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Deborah Voigt en direct du Met. Capture d’écran : Rozenn Douerin.

1.
Une affaire de pipe

Stipulons-le, ceci n’est pas une critique. En effet, impossible d’atteindre l’expertise d’un chantre connu sous le pseudonyme de Franz Muzzano qui permettrait de proposer l’évolution d’une prestation avec microphones et caméra. C’est pourtant le principe de la poule aux œufs d’or du Met : la retransmission worlwide et live des grands opéras, à laquelle nous souscrivons avec gourmandise ce dernier samedi de mars. Nous serons pondérés dans nos opinions musicales d’une part, bon, parce qu’il faut se le jouer, ce gros machin, et d’autre part, la plus grosse, parce que font défaut les éléments objectifs, ou semblant tels, pour jauger :

  • l’équilibre des forces musicales en présence,
  • la qualité de la projection des voix et
  • l’efficacité des nuances.

Derrière un écran, fût-il grand, ces éléments, essentiels pour rendre compte le plus honnêtement possible, d’une prestation, nous paraissent inaccessibles. Néanmoins, cela n’empêche pas de témoigner de cette nouvelle expérience wagnérienne, fomentée à l’occasion de la reprise de la médiocre, quoique très technique nous affirme-t-on, production Lepage.

2.
Une affaire de famille

Manière de synopsis est disponible  ici.
Une autre histoire, hors Jean-Jacques Goldman, est contée .

Entracte au Met backstage. Capture d’écran : Rozenn Douerin.

3.
Une affaire de machine

La mise en scène est bien connue depuis la première édition de ce Ring de Big Apple. En gros, y a vingt-quatre tape-culs qui servent d’escalier (une obsession de marches non harmoniques semble habiter les décorateurs), d’écran pour les indisssspensables projections vidéo (forêt, montagne, peintures rupestres animées pour mimer la poursuite, antiwow au possible), et de chevaux pour les walkyries. Évidemment, il n’y a pas de décor (une table, une chaise, un coffre, wow) et pas de direction d’acteurs. Dès lors, les artistes sont au niveau de leur savoir-faire scénique.
Ainsi, Eva-Maria Westbroek (Sieglinde) doit être désemparée d’être livrée à elle-même, orgasmant quand elle renifle de l’hydromel ou se frottant contre un arbre pour fêter l’arrivée du printemps ; Greer Grimsley (Wotan) semble osciller entre une nature furieusement souriante et un sens de l’incarnation que la troisième acte révèle et qui, mieux aiguillé donc plus constant, ferait de lui, sans nul doute, le Torsten Kerl des basses wagnériennes ; Stuart Skelton (Siegmund) peine à jouer – regard inconstant et difficultés à incarner les multiples facettes de son personnage, en l’espèce :

  • le fier guerrier fils de dieu ;
  • l’amoureux heureux de retrouver sa sœur pour l’engrosser ;
  • le séducteur quasi prêt à refaire sa vie avec Brünnhilde – ce qu’il fera plus tard par fiston interposé ;
  • le mec qui a conscience, comme le commente l’artiste à la première mi-temps, que “everything is going espcially wrong” pour lui (traduction : ça sent le roussi, en attendant la fin du Crépuscule qui fleurera plutôt le cramé, bref).

Christine Goerke (Brünnhilde, au second entracte). Capture d’écran : Rozenn Douerin.

4.
Une affaire de virtuoses

L’exécution paraît orchestralement plutôt dynamique, indispensables fausses notes de cuivres comprises (ces grands musiciens sont donc humains itou), même si la prise de son est, souvent, très perfectible (par ex. survalorisation étonnante de la harpe ou brusques mises en avant de voix comme dans la première scène du III). Certes, telle Walkyrie moins spatiale que d’autres, semble devoir se tortiller pour s’égosiller ; mais les six solistes principaux éblouissent vocalement. En dépit d’une entrée en matière prudente, la Brünnhilde de Christine Goerke, dont on nous explique qu’elle fut huée sur lérézosocio, est excellente, dans les graves, dans les aigus, dans les sautes de tessiture et dans la résistance. Résistant aussi et à l’évidence ravi d’être sur scène pour une telle exposition, le Wotan de Greer Grimsley exprime avec brio son impuissance scénaristique (au sens : c’est le superdieu, or il est impuissant sauf pour niquer tout ce qui bouge, compensation non nulle) et de talent vocal : graves, intentions, technique pour tenir jusqu’au bout du troisième acte, tout y est pour susciter les plus grands brava… autant que l’on en puisse juger par la retransmission.
Günther Groissböck souffre du grand écran qui le montre sans cesse bouche tordue – en dehors de ce tic tactique, la prestation est solide et l’incarnation lève les minces réserves formulées en 2013 notamment quand, comme il l’explique à Debbie, il joue Hunding comme “un mec qui a une vie qui lui convient et ne rêve que d’une chose – regarder la téloche quand il rentre chez lui, pendant que sa nana lui sert une bière”. Son prochain défi l’amènera encore plus loin, avec cette angoisse que l’artiste transforme en humour : “Progresser, c’est comme une drogue, pour nous, chanteurs. Il faut que l’on franchisse des étapes et, à chaque fois que l’on en a l’opportunité, c’est comme un suicide” (Günther, si tu veux faire un entretien, un jour, etc.).
La brève mais imposante Fricka de Jamie Barton est incontestable grâce à son assurance, sa conduite du son et son souffle irréprochable. Le Siegmund de Stuart Skelton, s’il paraît moins joué que ses compères, montre le ténor dans une belle forme vocale, peut-être moins exposé et en meilleure santé que dans un Lohengrin où il nous avait paru, prétentieux que nous sommes, parfois à la peine. Rien à redire vocalement sur la Eva-Maria Westbroek, très à son aise dans l’un de ses rôles fétiches, même si sa difficulté à incarner son personnage au-delà d’une pantomime plus mélo que dramatique peut freiner l’adhésion émotionnelle à sa performance. Ce nonobstant, sa prestation dans le III démontre combien cette grande chanteuse est l’une des références de Sieglinde comme Waltraud Meier a imposé sa marque sur SES rôles à elle.

La machine backstage. Capture d’écran : Bertarnd Ferrier.

5.
Le bilan, calmement

Pour cette grosse retransmission à l’américaine (feat. une ex-Brünnhilde en interviouveuse et vendeuse de soupe pour Bloomberg et Rolex, ça claque), avec applauses sympathiques au début des tubes par les quelques métropolitains présents in situ – nombreuses places vides : vu le prix, tant mieux –, force est d’admettre que la prise de son comme la prise de vue (panique sur quelle Walkyrie va chanter) n’est pas totalement satisfaisante. Le prix exigé aussi au cinéma, incluant l’odeur de nettoyage à la fin du II, est celui de trois séances de cinéma : c’est déconné. Enfin, avouons-le, le troisième acte n’est pas non plus ce que Richard Wagner a écrit de plus concis et dramatique, même s’il permet de montrer, par ce trrrrès long dialogue nunuche entre un papa, ses fifilles et sa chouchoute, la déréliction du concept divin à l’origine de la sombre prophétie d’Erda.
Reste, sur l’ensemble, un déploiement de talents musicaux
convaincants, avec un Philippe Jordan concentré à la baguette, et un résultat vocal aussi brillant – en apparence au moins – que la non-mise en scène est escagassante. En bref, une belle et large après-midi que l’on a hâte de réexpérimenter au plus tard le 5 mai… 2020, et sur le vif autant qu’en direct, cette fois !