Fruits de la vigne – Domaine de Gournier 2021

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Photo : Bertrand Ferrier

 

Dans notre enquête sur “où trouver à Paris des vins décents pour moins de mille centimes ou environ”, ne racontons pas la messe, on l’entend assez souvent : Thierry Welschinger est notre caviste préféré aux Batignolles. Pas parce qu’il nous fait des prix (c’est pas le genre, et ça nous va bien). En revanche, parce que

  • son respect du budget du client,
  • sa capacité commerçante à retenir les goûts des habitués,
  • sa sélection de flacons optimisée avec son formidable partenaire le truculent Pierre-Benoît (j’avais hésité entre “truculent” et “sémillant”, je pense que “truculent” le blessera davantage, grâce aux trois lettres centrales, et blesser un bon gars est toujours un plaisir, tu penses),
  • son souci d’associer le vin qu’on veut lui soustraire à un projet culinaire,
  • sa science discrète et des quilles et du microcosme qui les entoure

le distinguent parmi ses nombreux pairs et concurrents avoisinants. Or,

  • bien qu’il capitalise sur une clientèle aisée,
  • bien qu’il subisse le contre-coup de l’après-Covid,
  • bien qu’il ait su optimiser son réseau en proposant à ses clients des primeurs de qualité à des prix sérieux mais raisonnables pour ceux qui en ont les moyens,

le zozo a gardé souci de préserver sa clientèle impécunieuse – du moins à l’échelle des traders, avocats, journalistes de haut vol et responsables de CE qui le fréquentent.
Même s’il a pris cher depuis son arrivée à la cave, “le Gournier rouge” (un blanc tout à fait qualitatif est disponible à tarif équivalent) est l’entrée de gamme, facturée pour le moment 7,5 € – on trouve la quille hors frais de port à 4,9 € sur l’outil Internet. Le vignoble est récent puisque Maurice Barnouin a repris l’exploitation fruitière de son père il y a 40 ans, mais il est solide. Sis dans les Cévennes, ce projet associant merlot souple et syrah tonique voire tanique, ta mère n’a rien à voir dans cette histoire, on se calme, a produit en 2021 un jus tout à fait digne à l’aune parisienne.
La robe est relativement claire, mais non sans élégance : on y entend des yeux, si si, clapoter reflets et miroitements. Comme dirait Herman Broch, “la primauté de l’élément se trouve également établie par le langage lui-même” (Logique d’un monde en ruine. Six essais philosophiques [1975], trad. Christian Bouchindhomme et Pierre Rusch, L’Éclat [2005], “Poche” [2023], p. 136)  : le mystère commence par la couleur et ouvre au nectar, y a pas à faseyer du fessier.
Le nez s’acoquine avec un sous-bois profus. Il ne refuse pas la franchise mais esquive la tonitruance : le merlot a fait son job pour contenir la syrah. On salue l’habileté de l’olibrius qui a géré le multicépage.
La bouche est agréablement fondue. Rien d’explosif ou d’envahissant, certes, mais les gourmands laisseront résonner l’amertume finale qui prolonge le voyage après la goulée. Face à un poulet grillé, des carottes saisies et des haricots beurre, la substance assure le dialogue avec une insolence friponne proposant d’aller frapper plus fort. Les curieux s’y risqueront.