demi-heure d’entracte, s’avançait Robert Charlebois, un jeunot au moins au regard de la légende précédente (soixante-quatorze ans, lui, mais quarante et un ans de mariage, ce qui ne se voit guère). Comme à chaque fois que nous l’avons vu, le Montréalais propose un récital de haute volée, appuyé sur une batterie, un contrebassiste-bassiste, un claviériste-pianiste et, curieusement, deux guitaristes – le musicien à jardin semble, pardon pour lui, superflu. L’ouverture, plate, sur « La complainte du phoque en Alaska » pourrait décevoir si l’artiste omettait de s’en expliquer, ce qui la rend formidable : à force que des dames bien mises regrettent qu’il ne chante pas cette chanson (celle qu’elles préfèrent, « et de très, très loin », parmi les trois cents qu’il a écrites), il a décidé de faire tomber de la ouate de phoque dans leurs oreilles… comme s’il avait écrit le tube de Michel Rivard. La suite sera de ce tonneau : qualité de l’interprétation, variété du répertoire, énergie du rockeur et, pour pimenter le tout, entre les chansons, minisketchs toujours percutants et bienvenus.

Photo : Bertrand Ferrier

Bien sûr, comme pour Édith Butler, on a mauvaise conscience d’aller à la fois applaudir un chanteur et rendre visite à un monument, fût-il fort bien conservé. Vient-on saluer un excellent compositeur-interprète, vivant et potentiellement créatif, ou, comme ces consternants gogos payant des centaines d’euros pour s’ennuyer devant la momie aznavourienne, profiter de ses chansons tant-qu’il-est-vivant ? Oui, nous venons entendre l’artiste en espérant découvrir de nouvelles idées stimulantes ; mais pourquoi le nier, niais ? Il y a, assurément, un fort relent muséal devant l’alignement d’autant de tubes formidables : les émouvants « Ordinaire » et « J’veux d’l’amour », l’obligé « Je reviendrai à Montréal », son pendant à huit temps « Québec », l’ironique « Conception »,  le psychédélique « Lindberg » qui échoïse, et pourquoi pô, l’higelinien « Paris – New York », le basiquement hyperpêchu « J’t’aime comme un fou » repris avec une fougue communicative hier soir, etc. Dès lors, dans une set-list hyper efficace, rares sont les raretés. Pour autant, elles existent ! Citons « Les ondes », extrait de Doux sauvage (2003, La Tribu / Universal), le joyeusement archaïsant « Les talons hauts », l’inattendue mise en musique de la scie dite de saint Augustin « le Berbère » (« Je ne suis pas loin, juste passé de l’autre côté”, pfff) et l’inédit « Des livres et moi », collant des titres de romans pour en faire de la musique (« évidemment, pour ceux qui ne savent pas lire, ça va paraître long », stipule astucieusement le cultivé cultivateur).

Robert le rockeur. Photo : Bertrand Ferrier.

Sûr de son fait, porté par un répertoire en béton rose fort soyeux, et poussé par une énergie à décorner Anne Sinclair, célèbre reine des cocus, l’entertainer fait la job (oui, la job car, « chez nous, pour les anglicismes, le féminin l’emporte sur le masculin ; de toute façon, l’égalité des sexes marchera jamais, y en a pas deux de la même longueur »). Malgré des soli un brin systématiques du guitariste au chapeau, on apprécie le savoir-faire du Robert à l’abondante chevelure frisottée, sa vitalité, la qualité de son contrebassiste, la variété du spectacle et la subtilité des sorties de scène inversées (d’abord accompagnateurs puis vedette, et inverse après le bis : c’est du détail, et c’est d’autant plus efficace). Bref, une fois de plus, même si l’artiste avoue tourner pour le pognon « depuis quinze ans » (sortie de son dernier disque d’inédits), fans et nombreux vieux spectateurs venus pour la première fois le plodir sortent bluffés par une performance ébouriffante. Quant à nous, en prime, nous ajoutons, snob, un conseil pour nos lecteurs : ne pas aller voir de concerts de chansons rock dans le théâtre de Poissy. En effet, du milieu du balcon, on subit une sonorisation gravement inadaptée, donnant l’impression à la fois que ça envoie du gros son mais que les baffles sont immensément loin – regret technique qui n’altère qu’à la marge le plaisir procuré par cette soirée inattendue et joliment troussée. C’est dire si les artistes furent bons !

Après le show. Toujours du rangement en perspective, mais bref. Photo : Bertrand Ferrier.

La réponse d’Édith Butler

Cher Bertrand !
Un gros merci pour les commentaires sur le spectacle d’hier, très constructifs et instructifs. J’en prends grandes notes, car je suis d’accord(s) avec tout! Il me manquait 3 musiciens (question de budget ), pas subventionnée. Je le serais si j’étais parmi les ÉMERGENTS! Hélas il y a longtemps que j’ai passé par là! Merci d’avoir pris le temps de venir nous écouter avec autant d’attention. J’apprécie.
Toute mon amitié,
Édith.