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On m’avait prévenu : l’orgue de Saint-Augustin, c’est difficile à maîtriser, t’es sûr que tu veux aller écouter Adam Bernadac le toucher alors que la France joue la finale du championnat de handball ? Je déclarai que oui, je voulais. Une fois de sus, sans m’vanter ou presque, j’eus raison, euphémisme.
Après une altercation cordiale (“c’est pas vous qui programmez les concerts de Saint-André ? vous voyez, ici, il fait chaud ! / – Certes, c’est agréable, mais Saint-Augustin, c’est pas les mêmes moyens, et je vois pas le grand écran, bon, laisse, Christian”), je dois avouer que, Adam, je venais le ouïr pour une raison très précise. Si. Après l’avoir entendu en tant qu’étudiant du CRR, j’avions été si impressionné que je l’avions invité à revenir donner un récital rien que tout seul, sous le titre “Adam Bernadac l’exceptionnel”, le 11 juin, pour le Festival Komm, Bach!. C’était donc une manière de tester si je n’en avions pas trop fait au niveau du titre. Ben ouais, on pouvait toujours concocter des affiches ajustées, genre “Adam Bernadac le moyen”. Même que, si ça se trouve, les médiocres auraient préféré.
Le p’tit djeunse ouvre son programme sur les Fantaisie et fugue en Bb d’Alexandre-Pierre-François Boëly. La mise en bouche annonce la signature du zozo : pas d’effet grandiloquent ou de bruitage facile, pourtant pas très compliqué à concocter sur cet orgue. Le mec valorise les notes, la précision et la musique avec une cohérence de briscard roué. Pas d’applaudissements après cette première pièce, mais stupéfaction admirative, à tout le moinsss.
Suit La Prière de César Franck, qui permet de vérifier cette option du non-show-off. En dépit du lourdaud introït de présentation au micro, qui tentera de plomber chaque morceau, la pièce du soi-disant pater seraphicus offre à l’interprète, aspirant compositeur, l’occasion de rendre hommage au Belge le plus Cavaillé-compatible en superlativant sa musique par une dextérité irréprochable et non mise en scène, ce que l’on apprécie, ainsi qu’une science des couleurs organistiques très émouvante.
(Si, “superlativant”, je trouve que ça sonne bien, on dirait une chanson des années 1980-1990 que l’on écoutait sur les gradins, en bord de mer, en disant que c’était fécal.)
Deux pièces de Louis Vierne concluent la première partie. La Toccata démontre une nouvelle fois la capacité étonnante qu’a le zozolibrius à faire de la musique avec des notes, même quand elles sont beaucoup et visent à fournir un “grand effet”, comme on disait jadis. Le Carillon de Westminster est une joyeuse gourmandise qui exige de l’organiste une concentration sans faille, des doigts et des pieds sûrs, et un subtil sens des nuances pour soutenir l’attention de l’auditoire. C’est certain, le musicien du jour a tout ça. L’enthousiasme du public, même juste avant que l’on réclame “des sous pour l’artiste, des sous”, en est, pour une fois, une heureuse preuve.
Impressionner, même avec l’aide d’un registrateur en feu, virevoltant entre le musicien et les preneurs d’image, ne suffit pourtant pas. On attend l’hurluberlu dans des musiques sérieuses, voire sacrées. Deux pièces d’Olivier Messiaen visent à finir d’époustoufler l’auditoire. Et pourtant, cela se joue sans esbroufe.
“Joie et clarté des corps glorieux” se glisse dans l’harmonie du lieu en associant précision rythmique, science de la registration et maîtrise de l’instrument. Adam Bernadac ne laisse pas seulement l’impression que jouer de l’orgue est facile : à chaque œuvre qu’il joue, il donne une dimension à la fois nécessaire (comme s’il n’avait pu en jouer une autre) et évidente – comme si toute musique était déjà prête à se lover en ronronnant dans l’oreille de chaque auditeur, mélomane ou non. En sus, et c’est sans doute sa qualité que je préfère, il fait fuir, par le seul nom de Messiaen, la dame aux deux gamins mal élevés qui gonflaient tous les zozoditeurs depuis le début du récital. Que demander d’autre (la traduction de Nespresso est un peu lourdaude, mais bon) ?
Avec “Dieu parmi nous”, du mec de la Trinité, l’organiste achève de séduire l’assistance en imposant sa marque : il ne se contente pas de jouer, il laisse respirer l’acoustique pour donner profondeur et chair au mysticisme messiaenique. Quand on connaît la partoche, on suppute ce que cette précision et cette aération exigent de maîtrise pour sonner avec l’impression de liberté et de finesse que donne Adam Bernadac.
Le bis est mérité, et donne l’occasion au gamin de claquer une Toccata de Widor que l’on a rarement entendue (accord du subjonctif médian avec le prédicat placé en tête de structure, donc “entendue », bien sûr) avec autant de clarté et de souci de nuances. En bref, un récital impressionnant d’intelligence, de maîtrise et de musicalité. Et, en plus, le mec “poursuit un master d’écriture au CNSMDP”. Comme si ça ne lui suffisait pas de relativiser la science de nombre de très bons interprètes…
Rendez-vous est donné le 11 juin aux gourmands et aux sceptiques soupçonnant un exercice de lèche-culisme (bien l’genre de la maison, il est vrai), pour un lailleve retransmis sur big screen à Saint-André de l’Europe !