Frédéric Faragorn publie un nouveau roman(, ) Lunerr

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Quand on ne peut pas sauver le monde, peut-on au moins sauver du monde ? C’est la question qu’affronte le héros de Lunerr, le premier roman de Frédéric Faragorn publié à l’école des loisirs (192 p., 14,2 €, soit environ sept centimes la page), sous une originale couverture de couleur dorée.

L’histoire

Le roman (un premier tome, si l’on en croit la fin ouverte) est clairement organisé : il s’articule en trois parties bien distinctes, narrées en sages chapitres par Lunerr en personne.
La première partie raconte, comment sa vie a basculé. Gentil enfant, il est exclu de l’école et mis au ban de la société car il a prononcé un mot tabou, “Ailleurs”. Sa maman, bonne, est chassée par ses employeurs car le fils a commis le blasphème irréparable. Sera-ce la misère ? Point, car un mystérieux vieillard aveugle qui fait hyper peur embauche mère et fils.
La deuxième partie raconte l’expérience professionnelle de Lunerr chez le vieux Ken Werzh. L’inconnu semble à la fois fascinant et répugnant. En tout cas, il cache un étrange secret, qu’il finit par révéler : grâce à des exercices mentaux et physiques, il est devenu une manière d’ascète asexué, capable de s’enfoncer dans le sable à la manière d’un ver afin de soutenir l’aël, l’ange local. Las, il devient vieux. Lunerr acceptera-t-il de l’aider ? Non, le gamin a visiblement trop peur de perdre son sexe. Il s’enfuit. Retour à la case départ : maman sans travail, fiston sans avenir. Alors quoi ?
La troisième partie, la plus brève, montre comment les druides locaux, appelés drouiz (ça change tout), essayent de récupérer Lunerr et de lui faire déballer son savoir. Sauf que le nouvellement cueilleur de fruits (et non de frouiz, bien entendu) refuse se mettre à table. Or, sur ces entrefaites, la fin du monde, plus ou moins annoncée par l’aveugle, s’abat sur Keraël : épidémie, à laquelle succombe la maman – pardon, la mamig – du héros, et tremblement de terre. Alors que plus rien ne le retient à Keraël et qu’il a appris que son père, réputé mort, vivait loin d’ici, Lunerr retrouve sa petite copine avec laquelle il s’était brouillé comme un con, faute de savoir lui dire qu’il l’aime (snif). Dès lors, à la tête d’une bande de loustics, il décide de quitter l’Ici, désormais invivable, pour gagner l’Ailleurs. Le tabou a cédé.

Le bilan

Dans ce livre, Frédéric Faragorn fait du Frédéric Faragorn : ambiance de fantasy basique (même si la découverte de tenues antinucléaires laisse supposer que la suite ne s’en tiendra pas à ce genre), simplicité des personnages, intrigue étique pour être comprise voire anticipée par les jeunes lecteurs. Partant, les critiques que l’on peut lui adresser sont de trois ordres.
La première critique est liée à l’excès de limpidité scénaristique. Quelques surprises n’auraient pas manqué d’épicer la lecture. Des personnages plus fouillés, donc moins prévisibles, on y reviendra, auraient contribué à rendre ce texte plus palpitant sans forcément lui ôter toute lisibilité. Ce nonobstant, même en l’absence de figures vraiment séduisantes, un synopsis moins cousu de corde blanche nous aurait davantage incité à louer ce texte.
La deuxième critique est liée à la difficulté de tenir les deux extrêmes : simplicité et préciosité. Cette dernière, très souvent agaçante, n’est tout simplement pas maîtrisée. Les registres de langue sautent comme un vinyle gondolé, et l’usage du subjonctif imparfait laisse entrevoir un maniement grammatical défaillant : ainsi, p. 125, “bien que tous ces écrits fussent bouleversants, je les accueillais” est correct, mais “il souhaitait que je défasse” devient, par contrecoup, fautif. L’ensemble du texte est à l’avenant : la saturation du verbe “faire” pour “faire simple” côtoie l’insertion de mots surannés, comme “estourbir” ou “badine” explicitée p. 155, et l’introduction d’expressions du narrateur de douze ans comme “il avait instauré cette philosophie de la sédentarité”, guère crédible. L’effet d’étonnement ou de sens qui était peut-être souhaité par l’auteur m’a d’autant moins convaincu que surnagent de ces tentatives de “belle écriture” les répétitions visant à limiter les difficultés de lecture, suppose-t-on (ainsi de “hocher la tête”, 46, 53, 54, 65…, par opposition à “hocha de la tête”, 21), les doubles signes de ponctuation sursignifiants (“?…”), les anglicismes de simplification (nombreux “réaliser” pour “se rendre compte”, présence de “désappointé” pour “déçu”, du I knew he was right, 133, nombreuses questions intérieures orientant le suspense pour le lecteur un peu concon), les brusques pudeurs risibles (“il s’est mal comporté”, 139, euphémisant le soupçon de viol), qui font sonner faux les envolées dans les registres élevés.
La troisième critique est liée à la platitude des personnages principaux, bien qu’elle rende sympathique, par opposition, l’animal de compagnie parlant, le pitwak, dont l’insolence, quelque limitée qu’elle soit, fait du bien. Pour le reste, Lunerr joue au petit saint gnagnagna, qu’on résumera en citant une de ses premières répliques : “Je suis si triste de te causer tant de tracas, mamig, pleurai-je tout bas”, 15. Tout est dit : tant de gnagnagnasserie mérite la mort lente par torture. En tout cas, je ne vois que ça. D’autant que Lunerr est le parfait héros du roman pour  la jeunesse : âge en rapport avec la cible, excellent élève, effacé mais ayant séduit la plus belle fille de l’école alors qu’il n’a aucun argument pour lui, judicieusement distant vis-à-vis des croyances religieuses totalitaires, respectueux des adultes qui le lui rendent bien (“Mamig m’embrasse à son tour les cheveux avec une extrême douceur”, 70, “Ken Werzh me prit la main avec une extrême douceur”, 78, etc.) soucieux de ses parents (“je pris la main de mamig dans la mienne [non, pas avec une extrême douceur] et me jurai à cet instant de ne laisser quiconque mettre en danger nos vies”, 57), prédestiné pour “accomplir de bonnes choses” (71), de parents séparés donc à la recherche du père, etc. Cette perfection le rend schématique, plus destiné à séduire les prescripteurs grâce à sa portée morale qu’à emporter les lecteurs, jeunes ou vieux, dans une aventure soufflante et vaillamment menée.

Le résultat des courses

Avec Lunerr, Frédric Faragorn semble ouvrir une série destinée aux jeunes lecteurs. On peut regretter qu’il n’ait pas étoffé sa science de la lisibilité par une recherche scénaristique (pauvre déroulement sans cliffhanger ni twists, pauvres retrouvailles attendues avec la p’tite chérie à la fin) ou linguistique (pauvre vocabulaire exotique constitué de onze mots seulement sont insérés, c’est soit trop, car visible et peu inventif, soit trop peu, car pas assez nourri et répétitif). Peut-être les prochains tomes lui permettront-ils d’étoffer ce non-lieu et ces personnages, actuellement trop élémentaires pour paraître séduisants.