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Photo : Bertrand Ferrier

 

Pour env. 10 €, peut-on siroter des flacons fréquentables à Paris – ce qui est le fil rouge actuel de cette rubrique ? Comme jadis l’explosion de Fukushima pour les whiskys japonais, la guerre en Ukraine a, par quelque miracle, fait entrer en fusion le prix des vins – et pas qu’eux, hélas, mais eux aussi, même si les experts en prospective économique des think tanks macrono-libéraux, funeste connerie s’il en est, affirment que, contre toute attente populiste, nous sommes plus ou moins entrés en déflation depuis plusieurs mois, ouf. Indifférents à ces salopards qu’il conviendrait un jour de conduire à la lanterne, et sans leur offrir le coup de l’étrier, pensez, nous continuons donc notre enquête en assumant le côté souple de cette question via des vins autour de 10 €, faut bien boire.
Côté blancs, le marché de la grande distribution dans la capitale est sinistré. À ce tarif, on n’y trouve guère que des produits vaguement sourcés, parfois pollués par un “goût pamplemousse” qui, argh, s’est évadé des rosés pour femmes de bobos souhaitant s’encanailler lors de soirées monogenrées où l’on est censée être pompette dès le premier kir royal coupé à l’eau du robinet voire, le terme est bon, je crois, de la gourde. La plupart des bouteilles proposées par les grandes chaînes se révèlent souvent proches de l’imbuvable, même quand on n’a pas été élevé avec, à portée de gobelet en cristal vénitien, des barriques de Montrachet grand cru.
À 10,8 € (sur Internet, on trouve certains millésimes à 6 € hors frais de port ; le producteur en réclame 8 € – il est donc en rupture de stock), Thierry Welschinger propose un Bordeaux – pas franchement l’origine la plus représentée chez ce zozo – qui consonne avec les obligations marketing du moment : nom de cuvée banal mais à visée catchy (“Jardin d’hiver”) + affichage vert de “vin biologique”, expression qui nous fait presque autant marrer qu’un vin convenant aux végétariens, bref. La chose, commercialisée à raison de 1200 bouteilles par an, s’affiche 100 % sémillon, un cépage connu des fous dingos de vins liquoreux. Ce côtes-de-bordeaux Saint-Macaire – appellation connue pour ses trois blancs : secs, moelleux et liquoreux – tire sa spécificité de vieilles vignes s’enfonçant dans un sol argilo-calcaire, ce qui n’augure de rien de malséant.
La robe est d’une pâleur affriolante, entre paille vieillie par le soleil et or fortement dilué.
Le nez surprend et désamorce toute crainte de s’enfoncer dans le moelleux ou le liquoreux. On est sur de la pomme verte au couteau, dont la légèreté tonique est assez discrète pour se mériter et assez délectable pour se repérer.
La bouche, elle aussi, étonne. Acidulée d’abord, elle se fond en une harmonie sucrée ensuite et laisse enfin une pointe d’amertume pas désagréable en guise d’after improvisé. C’est moins le goût qui saisit que l’association entre

  • des caractéristiques changeantes,
  • un équilibre rond très caractérisé et
  • une originalité finement positionnée.

Il y a du fruit (pomme ? poire ? difficile de le déterminer), du zeste d’agrume et un reste astringent qui devrait être désagréable mais fait, en réalité, le prix de la dégustation.
Côté mariage gustatif, nous avons confronté le jus à un baron de saumon saisi avec ses épinards en branches à peine pourvus de gros sel craquant sous la dent. Le blanc sec qui brillait en solo s’est alors révélé précieux grâce à sa complémentarité avec la profondeur paisible du poisson et la longueur en bouche de l’accompagnement. De quoi presque oublier que nous avons dépassé de 8 % la frontière pécuniaire indicative de cette rubrique. Bah, au-delà des qualités évidentes de ce vin signé Thierry Bos, vous l’oublierez itou  surtout si vous avez dîné quelques jours plus tôt d’un blanc Monoprix pas même crapuleux : calamiteux. (Si, quand on passe son tour au moment de la resucée, c’est que le terme de calamité n’est pas volé…)