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102_7337Symbole d’un Opéra recentré sur les tubes du répertoire, La Bohème, vue ce 15 décembre 2014, approche de sa deux centième représentation sur la plus grande scène lyrique de Paris, dont 116 dans cette mise en scène de Jonathan Miller. Est-ce, en soi, une raison pour bouder ? Pas à mes ouïes. Donc…
L’histoire : quatre colocs dans la gêne (la bohème, pardon) se réjouissent car l’un d’eux vient de gagner de l’argent. Ils décident de s’offrir un bon restau dans le Quartier Latin. Juste avant de partir, Rodolfo le poète (Vittorio Grigolo) reçoit la visite de Mimi (Nicole Cabell), sa voisine dont la bougie n’a plus de feu. Boum, c’est l’amour (tableau I). Voici la troupe de cinq au café Momus, où Marcello (Tassis Christoyannis) recroise une ex, Musetta (Mariangela Sicilia). Celle-ci s’est trouvée un riche benêt, Alcindoro (Francis Dudziak), qui, dupé comme le veut la tradition, se fait voler sa dulcinée et doit régler l’addition de tout le monde (tableau II). Après l’entracte, Mimi se retrouve sous la neige, devant l’hôtel où vivent les quatre hurluberlus. Elle y apprend que Rodolfo l’aime, youpi, mais qu’il veut la quitter car elle va mourir et il ne peut la soulager. Pendant que Marcello et Musetta se houspillent vertement, les deux parisian lovers décident de passer l’hiver ensemble avant de se séparer au printemps (tableau III). Hélas, les affaires ne s’arrangent pas. Les quatre compères dansent leur pauvreté, quand Musetta débaroule avec Mimi, mourante. Ensemble, ils s’arrangent pour que la malade ait un peu de confort (un manchon, son dernier rêve) et un moment avec son mec. Puis, spoiler, elle meurt (tableau IV).
La représentation : dans une ambiance compassée où Jean Harlow côtoie Dubonnet, décor (Dante Ferretti) et mise en scène jouent les utilités façon Amélie Poulain cheap mais cohérent. Encore une fois, en bon bourgeois, on se réjouit de l’absence de soldats nazis et de danseuses de flamenco jouées par des hommes, mais on regrette aussi – et ce n’est pas contradictoire – l’absence d’enjeux de ce qui ressemble à une “mise en espace” indigne d’une scène nationale de cet acabit. En réalité, il semble que le projet de la production soit clairement de créer un spectacle routinier, porté par des équipes de chanteurs interchangeables et résolument non-français – Olivier Ayault, simple sergent des douanes, étant la seule exception. Dès lors, ce spectacle coproduit avec le Teatro Comunale de Florence avance d’un pas mollasson – celui qu’adopte l’Orchestre de l’Opéra sous la baguette planplan de Mark Elder.
Sur le plateau, aucun chanteur n’est dépassé par son rôle car aucun ne semble en avoir un. Les notes sont, globalement, là : Nicole Cabell manque de coffre et d’étoffe mais elle est une Mimi convenable – qui oublie juste qu’elle est tuberculeuse, ce qui est un rien ennuyeux ; Mariangela Sicilia envoie quand il faut mais sa prestation s’arrête à l’effort vocal – rien de scénique dans sa musette ; Vittorio Grigolo est un Rodolfo moins surpuissant que braillard, meuglant son amour avec une poésie proche de la purée de courgettes – et sa pantomime de footeux à la fin confirme son excessive volonté de se conformer au stéréotype du ténor italien qui en fait non pas des caisses mais des conteneurs ; Tassis Christoyannis chante un Marcello plus incarné que ses confrères, sans pour autant pouvoir sauver des ensembles où aucun artiste ne paraît se soucier le moins du monde de ce que chante le collègue.
Dans ces conditions, à quoi bon pointer une maîtrise et des chœurs d’enfants plus criards que chantés, plus piaillés que joués, plus brouillons que vivants ? Ce serait laisser croire que le spectacle est une catastrophe. Or, ce n’est pas le cas. Il est simplement acceptable, mais rendu insipide, anodin, presque mimi, par une absence de direction d’acteurs, une passivité étonnante devant une partition pourtant – souvent – très riche, et une histoire certes mélo, certes caricaturale, certes farcesque à force de “déjà-vu”, mais dramatique. Ne pas être fracassé d’émotion devant le froid censé transir les gaillards (mais tout le monde ôte son manteau et son écharpe en entrant dans la pièce dite glaciale : ça colle pas), lors des duos d’amour (pourquoi cet éclairage surabondant quand sont censées être mortes les chandelles ?), pendant l’adieu au paletot chanté par un certes harmonieusement sobre Ante Jerkunica (qui nous libère un temps, grâces lui soient rendues, des mimiques de MJC dont nous gratifient les autres membres du quatuor), ou durant la longue agonie de Mimi, rappelle combien la dramaturgie manque dans cette représentation.
En conclusion, à l’instar d’une Tosca manquant de chair, La Bohème version Bastille 2015 semble confirmer la moyennite de l’institution. Pourtant, entre les errances façon Aida par Py et les succès assurés à moindres frais comme le spectacle applaudi ce 15 décembre, il y a sans doute une marge pour réinsuffler de l’énergie, de l’émotion, du talent, en somme, là où le savoir-faire certain ne fait pas oublier le manque de personnalité, d’investissement ou de brio des artistes, donc d’émotion du spectateur.
La Bohème à Bastille 2014