Olivier Messiaen, Intégrale de l’œuvre d’orgue, Forlane – 2 – L’Ascension

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Fêtons l’Assomption avec L’Ascension – deux jours Ferrier, jusqu’à ce que Sandrine Rousseau prenne le pouvoir, sans doute – en poursuivant notre exploration de l’intégrale Messiaen manigancée sur l’orgue de Toul par son grand maître, le sieur Pascal Vigneron. L’œuvre est aux trois-quarts une transcription par Olivier Messiaen d’une pièce pour orchestre à laquelle il a ajouté un mouvement original faute d’avoir réussi à adapter celui qu’il avait déjà écrit. Trois élèves du CNSMDP sont chargés de l’interpréter, ce qui pointe l’une des originalités majeures de cette intégrale partagée : la confiance dans le vivier des jeunes loups de la discipline – un vivier formidable, méconnu et quasi inaudible dans un marché du disque d’orgue étique en grande partie accaparé par quelques pontes.
Jonas Apeland hérite des premier et dernier mouvements. “Majesté du Christ demandant sa Gloire à son Père”, c’est donc pour lui. Le jeune interprète prend d’emblée une option radicale en optant pour un tempo lentissime (à l’arrivée, la pièce durera 9’18 contre 6’46 dans la version Latry). Certains, selon leurs chapelles musicologiques ou leurs capacités de méditation, s’extasieront devant cette radicalité prudente ; d’autres estimeront que davantage de tonus n’aurait pas nui à l’éclat de la majesté christique. Hors du jeu des comparaisons, nous admettrons que cette lenteur extrême nous désarçonne (c’est son côté positif) et néanmoins nous exclut. Certes, Louis Thiry rappelait que les indications précises de tempo sont rares, chez Olivier Messiaen… mais lui jouait la pièce en 5’41. Trop de langueur donne une impression de longueurs qui n’est pas imputable à la partition. Béchamel sur le vol-au-vent, des abus d’une boîte expressive utilisée comme une pédale wah-wah pourront paraître plus vulgaires que signifiants. Ils nourrissent notre déception et, preuve que nous sommes moins concentrés qu’à l’accoutumée, nous font craindre de façon anticipée le dernier mouvement, annoncé en 14’14 (9′ pour Latry, 7’17 pour Thiry).
Moins d’incongruité dans le tempo que choisit Mélodie Michel pour “Alléluias sereins d’une âme [pas “sereine”, contrairement ce qui est écrit sur le livret et la pochette] qui désire le ciel”, pilier du répertoire des messiaenophiles. Ce conformisme, sain et pertinent, permet à l’auditeur de mieux goûter les registrations pertinentes et adaptées à l’orgue de Toul.

  • Le travail rythmique,
  • la caractérisation des segments et
  • un sens musical affirmé (gestion
    • des nuances,
    • des ralentendi et
    • des phrasés)

font de cette roposition une version techniquement propre et artistiquement digne.
À Quentin du Verdier de claquer les vibrionnants “Transports de joie d’une âme devant la gloire du Christ qui est la sienne”. Le deuxième disque de l’intégrale s’ouvre sur un dépoussiérage des tuyaux et un débouchage des esgourdes.

  • Les choix de silences,
  • la répartition des plans,
  • la tonicité des traits au risque de la bousculade enivrée,
  • la maîtrise des contrastes et
  • la franchise des attaques

dépassent le simple “grand effet” pour chercher la musique donc l’esprit mystique celé dans cette sorte de grosse toccata. L’orgue répond avec gourmandise aux exigences de la partition devant lesquels ne se dérobe pas le jeune interprète ; et l’excellence de la prise de son achève de séduire.
Jonas Apeland reprend le banc pour la “Prière du Christ montant vers son Père”, le moment-clef de l’Ascension pour les chrétiens. Comme il fallait le craindre, hélas, les durées choisies par l’organiste dépassent notre capacité de méditation. Les harmonies ne sont plus posées, elles s’étalent avec une once d’autosatisfaction ou de panique, l’une n’empêchant pas l’autre. Les jeux sont beaux, donc le textile est agréable à contempler un moment ; le porter ? Il n’y faut pas penser. Le tissu paraît distendu, informe, mal assemblé. On veut bien que l’option de la lenteur soit liée à une vision musicologique très spéciale plutôt qu’à un semi déchiffrage, mais on doit admettre que, à sonner si précautionneuse, elle en vient à ressembler fichtrement à… un déchiffrage – de qualité, mais un déchiffrage quand même. Loin de monter avec le Christ, on reste, le front plissé, tanqué dans l’ennui, l’agacement et la consternation. Pis, on peut bien l’avouer : subitement privé de toute pulsion céleste, on a abandonné au milieu de la montée. C’est un renoncement rare, mais poursuivre en se traînant encore 7′ était au-dessus de nos forces.
Sauf le respect que l’on essaye de porter à chaque artiste évoqué dans ces griffonnages, autant que nous en puissions juger, l’erreur de casting est étonnante. Bien que nous ne soyons pas l’agent d’Esther Assuied, il est évident que d’autres élèves du tandem royal Latry-Ospital ont un niveau technique et musical autrement plus affirmé, à ce stade, que celui de Jonas Apeland. Le choix, sans doute partagé par le DA et les enseignants du CNSMD, est regrettable. Certes, vu le statut des personnages en jeu, cette décision a probablement été prise en toute conscience, ce qui ne la rend pas moins saugrenue. On aurait tendance à subodorer qu’elle a été motivée par l’une de ces inimitiés qui fermentent et recuisent avec une aigre jubilation dans le petit monde de l’orgue, fût-ce celui du très haut niveau, comme dans maints autres microcosmes. La conséquence de cette option n’en reste pas moins dommageable et pour l’artiste doublement exposé, dont elle ne grandit qu’artificiellement la discographie en construction, et pour le coffret lui-même car, in fine, elle pénalise surtout l’intégrale dont le premier grand cycle paraît moins original qu’inabouti.
Ce nonobstant, i
l faut tempérer une telle notation. Il se peut que, n’en déplaise au critique qui se croit sinon objectif du moins honnête, cette proposition soit géniale – et pourquoi pas ? l’épithète est tant galvaudée ! Il se peut même qu’elle vise, avec une bonne dosette de mauvaise foi, à renouveler notre regard sur une pièce que nous croyions avoir ouïe par le passé. À notre aune, elle fait tchoufa, et la curiosité suscitée par les pièces diverses jouées par les maîtres tend à s’éroder. Par chance, atténuée par les prestations de Mélodie Michel et Quentin du Verdier, la déception ne suffit pas à faire fondre notre curiosité pour la version de La Nativité du Seigneur préparée par le CRR de Nancy, sous la houlette de David Cassan. Ce sera l’objet de la prochaine recension du coffret !


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1 – Pièces diverses