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Paris en hiverAvec son formalisme empesé (mouvement lent – mouvement vif – mouvement lent – mouvement vif… ou l’inverse), la sonate française de la première moitié du dix-huitième siècle ennuie d’avance. C’est compter sans la vivacité et l’ingéniosité de l’ensemble Diderot, produit par le label Audax que distribue Socadisc – même si cet article est corrompu puisque nous bénéficions d’une invitation pour ce concert.
Institut Goethe : avantD’abord, il nous faut louer ces concerts où, effectivement, il nous arrive d’être convié, mais qui sont bien remplis sans être complets alors qu’ils ont tous les atouts : superbe salle, excellent confort des spectateurs, parfaite desserte parisienne (métro Charles-de-Gaulle à sept minutes à pied), programme à échelle humaine (entre 1 h et 1 h 20), jeunes virtuoses en live pour 10 € maxi, verres et bretzels de l’amitié offerts à la sortie avec un service prévenant. Oui, on peut m’accuser d’être lèche-fesses, mais, d’une part, j’en ai rien à carrer et, d’autre part, c’est plutôt de la jalousie de ma part de reconnaître que j’aimerais organiser des concerts de ce type, alors ça va, quoi, bref. (“Oui, mais au moment où ce concert se situe, Alep meurt… / – Si Alep meurt à cause de la musique baroque, jette-moi la première bière. Sinon, jette-toi sur les premières pierres que tu rencontres. Un métro peut s’y substituer.”)

François Segré (Socadisc)

François Segré (Socadisc)

Ensuite, il nous faut saluer cet Ensemble Diderot que nous découvrons en concert ce 13 décembre. Sous l’impulsion du violonissse Johannes Pramsohler, dont la physionomie oculaire n’est pas sans rappeler Lionel Messi, le projet baroque rassemble Roldán Bernabé au second violon, Gulrim Choi au violoncelle, Kristen Huebner à la flûte (non permanente, d’après le site) et Philippe Grisvard au clavecin. Uniquement de très bons musiciens, la suite du concert le prouve. Comme le souligne François Segré au début du show, oser produire à l’Institut Goethe un concert de musique française propulsé par un ensemble au nom francophone dont le leader est un Autrichien parfaitement francofluide, quelle audace !

Johannes Pramsohler, Roldan Bernabé et Kristen Huebner

Johannes Pramsohler, Roldan Bernabé et Kristen Huebner

Enfin, il nous faut applaudir un programme construit avec art et malice. Le concert s’ouvre sur l’Ouverture en la majeur de Jean-Marie Leclair, op. 13 n°3. La pièce, solennelle et vive, donne à saisir d’emblée les forces en présence : digitalité du chef, réponse sensible du second violon, parfaite adéquation de la basse continue. La sonate en trio op. 2 n°5 de Jean-Joseph Cassanea de Mondonville ouvre le répertoire à la flûte chaude et envoûtante de Kristen Huebner. En sus, elle permet au big boss d’expliquer que cette pièce se peut jouer avec deux violons ou, choix opportun pour souligner la diversité du répertoire, un violon et un traverso. La pétillante sonate de Jean-Marie Leclair pour deux violons (op. 12 n°5) souligne ce mélange de complicité et de confrontation qui unit et pousse à rebondir les deux virtuoses en présence. Notre voisine, jeune et mignonne invitée placée chez les VIP, s’exaspère car son maître (merci à lui) lui a intimé d’arrêter de prendre des photos – mais pas de se caresser ses magnifiques cheveux ou de croiser et décroiser ses jambes sharonstoniennes. Derrière nous, une esssperte esssplique que “l’incroyable, c’est le feeling d’énergie qui va de la musique à nous”, wouah. Ces connaisseuses n’y peuvent mais : hormis elles, peut-être, la musique jouée par l’Ensemble Diderot saisit l’assistance ; le sens du son (filé ou percutant) séduit l’oreille ; l’envie de dialogue musical happe l’écoute. Tout cela est fort bien fait et très séduisant, au point que la seconde sonate de Mondonville (op 2 n° 6 d’après Johannes Pramsohler), pourtant très exigeante individuellement et synchroniquement, ne paraît pas essentielle – sauf aux amateurs de forme ABA + coda. En effet, chacun est curieux d’ouïr le Concerto à quatre parties en la mineur du sieur Michel Blavet, associant un duo de violons et une basse continue à la flûtiste quasi soliste. Le résultat est séduisant, confrontant une virtuosité joyeuse à deux éléments indispensables : l’attention entre les musiciens (y compris le clavecinissse, toujours à l’écoute de ses partenaires) et l’envie de nuancer, soit par la puissance, soit par les articulations et la dynamique. La reprise d’une partie en bis permet au public de partir repu et admiratif vers le verre amical (les verres, si l’on en juge au nombre de mâles spécifiant qu’ils ne venaient pas re-prendre un verre pour eux).

Philippe Grisvard et Gulrim Choi

Philippe Grisvard et Gulrim Choi

En prime, il nous faut reconnaître que, à chaque fois que nous sommes allés à ces concerts – soit deux fois plus une où nous nous sommes perdu, oui, au centre d’un des Paris chic mais c’est pas la question –, nous avons rencontré des spécimens de spectateurs qui valaient, presque à eux seuls, le déplacement – et, chose essseptionnelle, nous ne parlons presque pas de nous. Cette fois, c’était une étonnante semi-vieille dame au foulard type Burberry, qui nous a expliqué qu’elle devait passer devant tout le monde dans la queue car elle venait de Boissière (donc à deux rues du concert) en taxi, à cause d’une douleur à la main (“Remarquez, j’ai croisé une altiste à l’hôpital, elle avait le canal carpien bouché, c’est moins grave pour moi qui suis pianissse, mais mon mari ayant changé de travail, nous avons moins d’invitations et on ne nous offre pas de disque, d’ailleurs je vais en acheter un, pas vous, bien sûr, alors que vous auriez sûrement les moyens – Mais je sais me tenir – Comment ça ? – Ben, j’ai aussi les moyens de vous foutre mon poing dans la gueule et je le fais pas – Ah oui, vu comme ça, certes”). Dit de la sorte, ces rencontres impromptues peuvent avoir un soupçon d’agressivité ; dans la réalité, ce sont des expériences fort disruptives (ces mots n’ayant aucun sens, ou n’en ayant plus, je suis ravi de les utiliser). Out in ParisProchain concert le 10 janvier (non encore inscrit sur le site au moment où nous rédigeons ces lignes). J’espère être invité mais, si vous ne l’êtes pas, je vous incite à venir siroter Bach, Piazzolla, et le Fitou d’après-concert : au vu des précédents épisodes, cela promet d’être brillant, intéressant et convivial. What else?