Mikołaj Zieleήski, “Rosarium Virginis Mariae”, La Tempesta, Divox

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C’est l’un des stéréotypes les moins faux du monde : les Polonais adorent Marie. En témoigne la publication, chez Divox, d’un disque explorant le répertoire marial (ou assimilé) d’un compositeur polonais peu connu, ayant vécu dans la seconde moitié du seizième siècle.
Bien sûr, ce disque publié en 2018 mais enregistré en 2014, Rosarium Virginis Mariæ par La Tempesta dirigée par Jakub Burzyήski, est un fake. Osons même le qualifier, vu le contexte, de pieux mensonge. En effet, Mikołaj Zielénski n’a jamais écrit un rosaire pour la Vierge Marie. Jamais. Dans une notice assez détaillée, Jakub Burzyήski, le maître d’œuvre fier d’être stylé comme un Cameron Carpenter, dévoile avec un aplomb intéressant les mille et une astuces environ qu’il a déployées pour former ce programme d’une heure, articulé selon trois des quatre mystères (joyeux, douloureux et glorieux). Parmi ces stratégies, citons-en treize – oui, treize. Pourquoi ne se laisserait-on fasciner que par les chiffres ronds, bon sang ?

  • Le choix d’une vingtaine de pièces parmi les 123 contenues dans les deux recueils parus à Venise en 1611 ;
  • la juxtaposition de pièces en fonction des similitudes de tonalité ;
  • la transposition à la quinte ou à la quarte juste ;
  • l’association, en fonction des textes, de pièces en réalité dispersées, afin d’imaginer un oratorio avant même l’apparition du genre ;
  • le tri par l’instrumentation visant à donner une cohérence à chaque section (par ex., pour les mystères douloureux, choix d’œuvres privilégiant les voix, les cornets et les saqueboutes) ;
  • la retitulation évocatrice (la superbe « fantaisie en 2 », plage 8, est ainsi liée, assez arbitrairement semble-t-il, au couronnement d’épines) ;
  • la réécriture de sections pour coller à logique liturgique (dans l’hymne finale, ajout de deux versets sur la même mélodie que le premier, seul réellement écrit par le compositeur, en modifiant notamment l’instrumentarium mais-pas-que) ;
  • l’ajout de ritournelles entre certains versets ;
  • les choix d’instrumentarium, faute d’indications précises (cornets, violons, gambes, saqueboutes, dulcianes et distribution de la basse continue) ;
  • les options de chanteurs (falsettistes et ténors aigus pour les parties supérieures, baryton pour la partie dite « ténor ») ;
  • l’alternance des modules (par ex. a capella puis chœur avec soliste vocal et instruments) afin de réaliser une « partition [globale] plus logique et transparente, ce qui enrichit le son et la couleur de cette musique » ;
  • la diversification des répartitions pour les motets à quatre et cinq voix (solo / luth et orgue de chœur, soliste et instruments, tutti et instruments) ;
  • la « déconstruction » de la composition d’un verset pour ne laisser que deux chanteurs, orgue et luth, pour « recréer une pratique du compositeur » qui, au sein d’un groupe de monodies choisissait d’embellir telle ou telle.


Ces stratégies répondent à un triple désir : reconstitution d’une œuvre sur laquelle toutes les précisions ne sont pas apportées ; lisibilité de ladite reconstitution (cohérence du projet, variété des formes) ; respect d’une certaine tradition musicologique. Nous laisserons les spécialistes s’offusquer de ces manipulations, courantes mais rarement justifiées avec un tel soin, ou de l’utilisation d’un tableau du dix-neuvième siècle en couverture – la relative pauvreté iconographique, incluant la reprise de mêmes photos dans le livret et sur sa dernière page montrant clairement que le projet est plus pensé musicalement que picturalement ! L’idée d’un florilège organisé, complémentaire du désir documentaire d’intégrale portée chez Dux par Stanisław Gałoήski il y a quelques années, paraît tout à fait pertinente pour diffuser une musique qui, toute envoûtante qu’elle fût, avait d’abord une portée fonctionnelle et n’était pas écrite pour une écoute continue.
Aussi les éventuelles critiques d’experts nous paraissent-elles, ici, aussi peu impactantes que les pseudo contrôles antidopage visant les cyclistes professionnels (du dopage), dans la mesure où le résultat, dûment motivé par le chef, est doublement convaincant. D’une part, la musique de Mikołaj Zieleήski témoigne d’une sûreté d’écriture qui dépasse le métier médian des compositeurs de la Renaissance, à travers un spectre de musiques très large (instrumentale, vocale ou les deux ; en petit ou gros effectif) que met en lumière l’unicité thématique. D’autre part, parce que l’interprétation de La Tempesta et des solistes donne à entendre un engagement séduisant tant des instrumentistes que des chanteurs, ingrédient indispensable pour rendre l’énergie de certaines pièces… d’autant que, malgré les efforts de Joanna Popowicz et Antoni Grzymała, l’acoustique de l’église réformée de Varsovie, trop généreuse en réverbération à notre goût, rend souvent indistincte la profusion des tutti.
En conclusion, la beauté de cette musique et l’interprétation attentive (magnifique “Assumpta es Maria” à huit, plage 15, par ex.) valident le travail de La Tempesta et méritent de dissiper le mythe qui associe la musique du seizième siècle à l’ennui. Contrairement au topos cité en ouverture de cette notule, ce stéréotype n’est pas toujours injustifié mais, souvent, si ; et cette musique polonaise du seizième siècle, reconstituée avec soin et respect pour nos petites esgourdes contemporaines, le prouve avec force.