Première du disque
Pas le plus connu des compositeurs au programme de ce disque (le titre reviendrait Ă la matriarche, Nadia Boulanger), le physicien Bernard SchulĂ© a pourtant eu une jolie carrière musicale. Élève de Paul Dukas – comme RenĂ© Gerber, hĂ©ros de la platine – Ă l’ENM, remplaçant de « Mademoiselle » qui a aussi Ă©tĂ© la prof de RenĂ© Gerber, il lui est arrivĂ© de remplacer « rĂ©gulièrement » Charles Tournemire Ă Sainte-Clotilde et a mĂŞme frĂ©quentĂ© des cadors de la pointure d’un
- Jean Françaix,
- Arthur Honegger,
- Aaron Copland ou
- SergueĂŻ Prokofiev,
rappelle Claude Delley dans la partie du livret en rapport. Ce sont ses MĂ©tamorphoses sur un air ancien op. 51 pour orgue seul qui concluent le disque vivifiant proposĂ© autour de l’orgue et de RenĂ© Gerber par Giovanni Panzeca et ses collègues – nous l’Ă©coutons Ă l’aveugle. L’Ă©noncĂ© du thème s’effectue
- en solennité,
- en duo et
- sur les pleins jeux,
autour d’une harmonisation riche et frottant joyeusement contre l’idĂ©e d’un « air ancien ». D’abord claudicant, le dĂ©but des variations se cherche une stabilitĂ© entre
- monodie,
- questions-réponses et
- mutations
- de registres (hauteurs du son),
- de registrations (type de jeux engagés) et
- d’intensitĂ©s (niveau du son).
Bernard SchublĂ© y offre Ă l’interprète l’occasion de briller tout en intrigant l’auditeur grâce
- au suspense créé par le subtil déséquilibre de certains segments,
- Ă l’exploitation d’un large spectre de l’instrument, et
- à la variété des techniques employées
- (solo + accompagnement,
- unisson rugueux,
- rôle de la pédale, entre
- lead grave,
- collègue de discussion et
- assise profonde).
Après la leçon d’harmonie, la fugue centrale ajoute une couche savante Ă la marque « with Nadia Boulanger inside ». Giovanni Panzeca y sĂ©duit
- en adoptant une allure dĂ©cidĂ©e qui embarque le mĂ©lomane dans l’aventure,
- en dĂ©montrant un grand sens de la respiration adaptĂ©e Ă l’acoustique, et
- en tĂ©moignant d’une savoureuse envie de profiter des rythmes pointĂ©s pour Ă©nergiser la fugue, exercice de style souvent brillant mais parfois un rien guindĂ©.
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Le contraste avec la variation suivante, plongĂ©e dans les tĂ©nèbres d’une basse tamisĂ©e, saisit ; et ce saisissement se rĂ©vèle ĂŞtre une habile mise en place d’un splendide trio centrĂ© sur les fonds. Il se confirme que, fors les caricatures donc les exceptions, l’avantage d’un compositeur organiste est que, quand il Ă©crit pour l’instrument qu’il connaĂ®t, il a quelques notions de ce qui « marche » et de ce qui ne « marche » pas mĂŞme si, sur le papier, ce serait tout Ă fait croquignolesque. En l’espèce, la double maĂ®trise de Bernard SchulĂ© – orgue et composition – contribue Ă l’intĂ©rĂŞt de l’affaire, avec
- ses contrastes vifs
- ses tuilages de style ou de nuances, et
- sa large palette de variations, qu’elles soient
- horizontales (travail sur la mélodie),
- verticales (travail sur l’harmonisation) ou
- entrelacées, à travers, notamment,
- la désintégration liminaire du motif,
- la paraphrase,
- le fugato central et
- le crescendo final filant avec une pompe très organistique vers le plenum.
Giovanni Panzeca fait honneur Ă cette science et rĂ©jouit l’auditeur qui dĂ©couvre pour la première fois la musique, troussĂ©e avec grâce et maĂ®trise, par un compositeur plutĂ´t rare – a minima sur les tribunes françaises, hĂ©las trop souvent engoncĂ©es dans un enchaĂ®nement-type
- un compositeur star de l’Ă©poque baroque,
- un compositeur romantique ou post-romantique dont tout le monde (c’est-Ă -dire l’ensemble des chalands potentiels, ce qui ne sature pas, hĂ©las, l’intĂ©gralitĂ© de l’humanitĂ©) connaĂ®t le nom, et
- de la musique un peu plus récente, entre Duruflé et Escaich (du moment que le créateur est perçu comme bankable),
principe propre sur soi, certes, mais tellement clichĂ© – en anglais dans le texte – qu’il donne envie de bailler ou de ne surtout pas aller Ă un concert « d’autant que, dans cette Ă©glise, on est très mal assis », attitude communĂ©ment retenue par tant de ceux qui se gargarisent de leur adooooooration de l’orgue mais ne foutraient les pieds Ă un rĂ©cital pour rien au monde.
Ă€ l’opposĂ©, cette fin vivifiante et très intĂ©ressante conclut un disque parfois imparfait, selon nous, mais souvent fort captivant. D’ici Ă ce que les vents tournent et Ă©largissent le rĂ©pertoire programmĂ© en live,
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