Dans l’enfer des donjons
Si, après une mise en bouche tonifiante, vous
- n’avez toujours pas peur de dégommer des squelettes avec un bouclier,
- aimez transporter dans un sac à dos un exemplaire un brin secoué de chiens esquiveurs, ces spécialistes de la téléportation,
- croyez, ainsi que tout être sain d’esprit donc d’imagination, à la polymorphie et à la magie noire,
- ne vous souvenez plus si un dragon rouge est sympa ou sournois ou les deux ou ça dépend,
- avez admis une fois pour toutes qu’un hibou végétalien est plus courageux qu’un ours carnivore,
- savez que les minotaures femelles vivent en couple, ce qui leur permet d’élever les humaines abandonner,
- avez conscience
- qu’une école de monstres peut en cacher une autre et
- que le but de l’existence est essentiellement de lutter contre les entités maléfiques,
bravo ! ma nouvelle traduction est faite pour vous. À l’assaut, spadassins impitoyables !
Pour acheter Un tournoi d’enfer de Madeleine Roux, illustré par Tim Probert, c’est par exemple ici.
Top 7, le classement

Bertrand Ferrier au théâtre du Gouvernail, le 1er juin 2023. Photo : Rozenn Douerin.
Dans l’album 44 ou presque, sept chansons dépassent les 10 000 écoutes en streaming sur Spotify. Let’s celebrate!
7.
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Une chanson géographique, métropolitaine et doublement initiale. Version Spotify ici.
6.
Le cœur gros
Une chanson cardiologique, ronde et amoureuse. Version Spotify ici.
5.
Baiser avec toi
Une chanson projective, dualiste et amoureuse. Version Spotify ici.
4.
Après nous
Une chanson futuriste, accouplée et néanmoins amoureuse. Version Spotify ici.
3.
Entre chien et loup
Une chanson sauvage, spatiale et temporelle. Version Spotify ici.
2.
Le lapin et la tartine
Une chanson forestière, gourmande et gorgée d’une saine tendresse. Version Spotify ici.
1.
Les moches et moi
Une chanson esthétique, égocentrée et évaluatrice. Version Spotify ici.
Pour acheter le double disque, c’est ici.
Pour l’écouter en streaming, c’est là.
Ténèbres éblouissantes
- Tubes et florilèges,
- Renaissance et classicisme,
- semi-opéra et extraits d’un lied iconique du grunge américain,
- précision baroque et liberté de l’improvisation :
c’est, avec fougue, la fugue à laquelle vous êtes invités ce dimanche sur l’orgue fraîchement ravivé de l’église Saint-Acceul d’Écouen. Oh, ce ne sera pas de tout repos ! Pour se réveiller de la sieste ou de la digestion du repas familial, il y aura, entre autres,
- de la détresse et de la jouissance,
- des pleurs et des furies,
- des Enfers et de la banquise,
- des tourments insondables et l’ombre bienfaisante d’un platane d’Orient.
Au cœur de ces secousses vitales, le soleil noir d’un contreténor tour à tour
- vénéneux et enchanteur,
- fulgurant et paisible,
- divertissant et complice d’assassinat,
- très, très humain et férocement mystique.
Partager ces fulgurances tonifiantes avec vous serait un plus positif.
Le grand soir
- Une prochaine fois, peut-être ?
- Je préfère ne pas sortir en semaine, fêtard comme je suis.
- C’est un peu tôt : je travaille, moi.
- J’aime pas trop le côté Parti communiste de l’affiche.
- Merci pour ton invitation, je suis en concert dimanche 11 au bout du marché de L’Isle-sur-Sorgue, j’espère que tu seras là !
- Il reste des places ? Le jour même ? Ça doit pas être super, le public ne se trompe jamais.
- C’est dans un quartier extrêmement dangereux, je crois. Une fois, j’ai vu un reportage sur Brasilia, ça donne pas trop envie de sortir, hihihi.
- Tu joues jusqu’à quand ?
- Salut, merci pour ton courriel, j’aurais aimé venir mais tu sais ce que c’est, bisou et j’espère à très vite !
- Pourquoi tu fais pas plutôt des reprises de gens connus ?
- J’ai un peu du mal avec les concerts des autres, sauf quand ils me proposent de faire un fitcheurinnegue.
- C’est pas un concert d’orgue ?
- En ce moment, je suis en pleine ébullition créative pour mon prochain album que je compte sortir fin 2025, alors, je me protège.
- Ben, là, je suis pris, mais t’as vu le nouveau clip avec ma fille de neuf ans ?
- Diantre, c’est fâcheux ! Normalement, je suis libre tous les jeudis soirs mais pas celui-ci.
- Oh ! Y a Jann Halexander ! J’aime bien Jann Halexander, il chante tout seul, bientôt ?
- Ma grand-mère est morte pour la troisième fois, alors, voilà, quoi.
- Pour avoir du monde, tu devrais plus penser à faire une scène ouverte. Enfin, j’dis ça, moi, j’y connais rien et j’ai pas trop l’temps d’m’y intéresser.
- Avec tous les concerts qu’il y a sur Paris, c’est courageux de proposer un truc que personne ne connaît, même si c’est pas mon style.
- Y a un type qui joue du cor ? Dommage, je préfère les quatuors à cordes.
- En fait, tu donnes des nouvelles que quand tu fais des trucs. Super esprit…
- Là, j’ai crêperie, mais si tu fais une vraie salle, un jour, n’hésite pas à m’envoyer l’info !
- Je t’ai pas déjà vu en concert y a quelques années ?
- Au niveau scène, je suis plus rock indé américain mais, sur le principe, j’aime beaucoup ton univers.
- C’est quand, ta prochaine date ? Parce que j’adorerais venir te voir. Vraiment. Depuis le temps qu’on en parle !
- Sans déconner, tu fais un concert de chansons ? Mais j’suis trop content pour toi !
- …
Et sinon, rdv au théâtre du Gouvernail, ce jeudi 1er juin, à 19 h, 5 passage de Thionville à Paris 19.
Durée : 1 h. Réservations ici.
Normalement, c’est le lundi…

Utopie du Paradis des edelweiss le 31 mai 2023. Photo : Bertrand Ferrier.
… mais bon, par ma foi, si ça s’présente, on n’a qu’à dire que mercredi is the new lundi, hein, et rigoler un peu, ça fait pas tant d’mal que ça.
Rougir de plaisir

Répétition au studio Jack Good (Paris 18), le 28 mai 2023. Photo : Bertrand Ferrier.
Jeudi, à 19 h, nouveau récital de chansons au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Tout seul au piano comme un grand, donc pas tout seul. Il y aura des musiciens pour agrémenter cette heure de fredonneries, dont M. Ogier Jenevein qui, sans barguigner, nous montrera son cor.
Réserver sans plus tarder pour ce moment où se mêleront chansons
- neuves et patinées,
- sémillantes et polies,
- rugueuses et mignonnes,
- rive gauche et r’n’b,
- réminiscentes et mozartiennes,
et, là, je crois qu’il est temps de passer à la chute de cette phrase, se peut faire en cliquant ici afin de dépenser un nombre de sesterces presque cocasse tant sa modestie le pare d’un moiré saugrenu, et hop.
Utopie, J+14

Utopie du Paradis des edelweiss le 28 mai 2023. Photo : Bertrand Ferrier.
Le monstre poursuit sa mutation de Boule de poils à Bête terrifiante. Il a eu la malchance de tomber sur des maîtres aussi têtus que lui, caractéristique utile pour tenir le cap en dépit des stagnations et régressions dans les premiers acquis éducatifs. Grandir n’est pas simple, aider à grandir non plus – sinon, j’imagine que l’on s’ennuierait. Toutefois, une question demeure : cette chienne n’est-elle point complètement siphonnée ? Certains documents confidentiels justifient de ne pas apporter sur-le-champ, de façon ferme et définitive, une réponse négative à cette interrogation.

Utopie du Paradis des edelweiss le 27 mai 2023. Photo : Bertrand Ferrier.
Entrer dans la couleur avec Hélène El Bacha

Hélène El Bacha, sans titre (détail). Photo : Bertrand Ferrier.
Habituée des petites galeries parisiennes (elle exposait fin 2022 à Montmartre), Hélène El Bacha se dévoile actuellement à l’Atelier M & Co, un lieu vivant qui a commencé par être un endroit mêlant brocante simple et atelier de bricolage DIY. L’endroit est devenu un corner éphémère prisé de designers et, donc, une galerie où se croisent autochtones, curieux et connaisseurs.
Hélène El Bacha y présente deux types de tableaux. D’une part, des paysages (ou du moins ce qui s’apparente à des paysages) ; d’autre part, des fleurs émergeant ou surgissant du noir. Dans les deux cas, l’artiste joue sur le seuil entre figuration et abstraction ; et elle ne néglige pas notre tendance à la paréidolie. En ce sens, l’absence de titres est moins une coquetterie qu’une invitation à entrer dans son travail sur les couleurs, le mouvement et la gestion de l’espace. Papier et toile accueillent une proposition où l’abstrait se dérobe autant que le concret référencé. Les fleurs sont parfois difficiles à attribuer à une espèce en particulier ; les paysages ne sont pas rattachés à un lieu, un toponyme ou une définition. Pour la peintre, il s’agit moins de peindre ce qui est que de laisser advenir ce qui la saisit. Au regardant, ensuite, de jongler entre la similitude rapprochant ses ressouvenances paysagères ou florales, et l’objet présenté à ses yeux. Tout se passe comme si la peinture était une illusion d’optique qui, par le truchement d’un étrange et banal réflexe mental, poussait à écosser l’abstraction pour la rapprocher d’une représentation figurative.
Alimentée par l’habileté plaisante avec laquelle l’artiste concatène des couleurs tantôt par mutations spectrales, tantôt par oppositions franches, c’est cette tension, cet aller-retour imprévisible, ce pas de trois entre
- objectivité,
- représentation et
- déréalisation
qui éveille et nourrit l’intérêt du visiteur. Ajoutons un troisième pôle d’attractivité à cette exposition même si, dans un premier temps, il pourra paraître contradictoire. En effet, il sourd à la fois de la similitude et de la diversité. Nous captive la similitude puisque, sur la vingtaine de tableaux proposés, les deux catégories fleurs / paysages creusent le sillon
- d’une série bithématique,
- d’une patte spécifique et
- d’une inspiration double mais clairement assumée.
On pense, dans un genre différent, à David Twose, roi de la couleur et de la forme, qui revendique de “chercher les structures abstraites sous-jacentes du réel pour y déceler les sources de beauté profonde” en développant des séries dont l’une des plus développées célèbre les toits de Paris.

Hélène El Bacha, sans titre (détail). Photo : Rozenn Douerin.
Dans cette perspective, quoique avec sa spécificité, Hélène El Bacha ne peint ni des fleurs, ni des marines, mais le monde dont fleurs et marines sont sinon la traduction, du moins des prismes privilégiés. La peinture de l’artiste paraît alors non pas abstraite absolument mais abstraite du monde ou, selon le titre d’une pièce d’Olivier Py créée jadis par les élèves du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, “au monde comme en n’y étant pas”. Le bouquet ou la vague ou le coucher de soleil ou le lever du jour
- cristallise un certain rapport au réel,
- s’inspire d’une objectivité que la peinture dégage de sa gangue réductrice, et
- ouvre ainsi celui qui contemple l’œuvre à une réflexion stimulante sur ce que nous voyons
- quand nous voyons le monde,
- quand nous sommes au monde et
- quand nous nous positionnons dans le monde par rapport à ce que nous avons cru en percevoir.
Incontestablement,
- la dimension sérielle de l’exposition,
- sa propension à la rumination et
- sa revendication d’un droit au ressassement
écrasent d’autant moins l’accrochage sous une impression de répétitivité ou de redondance qu’elles se déploient dans une importante diversité de formats. En effet, si saisit d’emblée le bithématisme, l’attractivité de l’exposition est alimentée promptement par le jeu sur la multiplicité des surfaces. Certes, l’aspect pratique peut jouer son rôle – on n’est peintre qu’en vendant ses créations, et tout le monde ne peut acquérir des tableaux imposants. Toutefois, pour le visiteur de l’exposition, ces zooms et dézooms produisent un effet d’échelle captivant qui escamote la possible raison d’être pragmatique car, très vite, la répétitivité du motif devient simultanément similitude (les tableaux se ressemblent) et dissemblance (ce ne sont pas les mêmes). Les effets d’écho visuels sont
- renforcés,
- déformés,
- interrogés
par la profusion de presque-même jeté en pâture à nos regards. Les différences de tailles obligent le visiteur à redéfinir à chaque fois sa position dans l’espace muséal ce qui, métaphoriquement, revient à interroger sa position dans le monde. De la sorte, similitudes d’inspiration et dissemblances de format paraissent travailler la même interrogation philosophique que la peinture concrétise : celle du rapport entre notre perception et notre être-au-monde. Partant, l’exposition d’Hélène El Bacha,
- plus vivifiante qu’abstraite,
- plus tonifiante que conceptuelle,
- plus séduisante que démonstrative,
donne l’occasion
- de jouir d’un style personnel,
- de nous laisser inspirer par l’artiste et
- de dynamiser notre réflexion si nous le souhaitons.
Une seule condition, accessible à tous, paraît s’imposer : ne pas nous contenter de regarder mais, sans ambages, entrer franchement dans la couleur avec Hélène El Bacha.
Atelier M and Co, 69, rue La Condamine, Paris 17. Jusqu’au 30 mai (finissage à 18 h). Entrée gratuite.
Éclats des soleils noirs
Avec Soleil noir, le contreténor Michaël Koné me propose de l’accompagner, avec ses auditeurs, dans une plongée très personnelle au cœur des émotions extrêmes qui ont inspiré les plus grands compositeurs baroques. À rebours de ceux qui voient dans les oeuvres de Dowland, Haendel, Purcell, Scarlatti ou Vivaldi une musique sépia et compassée, Michaël libère les partitions de la couche de poussière soi-disant respectueuse sous laquelle certains musiciens ont cru bon de la recouvrir. Avec vigueur et rigueur, Michaël nourrit son art au sein nourricier des grands élans de nos âmes, de nos coeurs, de nos corps, tels que les peignent ces génies des siècles passés.
- Désir irrépressible,
- effroi absolu,
- espoir ineffable,
- mélancolie sans fond et
- fureur inarrêtable
habillent envolées et piqués vertigineux dans les diaprures du soleil triomphant qui irradie nos joies, et les froufrous affriolants des obscurités éclatantes qui aspirent nos vies vers le néant.
Considérant que la musique n’est pas un enchaînement de notes mais “une succession d’opacités et de transparences“, selon l’expression de Vénus Khoury-Ghata, l’olibrius souhaite proposer bien plus qu’un récital : une expérience vibrante, secouante et habitée, pensée autant pour les mélomanes chevronnés que pour les curieux de passage, et traversée à la fois par l’intensité baroque et par la fulgurance de la musique improvisée. Je suis fort ravi d’être de l’aventure. Avec vous serait évidemment un sus.
Dimanche 4 juin à 17 h | Église Saint-Acceul | 2, rue Jean Bullant | Écouen (Val-d’Oise) |Durée : 1 h
“Henry VIII”, Théâtre de la Monnaie, 11 mai 2023 – 2/2

Alain Altinoglu et son orchestre triomphent au théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, le 11 mai 2023. Photo : Rozenn Douerin.
La première partie de Henry VIII, passionnante et brillamment enlevée, devait être suivie, à l’entracte, par un ballet dansé devant le théâtre. La pluie a annulé le projet – pas l’étonnement suscité par l’optimisme d’une scène non protégée : à la mi-mai, les pluies sur Bruxelles ne sont pas un épiphénomène… Cette déconvenue n’a pas obéré l’enthousiasme des spectateurs qui offrent un double tonnerre d’applaudissements en ouverture de l’acte troisième ! D’abord pour l’orchestre, son nouveau premier violon et son chef ; puis, moins habituel, pour l’entrée en scène d’un cheval, un vrai, qui va faire quelques tours de manège, le temps que Henry VIII Lionel Lhote) explique que la férule du pape commence à lui courir sur le haricot (“est-ce même être roi que subir cette entrave ?”). Le roi a un autre projet : la religion à la carte – et, dans ce restaurant, il décide que ce sera lui le chef.
Pour une raison qui échappera à tous les spectateurs manquant probablement de poésie, le roi exprime sa volonté en grimpant sur manière de lit de camp tout moche au matelas souillé, l’ossature du meuble étant noire comme l’essentiel des costumes de cette seconde partie. Tandis que le roi chevauche sa couche donc peut-être ses coucheries, à l’étage supérieur, sa perfide chérie (Nora Gubisch) le tire – je n’ai pas fini – au pistolet avant de tirer sur tout le monde. Là encore, le sens de cette pantomime nous échappe – ce ne peut être pour souligner que, aux yeux d’une arriviste, chacun lui est un ennemi, le message étant déjà passé…
En allusion à Maurizio Cattelan et à la Nona ora, Olivier Py écrase le cardinal Campeggio, légat du pape (Vincent Le Texier), sous une statue en guise de météorite. Puis des danseurs de tout sexe investissent la scène, avec ou sans slip – c’est vrai qu’une bite et de la nichonnade en liberté, ça manquait ! Qui imaginerait assister à un opéra sans bénéficier de la vue d’une paire de couilles ou – c’est un peu plus rare, soit – de tétons se baladant et se contorsionnant sur scène ? Heureusement, la musique, tour à tour élégante et vrombissante, compense ces propositions scéniques moins saugrenues que vulgaires. Les ensembles vocaux sont remarquablement réglés et permettent à Catherine d’Aragon (Marie-Adeline Henry) de faire démonstration de la puissance de ses aigus. Ceux-ci sacrifient avec gourmandise le velouté sur l’autel de la netteté vibrante. Tandis que, fidèle à sa passion du jeu, Nora Gubisch lustre et illustre ses qualités de comédienne à travers ses évolutions muettes, le grand solo de la reine (“À ta bonté souveraine, seule, dans cet instant, je m’adresse, ô mon roi !”) ajoute aux qualités de la soprano une démonstration intériorisée de vaillance et de sens des nuances.
- Le rôle dévolu au chœur,
- la direction attentive d’Alain Altinoglu et
- la variété d’écriture
compensent largement un livret dont l’intérêt narratif, avouons-le, s’étiole peu à peu.

Détail du décor final de “Henry VIII” imaginé par Pierre-André Weitz. Photo : Rozenn Douerin.
En ouverture du quatrième acte, un ballet offre l’occasion aux danseurs d’évoluer sur des tables et des chaises autour de Barbe bleue – bientôt, on basculera vers un projet intersectionnel avec travesti et pas de deux mêlant couples homme-femme et homme-homme, comme s’il fallait coller une modernité de pacotille sur un opéra qui n’en avait point besoin. Une fois de plus, ce fatras à la fois convenu dans une certaine esthétique de la mise en scène et hors sujet (ce qui participe de la convention) ne parvient pas tout à fait à nous gâcher le plaisir de la musique et le brio d’un orchestre dont le chef soigne la plasticité – ainsi de la ouate élégiaque qu’il fabrique pour sertir le message de la reine rapporté par Don Gomez de Féria (Ed Lyon).
Il faut dire que l’ambiance a changé. Depuis son triomphe, Anne de Boleyn souffre de la méfiance et de la lassitude de son époux. Son beau succès a volé en éclats comme le mur percuté par une locomotive surgissant sur scène avec le bruitage adéquat – ben, parce que, quoi, voilà, quelque part, j’veux dire, bon, bref. Par chance, voilà un p’tit moment que l’on a cessé d’espérer trouver du sens dans la mise en scène. Des valises vont et viennent ; les ailes en carton voletant autour de la reine qui concentre toutes les attentions ; à en croire Olivier Py, le roi lutinerait désormais Lady Clarence (Claire Antoine). Surtout, chacun veut soutirer à la reine, par la ruse, la manipulation psychologique ou quelque autre stratagème fripon, la preuve écrite que Don Gomez de Féria a bien été le chéri d’Anne de Boleyn. Partagée entre
- la nostalgie de son Espagne natale (“Ô cruel souvenir !” offre à Marie-Adeline Henry un nouveau morceau de bravoure),
- la jalousie qu’elle éprouve malgré elle à l’endroit de celui qui l’a répudiée et
- son devoir chrétien de pardon et de loyauté,
la reine voit débarquer dans sa dernière demeure une Anne de Boleyn rongée par les contradictions. Elle
- joue la repentance pour circonvenir la reine,
- éprouve une crainte viscérale que le roi ait un prétexte pour la virer, et
- sent que ses mondes s’écroulent
- (don Gomez ne l’aime plus,
- le roi ne l’aime plus, euphémisme, et
- son titre ne tient qu’à un fil).

Un public varié, parmi lequel don Sleepy, assistait à la première de “Henry VIII” au théâtre de la Monnaie, le 11 mai 2023. Photo : Rozenn Douerin.
L’arrivée du roi, le renoncement à la vengeance, l’appel au pardon qui ne sera pas tout à fait entendu, la mort de la reine et les menaces d’un Henry VIII amoureux de sa hache pimpent, en dépit de la fatigue visuelle liée aux parasites (danseur torse nu, enfant jouant avec une balle “qui symbolise la situation politique de l’Espagne” nous soufflera quelqu’un de bien informé après le spectacle, gâ ?) la fin d’un opéra dont on retient
- la recréation musicale d’une partition passionnante avec, enfin, des moyens magistraux à la hauteur du défi,
- un casting vocal investi et convaincant, ainsi que
- le volontarisme du théâtre de la Monnaie dont la programmation qualitative et la recherche artistique, capables d’enthousiasmer un public nombreux, rayonnent décidément.
Avec une grande classe, ledit théâtre offre la vidéo intégrale de la première en libre accès sur YouTube jusqu’au 16 novembre 2023. Curieux, bon visionnage !