“The Guilty”, Cinéma des cinéastes, 30 juillet 2018

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La problématique : la mode des polars qui viennent du froid touche le cinéma comme la littérature. Voici donc un film dont le titre danois a été habilement traduit en français par The Guilty, tellement sexy. Mais qui est ce ou cette coupable ? et le film de Gustav Möller est-il vraiment un film, puisque le réalisateur s’échine à ne pas filmer ce qui fait le cœur de l’action ?
L’histoire : Asger est puni. Cet agent de la police danoise s’est mal comporté. Suspendu de ses fonctions sur la voie publique, il est affecté aux appels d’urgence en attendant son jugement, le lendemain. Alors que son service est sur le point de prendre fin, une femme prénommée Iben l’appelle. Elle vient d’être enlevée par son ex. Prisonnière dans une camionnette blanche, elle laisse derrière elle son très jeune fils et sa jeune fille. Asger envoie des agents à son domicile et lance les recherches pour sauver la malheureuse. Mais le très jeune fils est mort, et la malheureuse, eh bien…


Le film :
The Guilty est filmé dans deux pièces closes et un couloir. Il n’y a quasiment qu’un acteur en live, Jakob Cedergren, ses principaux interlocuteurs restant au téléphone. Le projet fonctionne donc sur deux défis : le temps réel et la captation de tout ce qui n’est pas l’action. Les deux astuces jouent sur la frustration du spectateur, puisqu’il s’agit de donner l’impression que « ça ne va pas assez vite » et que « l’autre, là, il devrait aller sur place plutôt que solliciter collègues hostiles ou potes plus ou moins refroidis ». Le pari, en soi, est assez malin. Il contrarie maintes habitudes scénaristiques, maintes coutumes du polar, maintes facilités chères au spectateur. Il permet aussi de développer le contraire d’un film muet : un film sonore, puisque l’essentiel se passe dans les coups de fil échangés entre Asger et ses interlocuteurs. Pour autant, est-il totalement séduisant ?


Malgré l’aspect ascétique donc violent et excitant de la chose, ce film intelligent peut décevoir. D’abord parce que, peut-être par obligation, il rentre dans les codes du polar moyen (le flic a, disons pour ne pas spoiler, ses propres démons, tant perso que pro, qui ne le rendent pas toujours bon juge, l’histoire le prouvera). Ensuite parce que, si le cinéaste retire l’action du visuel pour la rabattre sur le son, il n’offre guère de nourriture visuelle, à notre appétit, pour substituer à ce sobre retrait une chips ou une noix de cajou susceptible de nous laisser en appétit – en clair, ne rien montrer, c’est mignon, stimulant pour les esgourdes, tout ça, mais, sur 90’, ça finit par ressembler un brin à une facilité, si l’on excepte la scène de l’aveu final avec les collègues plus ou moins flous. Enfin parce que le scénario paraît être tiraillé entre sa volonté d’être audacieux (on voit que ce qui se passe pas) et bien gentillet (ça se termine presque bien, et tout est explicité à la fin, en contradiction avec l’affirmation du réalisateur qui déclare avoir choisi l’acteur parce que « avec ses yeux, c’est comme s’il vous cachait un secret »).


La conclusion :
The Guilty est un film fort intéressant mais qui échoue à nous séduire pleinement. C’est en partie notre faute : difficile de nous éblouir avec une pièce de théâtre filmée. Bizarrement, ce nonobstant, il faut l’admettre, nous aurions pu adhérer à ce film si le bouclage n’avait pas été aussi ferme. De fait, notre objectivité de non-cinéphile nous oblige à admettre qu’une certaine déception nous saisit devant la contradiction entre un projet original (on va faire un film où le son désamorce la nécessité du voir) et le souci de rester autant que possible « réaliste » (plans larges, référents, costumes). Aussi la tension entre une narration classique et la volonté de créer un huis clos téléphonique dissonant (loin de l’énergie mainstream  de Phone Game, par exemple) voire invraisemblable (un flic accusé d’avoir buté un jeune est toujours en fonction) nous semble-t-elle fonctionner à demi. Bref, nous eussions aimé éprouver la veine onirique de ce film inégalement recherché, afin de rejeter l’idée que nous eussions eu plus de joie à l’applaudir à la télé en tant que théâtre filmé.
(Oui, ça fait beaucoup de “zussion”, mais bon, foutez-nous des titres en français et on reparlera stylistique, bon sang.)