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Fellag se prend la tête. Photo : Rozenn Douerin.

Avec Bled runner, Fellag faufile une compilation de ses sketchs préférés. Depuis fin février jusqu’au 9 avril, il comble le Théâtre du Rond-Point six jours par semaine, dans une salle mixant Algériens d’origine et ces gens qu’une cochonnerie de premier ministre appelle des « Blancos ». Fils de pied-noir, et pourquoi pas, nous allâmes goûter à ce métissage pour une fois intelligent.
Afin d’axer ce florilège, Fellag, Ahmed Madani et son metteur en scène, Marianne Épin (compagne de la vedette, nous dit la chronique people mais le dossier de presse la présente comme sa complice, donc le détail ne nous regarde pas), choisissent un déroulé chronologique qui zoume sur l’enfance algérienne de l’artiste-personnage.
Le projet : conter avec humour, ironie et causticité, la vie d’un p’tit Mohamed, dit Mouloud, né en 1950 en Algérie. Loin de la vulgarité communautariste des habituels one-man-shows, Fellag joint aux échos autobiographiques un art consommé du comédien et une acidité pétillante d’auteur qui font mouche quelles que soient les autobiographies des spectateurs (Algériens émigrés, hexagonaux souchiens, fils de sales et méchants fils de colonisateurs, curieux impartiaux, etc.).
Le spectacle s’articule autour d’une série de tableaux allant de quelque dix minutes à quelques dizaines de secondes, et son efficacité naît pour partie de ces contrastes rythmiques. Si les lumières de Christophe Sechet ne sont pas à la hauteur (pourquoi ces significations diverses des noirs ?), si les vidéos de Quentin Vigier restent d’anecdotiques excuses à la médiocrité du décor, si l’apparition de Mitterrand au lieu de Chirac illustre curieusement les attentats de 1995 (fin du règne : 17 mai, début des attentats : 25 juillet), si la diction précipitée du début entraîne de nombreux bégaiements, un manque de puissance et quelques dérapages bénins qui se raréfient par la suite (comme si le brillant acteur voulait rappeler qu’il est humain), si l’excellent gag costumier de la danse des femmes séduit… puis déçoit a posteriori parce qu’il n’a pas de successeurs aussi fouillés dans la suite du spectacle (pour 38 € le billet de base, plus cher que le moindre billet d’opéra, le financier qui galère en nous estime que c’est in fine un peu léger), Fellag réussit pourtant à séduire. En utilisant des formes d’humour ultra-variées (situations, décalages, parophonies, énigmaticité, répétition, exotismes assumés, audaces autorisées à un Algérien, complicité avec les arabophones n’oubliant jamais les seuls francophones, mauvaise foi exacerbée…), en s’appuyant sur son art du jeu et du rythme, l’artiste clownesque-mais-pas-que éblouit par sa capacité à incarner, écrire et surpasser son apparent stress liminaire afin de proposer un spectacle qui sait être à la fois corrosif sans être jamais excluant – la traduction systématique des formules arabophones n’est pas que pratique : elle est signifiante en cela qu’elle crée une union entre le là-bas et l’ici, quels que soient les auditeurs.

Fellag souriant. Photo : Rozenn Douerin.

En dire plus serait sans doute en partie désamorcer le plaisir du spectateur. Nous pouvons juste garantir l’euphorie intranquille que suscite ce numéro multiple, à la fois fort drôle, intelligent et percutant, qui dit avec finesse les ambiguïtés de la relation algéro-française – lesquelles ne sauraient être subsumées par les lâches repentances des pantins si couards qui naviguent dans les hautes sphères politiques et veulent même devenir pacha à la place d’un pacha tout aussi pleutre (comme la couleur). L’illustre la grossièreté des Algériennes postées devant nous : vulgaires, arnaquant leurs frères, bruyantes, lâchant à haute voix des commentaires stupides, inintéressants ou redondants, tripotant leur portable visuellement fort ennuyeux malgré les demandes du théâtre (qui n’a pas osé intervenir, par peur suppute-t-on) et de l’artiste, habile, sont-elles juste des femmes mal élevées ou des spécimens de cette Françalgérie non digérée, assez cultivée pour venir dans un théâtre des Champs-Élysées et assez sûre de son communautarisme pour mépriser les autres spectateurs sans risque de verte remontrance ? À l’évidence, la puissance spéculaire du théâtre était à l’œuvre ce vendredi soir, entre scène et salle. Preuve, s’il le fallait, que Fellag est un très remarquable auteur-acteur.
PS : avant d’acheter votre billet, glissez un regard vers le site de Carrefour où se vendent des billets authentiques avec, parfois, des rabais de 50%.

Fellag manuel. Photo : Rozenn Douerin.