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A priori, tout agace dans Boxe boxe : le projet est fondé sur le fait que la boxe, c’est de la danse parce que “la danse, comme la pratique d’un art martial, nécessite labeur, sueur et efforts non comptés” (la boxe n’est pas un art martial, mais la manutention fonctionne aussi mieux dans la comparaison) ; il vise à « déconstruire les stéréotypes » présentant la boxe comme virile et la danse comme féminine ; le produit, remotivation d’une création de 2010, se présente comme alternatif alors qu’il s’inscrit dans une logique ultrasubventionnée et hypercommerciale – le programme le stipule : « La librairie vous propose le DVD Danse aux poings sur les coulisses de la création du spectacle, le livre Käfig [compagnie de Mourad Merzouki dont le nom “signifie cage en arabe ou en allemand”, non sans rapport avec le ring], 20 ans de danse (Somogy), des CD du quatuor Debussy dont celui des musiques du spectacle ainsi que d’autres produits autour des activités de la compagnie Käfig. » Et pourtant…

Le concept : Mourad Merzouki se fait fort d’articuler trois éléments – premièrement, quelques topoi de la boxe (le ring, le punching-ball, le sac, les pattes d’ours, les gants, les casques – hélas pas les ring girls, une seule danseuse étant convoquée au milieu de sept mâles, comme quoi combattre les clichés ne signifie pas promouvoir la parité) ; deuxièmement, des éléments de langage du hip hop au sens large (acrobaties, pivotation sur la tetê, break dance déstructurant les membres, battles…) ; troisièmement, des bribes de musique classique incarnées par le quatuor Debussy, au casting mouvant mais quand même, sonorisé in situ, mis en espace et sporadiquement bousté par une bande-son signée As’N, basique mais bien troussée. Des gants-marionnettes au combat, en passant par le solo sous le regard des autres danseurs jouant le public avide de sang, l’entraînement au sac de Guillaume Chan Ton, l’ensemble – pas tout à fait synchro – des danseurs devant leur punching-ball, le spectacle s’articule autour de tableaux où les musiciens du quatuor, justes et précis, s’intègrent aux danseurs qui restent reconnaissables car eux n’hésitent pas à faire des folies de leur corps.

Diego Alves dos Santos au théâtre du Rond-Point, le 26 mai 2017.

Le résultat : dans une salle inhabituellement peu remplie (pont de l’Ascension oblige peut-être, à moins que le prix de 40 € pour 1 h 5 joue), chacun interprète son rôle avec professionnalisme. Dans le surdimensionné rôle principal, affublé souvent d’un gros bidon qui ne l’empêche jamais de prouver sa virtuosité, Diego Alves dos Santos remplace avec gourmandise et charisme son prédécesseur Steven Valade à qui le spectacle est dédié (et la mémoire sans doute saluée par une page biographique vide sur le site du théâtre, nous sommes cyber peu de chose). Parti sur des bases plutôt arty, le spectacle s’encanaille petit à petit et vire à la démonstration de hip-hop en s’appuyant sur le décalage avec la bande-son, convaincant parfois, parfois plaqué lors de soli un brin laborieux quand il s’agit de décliner une grammaire qui n’a plus rien à voir avec la boxe. C’est assurément le regret principal que suscite ce produit : oublier petit à petit ce qui était censé constituer sa colonne vertébrale, l’interrogation de la boxe. Comme si la seule façon d’évacuer les clichés consistait à évacuer la boxe…

Miserere yo, bis, feat. Cédric Conchon, violoncelle.

Le bilan : Boxe boxe est un spectacle volontiers bouffe, sciemment fondé sur la performance impressionnante et décidément hors sujet. En effet, in fine, il traite peu de la boxe – sans doute parce que la boxe et la danse ont, en réalité, peu de similitudes (ou alors dans la légèreté de déplacement de l’école cubaine en boxe anglaise ? ou dans l’art de la provocation à la thaïlandaise dans le muay-thai et dans sa déclinaison pour circuits occidentaux ? mais cette culture n’est nullement interrogée ici). Partant, il y a sans doute deux façons dichotomiques de jauger le résultat : quant à la proposition « philosophique » martelée a priori, rapprochant trois éléments disparates pour “faire sens”, les soixante cinq minutes de danse-et-musique-classique-rapportées-à-la-boxe sont décevantes ; quant à l’expérience du spectateur, une fois que l’on a fait la police auprès de l’inconnu d’à côté (arrête de renifler connard j’en peux plus ; rallume encore ton portable et je t’en colle une fils de pute), c’est amusant et étonnant. Moralité : supprimez les entretiens, les notes d’intention et les titres « signifiants ». Ils obligent à être mesuré même quand le spectacle, hors le bis d’une vulgarité débectante, est plutôt pétillant.