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Presque Christoph Knitt. Photo : Josée Novicz.

C’est l’histoire de petits presque-jeunes allemands qui galèrent pour conquérir l’Hexagone. Ils s’appellent quasi énigmatiquement les 4.1, pour quatre musiciens à vent et un pianiste. Ils donnaient leur premier concert hexagonal ce 27 novembre à l’Institut Goethe, en costume et baskets. Nous y folâtrâmes.
Trois pièces au programme. La première est le Quintette en Mi bémol de Ludwig van B. Dans l’acoustique sèche de l’auditorium, la précision millimétrée des musiciens happe d’emblée l’auditeur. Pourtant, pour la petite histoire, Sebastian Schindler, le corniste, est sur la liste du quintette depuis quelques jours seulement et la révélation de la “grave maladie” développée par le titulaire tutélaire. Les tensions bien menées, les accents en commun, la synchronisation sévère n’en animent pas moins le Grave puis l’Allegro ma non troppo liminaire, qui pèse à lui seul la moitié de la composition (partant, un quart d’heure). L’Andante cantabile permet d’apprécier un piano cristallin en dépit des spécificités du Blüthner local. Cela indique d’une part que l’Institut a bien pris en compte les difficultés de justesse soulignées tantôt et explicables par un changement de température non anticipé ; d’autre part, cela indique la maîtrise technique de Thomas Hoppe, accompagnateur de Tabea Zimmermannn, Itzak Perlman ou Joshua Bell – même si affirmer qu’il “est considéré comme l’un des meilleurs pianistes de sa génération” peut, sur le seul fondement du “est considéré”, prêter à sourire. On note le souci qu’a le quintette de restituer le texte musical : comme le grave était grave, l’allegro allègre mais pas trop, l’andante chante comme le stipule le titre du mouvement. Le Rondo “allegretto ma non troppo” permettra derechef d’apprécier le travail d’ensemble qui éclaire avec art les différentes astuces utilisées par LVB pour que sa partoche vibre : soli, ensembles, unissons, accents, variations d’intensité, etc.

Jörg Schneider (hautbois) et Alexander Glücksmann (clarinette). Photo : Josée Novicz.

Après cette première demi-heure, advient le Jerusalem Mix du compositeur “israélo-américain” Avner Dorman. Pièce iconique de 4.1, cette proposition en six mouvements vise, selon l’exposé en français de Jörg Schneider, à illustrer des éclats de vie dans la capitale israélienne. Sur cette base narrative, se déploie une musique néotonale très accessible – dira-t-on : très américaine ? – ce qui n’est pas, alléluia, péjoratif. On y retrouve du swing de bon aloi pour branler du chef, de la variété de climats pour ne se point ennuyer, de la musique descriptive pour coller aux titres à programme (“Mur des lamentations”, “Marche nuptiale”, “Explosion”, “Appel à la prière islamique”…) un soupçon de modernité très tempérée (cordes du piano frappées ou percutées façon cymbalum, souffle sans son pour décrire la vie après le blast), des diversités d’usage de l’ensemble (piano, puis rajout de clarinette et basson, puis développement vers le tutti, etc.). Tout cela est aussi savamment écrit qu’exécuté avec esprit, même si un esprit snob pointerait la sagesse très corsetée du propos, cependant que l’auditeur curieux se réjouirait d’une musique où le savoir-écrire ne s’envase pas dans des dissonances ennuyeuses ni ne se noie dans de pseudo-audaces surannées.
Une brève pause plus tard, demi-heure de musique attend les interprètes à travers le Quintette en Si bémol de Walter Gieseking – une interprétation indicative est disponible sur YouTube, une esquisse de partition est feuilletable ici. La pièce tripolaire s’appuie en première intention sur un Allegro moderato (10′). Comme le laissait prévoir le début du concert, les deux mots sont respectés à la lettre : c’est allègre et c’est modéré. Non que la virtuosité inquiète ces lauréats de concours internationaux, mais bien qu’ils privilégient la musique sur l’esbroufe et la démonstration technique extravertie. Il en faut, néanmoins, de la technique, pour tenir le souffle, pour jouer ensemble, pour se recaler l’air de rien quand de minidécrochages rappellent le plaisir du risque live, pour faire musiquer des guirlandes de notes quand on pianote la partition écrite par un pianiste, bref, pour donner sens à un quintette écrit avec science et bon goût, mais sans les extravagances qui permettent aux bons interprètes de passer pour des génies ébouriffants. Ici, le piano peut se poser, attendre l’éveil susciter par le cor, accueillir ses invités, se détendre, laisser les vents conciliabuler en bavardant puis soutenir des unissons, et ainsi de suite. Cette absence de heurts, cette phobie du show-off vibrent itou dans l’Andante (9′) qui suit. Au bloc piano-cor qui ouvre les débats succède l’apport des instruments exclus. Le discours redistribue peu à peu les cartes sans s’écarter, pfff, du plaisir des unissons. 4.1 habite la composition et l’habille de tensions qu’il veille à restituer de façon fort convaincante. Le Vivace molto scherzando (10′) conclusif sollicite le cor pour sonner le réveil dans ce mouvement clairement dessiné sur une forme ABA. Symbole de l’entente entre les artistes, une minichorégraphie salue le retour du thème festif dont la célérité syncopée sied à ravir aux instrumentistes du soir.

Photo : Josée Novicz

En conclusion, même si l’on aurait peut-être apprécié d’entendre aussi 4.1 dans une composition leur donnant l’occasion d’exprimer avec plus de spontanéité les joyeux petits pétillements qui les secouent à l’évidence, l’association entre des timbres singuliers et une envie commune de donner force et profondeur aux notes donc à l’esprit des œuvres retient et flatte l’attention de l’auditeur. Au long du concert, ces artistes souriants (et certes pas que pendant la Bagatelle offerte en bis), concentrés, musiciens au moins autant que techniciens, séduisent et laissent espérer une plus large exposition du quintette dans l’Hexagone et pas que. Pour les amateurs de la série Classique en suites, signalons que le prochain concert mettra au piano Gaspard Dehaene pour un programme Schubert, Liszt et Bruneau-Boulmier. Rendez-vous avenue d’Iéna le 22 janvier !