Olivier Messiaen, Intégrale de l’œuvre d’orgue, Forlane – 3 – La Nativité

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En 1935, Olivier Messiaen compose La Nativité du Seigneur. Neuf pièces composent l’œuvre, articulées en trois trilogies qui s’imbriquent :

  • la prédestination de l’homme,
  • les naissances et
  • les personnages “donnant aux fêtes de Noël une poésie particulière”.

Outre les modes spécifiques choisis pour l’écriture, Olivier Messiaen use à foison de la “valeur ajoutée” qui consiste, par ex., à ajouter une double croche dans une mesure à 3/4 déjà correctement garnie. Des élèves de David Cassan au CRR de Nancy sont invités par Pascal Vigneron à succéder à Daniel-Lesure, Jean Langlais et Jean-Jacques Grünenwald, les créateurs du cycle.
Paul Mérou est le premier à passer sur le grill afin d’interpréter “La Vierge et l’enfant”. C’est le roi “juste et humble” que les aigus initiaux semblent faire se faufiler vers la Terre via les entrailles de Marie.

  • Registration évocatrice,
  • sérieux rythmique,
  • maîtrise des silences et
  • coloration spécifique des trois segments qui composent le mouvement

rendent raison du texte et du mystère qui l’entoure, longues tenues à l’appui.
“Les Bergers” sont interprétés par Marie Denis, qui nous épargne la lenteur gnangnan qui ensuque parfois les accords aigus liminaires.

  • Régularité et attention au phrasé dans la première section,
  • liberté contrôlée et exigence rythmique dans la seconde,
  • jolies registrations et allant du tempo

nimbent les bergers dans une douceur traduisant leurs grâces envers Dieu avec la simplicité raffinée que les gens de la haute devraient parfois envier au populo crotté.
À Thibaut Fajoles de nous convaincre des “Desseins éternels” d’un Dieu qui nous appellerait, selon Paul le persécuteur reconverti chez l’adversaire, “à être ses fils adoptifs par Jésus Christ”. La méditation prend le temps de poser la recherche du soprano sur une harmonisation que l’orgue de Toul rend envoûtante – il le faut, la proposition risquant, sans cela, de paraître un brin longuette sans que l’on puisse incriminer l’interprète !
Hector Leclerc part à l’assaut de la plus longue pièce du cycle, “Le Verbe” aka le Christ.

  • Incipit énergique,
  • différenciation des plans sonores et
  • pédale puissante

secouent cette quatrième station de La Nativité. La répétition du motif appuie la Parole du Seigneur. Sonnent avec des clartés nuancées

  • les trompettes,
  • les boucles,
  • les échos,
  • les tenues et
  • la pédale qui descend vers nous…

avant qu’un cornet sur les fonds n’ouvre une porte sur “l’Image de la bonté”, élaborée autour de neuf phrases – nous précisent ce qui savent compter –, neuf étant le nombre choisi pour “honorer la maternité de la Vierge” – nous traduisent ceux qui touchent leur bille en numérologie messiaenique. Hector Leclerc s’y colle avec le sérieux poétique qu’exige, sans doute comme toute religion pour celui qui la pratique, entre moments d’émouvante beauté et impressions de fastidieux interminable.
Thibaut Fajoles revient une première fois pour jouer “Les Enfants de Dieu” qui, à l’instar du Christ, crient : “Père ! Père !” dans une fanfare rythmée, maîtrisée et idéalement taillée pour l’orgue de Toul. On n’en apprécie que plus les autres couleurs proposées via le decrescendo subito et, pour la seconde partie, les registrations flûtées dissolvant la jubilation filiale dans un decrescendo progressif très convaincant.
Hector Leclerc part alors à la conquête des “Anges”, la pièce la plus brève du cycle. Les mixtures aiguës habillent les trilles, les formules répétitives et les échos rythmiques des syncopes qui s’envolent.

  • Les prompts changements de claviers,
  • les accélérations,
  • la lisibilité des traits monodiques et
  • la netteté des phrasés

font, notamment, de cette interprétation une belle ouvrage, fade-out final inclus.
“Jésus accepte la souffrance” rappelle, sous les doigts de Thibaut Fajoles, l’absurdité divine expliquant d’un côté qu’il ne veut pas d’holocauste ou de sacrifice, de l’autre qu’il envoie son fils pour servir d’holocauste ou de sacrifice. D’un point de vue mystique, c’est sans doute très profond ; quand on n’est pas mystique, ça paraît relativement bien stupide : la première partie du projet – appelons-la la mise au point – suffisait amplement. Grâces soient rendues, ce n’est pas à l’auditeur de réécrire la Parole. Il peut juste – pour ainsi dire – profiter de l’éventail sonore offert par l’instrument qu’il écoute, entre

  • fonds,
  • jeux corsés et
  • anches de pédale.

Les variations – spectaculaires ou discrètes – de

  • rythme,
  • registration et
  • couleurs

teintent de gravité les joyeusetés de Noël, où l’interprète interpole ce qu’il faut de silence pour donner plus de saveur aux mutations et à l’amer triomphe final.
Marie Denis revient, après “Les Bergers”, pour la mise en scène des derniers personnages convoqués par Olivier Messiaen : “Les Mages” (et non les mâges, comme le prôpôse le lîvret). Grâce aux choix des jeux qui président aux deux registrations adoptées pour ce morceau, l’on se plonge sans réserve dans la délicatesse de la progression des mystiques – une progression presque onirique, quasi statique, que l’interprète donne avec un souci de régularité et d’équilibre nullement remis en cause par les deux interruptions prévues par la partition.
Arrive ensuite ou, plutôt, n’arrive pas alors la curiosité du disque deuxième : le dernier mouvement de La Nativité est sur le disque troisième. Comme, selon la terminologie sportive, “y avait la place” sur la deuxième galette (68′ + 10′, ça passe large), on suppose que cette curiosité procède d’une volonté de Pascal Vigneron de tuiler l’intégrale comme le laissait entendre le chevauchement de certains titres dont le fade-out débordait sur le début du suivant. Sans explication complémentaire, ce choix de répartition bancale, pour original qu’il soit, n’en reste pas moins étrange.
Glissons donc le troisième disque sur notre gramophone pour écouter Paul Mérou, entendu dans le mouvement d’ouverture, exécuter le puissant “Dieu parmi nous”, un tube du compositeur qui s’ouvre par l’explosion du Verbe puis sa descente parmi la Terre. L’interprète veille à rendre la spécificité de chacune des trois couleurs principales :

  • méditation,
  • emportements,
  • irradiation.

Sans être occultée, la fragmentation du discours en différents volets est dirimée par

  • la sûreté des doigts,
  • la complémentarité des registres et
  • la tonicité souple de l’ensemble.

Par-delà la virtuosité exigée, qui n’est déjà certes pas rien, Paul Mérou déploie

  • rigueur,
  • clarté et
  • musicalité,

distinguant “Dieu parmi nous” d’une toccata profane grâce à sa capacité à en traduire le symbolisme potentiel. Voilà bien une excellente manière de conclure le cycle, rendant hommage à la fois

  • à sa variété,
  • à l’orgue sur lequel le cycle se joue, et
  • au niveau remarquable de la classe du CRR de Nancy tel que cet enregistrement le révèle.

Prochaine étape : Les Corps glorieux par le CNSM de Lyon. À suivre !


Épisodes précédents
1 – Pièces diverses
2 – L’Ascension