Olivier Messiaen, Intégrale de l’œuvre d’orgue, Forlane – 1 – Pièces diverses

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Moins fréquentée que l’intégrale Bach, l’intégrale Messiaen est l’un des grands Graal des organistes. Réputée plus austère, peut-être un rien moins portée sur le zouk (quoique), l’œuvre est enregistrée moins souvent. Au fil des temps, rares sont les monuments dont les fans gardent mémoire. Même si le mausolée de Willem Tanke est plus que solide, deux coffrets guident le mélomane, loin devant la proposition à intérêt muséographique du compositeur : celui de Louis Thiry, réédité par La Dolce Volta en 2018, car, bien qu’il soit incomplet (Olivier Messiaen a encore écrit après cette intégrale provisoire) et fors l’exploit sidérant souvent mis en avant qui consiste non seulement à tout jouer mais à tout jouer en fort peu de jours et malgré la cécité, il reste éblouissant de poésie ; et celui, puissant, de la figure tutélaire de l’orgue français, Olivier Latry, dont l’intégrale Messiaen a contribué à rappeler aux haters que le gars n’est pas au sommet de la notoriété des organistes pour rien, quelques critiques qu’aient pu susciter, par exemple, sa vision de Bach gravée pour La susnommée Dolce Volta.
Sur le chemin messaienique, hérissé de difficultés techniques pour les artistes et commerciales pour les promoteurs, voici que s’avance un nouveau candidat, mené par Pascal Vigneron. Les perspectives sur le marché semblant faibles, il fallait l’entourer d’un non-profit purpose. Après avoir suscité un disque de présentation de l’orgue évoqué tantôt, les huit cents ans (célébrés comme “huit-cents”, selon la réforme orthographique pupute de 1990, ce qui est une curieuse façon de valoriser le temps long et la tradition !) de la cathédrale Saint-Étienne de Toul ont fourni le prétexte qui voit succéder l’orgue Schwenkedele/Koenig au Metzler de Saint-Pierre de Genève et au Cliquot/Cavaillé-Coll de Notre-Dame de Paris. Spécificité du projet : il est constitué d’une mosaïque d’interprètes, essentiellement constitués par des élèves des grandes classes d’orgue de France… et de la Hochschule  für Musik de Stuttgart.
Certaines mairies fêtent leurs événements en inaugurant une “œuvre d’art” bien pourrie sur un rond-point ; la municipalité de Toul, renforcée par l’ensemble du réseau de Pascal Vigneron, a choisi de soutenir l’enregistrement de huit disques point marqués par le populisme et la dictature du médiocre, du vulgaire et du dégradant, censée être une garantie de vivre-ensemble. Il faut saluer à la fois l’audace des sponsors, qui plus est politiques, et la ténacité incroyable du directeur artistique dont on peine à imaginer l’énergie dépensée pour parvenir à cet exploit – si hénaurme que l’on veut bien presque oublier les scories orthotypographiques – entre autres – qui pullulent sur les pochettes et dans le livret, suscitant cet étonnement toujours renouvelé : comment un projet aussi ambitieux peut-il ne pas prendre en compte ce genre de détails qui n’en sont pas ?
Le premier disque réunit des pièces diverses, notamment celles des débuts (ce sont ces pièces que va évoquer la présente notule), et le début de L’Ascension. L’incipit est essentiellement confié à des interprètes issus du gratin de l’orgue français. “Le Banquet céleste” (1928), première pièce éditée d’Olivier Messiaen, écrite pendant ses vacances estivales, se revendique “très lente et extatique”. En Fa# ou presque, elle est confiée à Éric Lebrun et déploie d’emblée

  • les fonds riches de l’instrument,
  • une ample résonance qui n’exclut pas la netteté lors des changements d’harmonie et
  • une prise de son parfaite pour restituer la spatialisation complexe d’un son d’orgue sur de longues tenues.

L’interprète affiche la sérénité indispensable mais aussi l’allant décidé quand arrive l’égrenage aigu. Le Prélude (1928 ?) fait partie des pièces publiées à titre posthume, avec “Offrande au Saint Sacrement” et “Monodie”. Jean-Paul Imbert est sur le banc pour cette œuvre qui s’ouvre sur des jeux flûtés avant que des sonorités plus métalliques ne permettent à la cellule initiale de se développer de façon quasi cyclique. Un deuxième motif, pris très allant, travaille avec attention les différents plans sonores de l’orgue en jouant sur les boîtes expressives. À un projet mélodique, Olivier Messiaen préfère une logique motorique qui, s’auto-entretenant, finit par s’irriter et provoquer l’arrivée des pleins jeux. Un long silence précède un retour au calme en deux temps.
Deuxième pièce à avoir été dévoilée autour de 2001, Offrande au Saint Sacrement (1930) est confiée à Michael Matthes. Sur des accords tenus, une arabesque volontiers chromatique va et vient, bientôt remplacée par un deuxième thème qui fige l’accompagnement. Puis le premier motif reprend du service, et le deuxième thème se greffe derechef sur cette branche jusqu’à la coda de quatre accords, construisant une œuvre éclair et claire à laquelle une interprétation sans falbala convient fort bien.

Diptyque (1930) respecte le projet du titre : une partie en crescendo parfois comparée à une toccata alla Dupré (co-dédicataire) et, à défaut de fugue, une “montée mélodique extrêmement lente” sous-titrée “Essai sur la vie terrestre et l’éternité bienheureuse” (5’50). Jürgen Essl y trouve double occasion de briller. L’orgue met en valeur la clarté de son interprétation en lui permettant de détacher chaque plan. L’auditeur est notamment saisi par

  • le travail de précision,
  • l’art de la respiration et de la registration remplaçant la sensation de répétition par l’impression d’itération augmentée, et
  • la maîtrise technique permettant à la musique d’advenir en dépit de la profusion de notes et d’accords.

S’ensuit une seconde partie planante dont l’interprète rend le charme mystique grâce à des choix de jeux convaincants. Certes, ceux qui préfèrent la radicalité iront plutôt piocher la version d’Olivier Latry, aux contrastes plus appuyés. La version de Jürgen Essl n’est pas moins intéressante, portée par un musicien habile et sensible, et parfaitement sertie dans l’écrin de l’orgue mis à sa disposition.
L’Apparition de l’Église éternelle (1932) et sa disparition (commençant vers 6’10) sont laissées à la responsabilité de David Cassan – lourde responsabilité : à notre goût, c’est sans doute l’une des plus belles pièces du coffret ! Cela pourra surprendre ceux qui iraient directement à la piste 5 : le Diptyque (piste 4) continue de résonner plus d’une seconde après le début de la piste suivante, comme si le DA souhaitait privilégier une écoute continue, tuilée, presque glissée. Au reste, le grand crescendo prévu ne commence pas si pianissimo qu’on l’entend parfois – façon peut-être, pour l’interprète, de signifier, dans une perspective messiaenique, que, avant l’Église, l’esprit de l’Église flottait déjà sur le monde. L’Épouse de l’Agneau, “faite de l’âme des élus”, se profile néanmoins petit à petit, accord après accord. Sans que cela n’étonne chez un organiste aussi formidable que David Cassan,

  • le tempo est maîtrisé,
  • la sollicitation de l’orgue est optimalement stratifiée, et
  • les respirations sont un modèle d’équilibre différenciant la section du son et le silence.

L’orgue, dont la reconstruction a été suivie de près par Pascal Vigneron, dévoile ici ses grandes qualités :

  • variété de timbres,
  • richesses des mélanges,
  • dialogue avec la résonance de la cathédrale (qui n’a pas dû être simple à restituer),
  • harmonisation d’ensemble séduisante et, ce jour-là,
  • accord impeccable – on imagine que Julien Marchal et la maison Koenig ont dû être grandement à l’œuvre avant et pendant les captations !

Le Verset pour la fête de la Dédicace (1960), bien plus tardif, est un morceau de concours imposé au CNSMDP. Aux manettes, cette fois, Denis Comtet, l’un des rares artistes à être aussi sollicité comme chef de chœur que comme virtuose de l’orgue. À lui de jongler avec des registrations variées dans lesquelles se love le remix d’un alléluia grégorien confié au cromorne. La pièce, fragmentée, associe

  • passages posés et surgissements mystérieux,
  • triple exposition du thème et symétries de développement,
  • monodie, duos et harmonisation profuse.

Interprétée sans hâte, avec la fermeté sereine qui sied, elle renonce à tout effet spectaculaire mais, grâce à l’aisance de son porte-voix, permet de continuer à explorer, sur des rythmes variés, les possibles de l’orgue de Toul…
… dans lesquels nous nous plongerons prochainement pour L’Ascension, mais sans la Monodie de 1963, que s’était réservé Pascal Vigneron, qui reste indiqué sur la pochette du disque et sur le coffret mais a été omise au pressage et dans le livret puisque, nous signale après lecture l’intéressé, elle a été réservée pour la fin du dernier disque (seule la pochette est fautive). Nous n’y sommes pas encore mais nous en approchons déjà !


Pour acheter le coffret, y a sans doute un moyen mais je l’ai pas trouvé pour le moment.
À suivre !