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Irakly Avaliani joue Johann Sebastian Bach (L’art du toucher) – 1/4

Première du disque

 

Certes, surprennent, sur la première du disque,

  • la photo où l’artiste semble tenter d’énucléer son système oculaire, ainsi que
  • l’appellation de « Jean-Sebastien Bach », francisation à la fois surannée et erronée faute d’accent.

Ce nonobstant, cet étonnement n’ôte rien à notre excitation de zozo ayant ouï, oui, au disque Irakly Avaliani dans

  • Tchaïkovsky,
  • Chopin,
  • Schubert et
  • Brahms

(pour retrouver ces 21 aventures et quelques autres, rendez-vous ici). D’autant que le présent disque commence par les monumentales donc redoutables fantaisie chromatique et fugue en ré mineur BWV 903 entendues quelques mois plus tôt en concert à la salle Cortot (une notule en garde trace ici). Une fois de plus, nous sommes cueilli d’emblée par la virtuosité de la fantaisie, car elle est multiple. Elle sourd a minima

  • d’une vélocité qui semble sans limite,
  • d’un spectre de dynamiques qui donne les impulsions nécessaires, et
  • d’une égalité dans le flux mélodique qui assure la lisibilité derrière la surabondance presque provocatrice de notes.

 

 

Irakly Avaliani rend brillamment

  • les foucades de la partition,
  • la jubilation de la girouette tonale en pleine tempête et
  • le mélange d’exigence rythmique et de liberté que la toccata fusionne dans un même geste compositionnel.

S’entrechoquent donc

  • torrents digitaux,
  • suspensions mystérieuses,
  • effets d’attente et
  • traits tonifiant par à-coups la méditation qui s’installe parfois.

L’interprète justifie, s’il en était besoin, l’intérêt d’une interprétation sur piano (un Fazioli accordé par Jean-Michel Daudon et capté par Joël Perrot) : outre la sensation grande de liberté qui épouse le projet même de « fantaisie »,

  • la polymorphie du toucher,
  • le vaste éventail de nuances et
  • la justesse de la pédalisation

concourent pour

  • capter l’attention,
  • susciter l’intérêt au long des dix minutes de voyage et
  • éclairent l’écoute

jusqu’à la tierce picarde finale.

 

 

La fugue ternaire s’ouvre avec l’exposé du sujet taillée dans la plus fine dentelle. Tout est précieux :

  • le toucher délicat,
  • la nuance d’un piano très pur et, bientôt,
  • la clarté de la polyphonie qui éteint presque toute impression de complexité de composition ou de difficulté d’exécution.

Irakly Avaliani dégaine

  • des trilles élégantes,
  • de saisissants équilibres en trio et
  • un allant inaltérable

qui participent joyeusement à la réussite de cette version, et laissent augurer d’une fine intelligence du contrepoint alla Bach. De quoi mettre en appétit avant les trois autres œuvres au programme de ce disque…

 

À suivre !


Pour écouter l’album en intégralité, c’est par exemple ici.

 

Peter et Zoltan Katona, “Alhambra Inspirations” (Solo musica) – 3/3

Quatrième du disque

 

Du disque des jumeaux Katona sourdent trois problématiques :

  • guitaristiquement, et hop, les gars semblent formidables mais ne s’en satisfont pas, they want more and that’s fuckin’ cool ;
  • stylistiquement, pour ce disque, ils ont décidé de mélanger des morceaux réinvestis ou inventés ;
  • ontologiquement, il est compliqué de comprendre ce qui est originel et ce qui ne l’est pas – et ce rejet d’une authenticité génético-structurelle, manipulée par des instrumentistes formidables et par un arrangeur créatif, c’est forcément joyeux.

Paradoxalement, pourtant, manière de gêne peut venir de la trop grande science des gars. Pas techniquement car ça,

  • ça roule,
  • ça étincelle,
  • ça ébaubit ;

mais la maîtrise sage de la composition et de l’orchestration dont témoigne Peter Katona peut partager l’auditeur entre le « waouh, c’est vachement bien fait » et le « mais avec une telle science musicale et un tel savoir-faire, pourquoi pas créer un truc personnel et éblouissant » ? On aura compris que la seconde posture est un malentendu. Les gars veulent se couler dans un projet « à la manière de », certes limitant mais pas moins brillant, dont témoigne le titre de leurs disques et les photos de la couverture.
Reste que la troisième partie du disque illustre notre gêne andrérieurique qui stupéfie d’autant plus que, pour le coup, contrairement au mec au brushing, les gars semblent des musiciens hors classe. Ainsi, « Mallorca », siglée Isaac Albéniz, n’a jamais été une barcarolle pour deux guitares comme le laisse supputer la quatrième de couverture du disque physique. Dès lors, dans un premier temps, l’on pourrait s’offusquer sur l’air du : pourquoi ne pas reconnaître qu’il s’agit d’un arrangement ?
Ce serait oublier que l’album entier louvoie autour de la question de l’authenticité – alors qu’il aurait, à notre aune, eu meilleur compte à assumer explicitiement l’excitante idée

  • de transformation,
  • d’arrangement ou
  • de transmutation.

 

 

Pour preuve, dans sa version katonique, la barcarolle qu’est Mallorca sertit avec talent

  • les dialogues,
  • les harmoniques,
  • les mordants,
  • les modulations,

dans la finesse musicale des interprètes

  • (intentions,
  • nuances,
  • dialogue),

sans feindre de s’en tenir à l’original pianistique (c’est pas le but de l’arrangement, puisque c’est un arrangement),

  • éblouit,
  • sidère et
  • séduit.

Le résultat est rutilant. Reste qu’un peu d’honnêteté en sus nous conviendrait : pourquoi diable prétendre que c’est du Albéniz alors que c’est du Albéniz + Katona’s brothers ? Même question sur le quintette de Luigi Boccherini pour guitare et quatuor à cordes : pourquoi prétendre que c’est du Boccherini alors que vous transformez le truc à deux guitares pour « être plus hispanisants » ? Sérieux, tíos, vous valez tellement mieux que du fake, pourquoi cacher l’effort consenti pour transformer – et avec habileté, science et méthode, qui plus est – la chose en compagnie de

  • Wietse Beels,
  • Gudrun Vercmpt,
  • Vincent Hepp et
  • Martjin Vink ?

Certes, en première intention, le travail sur

  • la basse,
  • les unissons,
  • les tierces

peine à éberluer dans l’introduction.

  • La vivacité du fandango, en dépit des nuances, souffre des doublons entre le violon 1 et la guitare 1.
  • La prise de son qui tente de surligner l’intérêt du propos est fatigante.
  • In medias res, la percussivité peu idiomatique de la guitare 1 ne séduit point davantage en dépit du travail sur les sonorités en glissendi.

On voudrait être séduit, et cependant on rechigne car, certes,

  • les castagnettes surprennent,
  • la persistance de la percussion guitaristique amuse, et
  • l’ensemble pourrait complaire s’il assumait son propos.

Las, en l’état, c’est

  • mignon,
  • fort bien façonné mais
  • point aussi wow qu’on l’aurait espéré.

 

 

La oración del torero (visiblement, l’accentuation hispanique du « o » était plus chère qu’un claquement de castagnettes), un quatuor de Joaquín Turina, souffre de ce même manque d’honnêteté qui insère un propos pour quatre luths arrangé par le compositeur pour quatuor à cordes dans un disque pour deux guitares et plus si affinités. Les cordes de la Chapelle musicale de Tournai s’en tirent plutôt avec les honneurs malgré

  • certaines justesses approximatives (0’59, par exemple),
  • certains unissons pas très nets, et
  • certains départs floutés.

Toutefois, les changements de

  • tempo,
  • caractère, et
  • dynamique

sont assurés, sans pour autant justifier une fin de disque très éloignée d’un projet « Katona twins guitar duo ». En somme, une réalisation fomentée par deux brillants solistes dont un wannabe compositeur qui décevra peut-être les fanatiques du duo mais satisfera les amateurs d’une musique savante tranquille à base de tranquillade – avec cette crainte du snob de reconnaître que c’est vachement bien, mais ç’aurait pu être vraiment vachement bien (suivez-moi pour plus de critiques cryptiques).


Pour écouter le disque gracieusement et en intégrale, c’est par exemple ici.

Fruits de la vigne – Instinctive (L’Affût)

Photo : Rozenn Douerin

 

Parfois, suite à une demande spéciale ou à une inspiration qui lui est propre, le dealer de vins se faufile dans le labyrinthe de sa réserve et en revient une quille à la main et des pétillements dans les yeux. Sans hésiter, il affirme : « Ça, tu vas aimer. » Ce jour-là, « ça », c’est un Touraine inventé en Sologne par Isabelle Pingault, étiqueté avec soin et, c’est l’usage dans tant de vignobles, namé plus que nommé « Instinctive ». La raison :

 

Quand on devient jeune vigneronne, sans transmission familiale, et qu’on réalise son premier millésime, la seule chose à laquelle on peut se fier, c’est son instinct.

 

Un instinct bien tempéré par des études d’agronomie et d’œnologie, mais un instinct quand même, qui asseoit ce vin de France – appellation jadis infamante, aujourd’hui revendiquée par des vignerons cherchant à créer leur jus quitte à déroger aux règles des appellations locales – sur environ

  • 90 % de sauvignon blanc,
  • 5 % de chenin et
  • 5 % de menu pineau

(la recette originelle introduisait, elle, du chardonnay, lequel a disparu dans la cuvée proposée à notre dégustation si l’on en juge à l’étiquette de dos). La robe est

  • unie,
  • presque diaphane,
  • à peine éclairée par une teinte d’or modestement diluée.

Le nez

  • est discret,
  • diffuse une fraîcheur agrumée et
  • préfère la finesse à l’outrecuidance.

La bouche déploie

  • une douceur ronde,
  • une souplesse élégante et
  • une amertume bienvenue

avant de se stabiliser autour d’une finale résolument pamplemousse, à en croire nos papilles et naseaux de non-spécialiste. Le mariage avec une choucroute est particulièrement séduisant : le calme du chou, oscillant entre sucré satisfaisant et acidulé stimulant, renforce l’intrigante amertume du vin sans lui ôter sa rondeur joliment construite.
Il paraît que les quilles de la même appellation voire du vignoble tout entier risquent de se faire rares jusqu’à disparaître dans les mois ou les années à venir. Ce serait fort dommage, vu l’instinct de leur fomentrice. Moi, la dernière fois que j’ai eu de l’instinct, c’est quand je me suis réveillé en me disant : « Je suis sûr qu’il est 8 h 37 » et que, en effet, il était 8 h 37. Il faut croire que, dans la vie, certains ont l’instinct aromatique, d’autres l’instinct 8 h 37. Maudit sois-je d’avoir hérité du second !

 

Jean-Nicolas Diatkine, “Live à Gaveau” (Solo musica) – 2/3

Première du disque

 

Sommet – pas unique, évidemment, mais très sommital quand même – du répertoire du dix-neuvième siècle pianistique, l’impressionnante sonate en si mineur de Franz Liszt a récemment connu de nombreuses interprétations prenant, chacune à sa façon, le défi à bras-le-corps. Parmi elles,  quelques-unes, incluant celle de Jean-Nicolas Diatkine, ont été croquées sur ce site. La revoici, fixée sur disque, sous les doigts d’un pianiste axant son propos sur la narrativité du drame de Faust – selon lui, chaque motif récurrent est comme un personnage (Faust lui-même, Marguerite, etc.) et la demi-heure de musique est une longue histoire grave et secouante qu’il conte à ses auditeurs.
En guise de « il était une fois », un prélude, lento assai, dont les unissons s’ancrent profondément dans les profondeurs du piano. Le musicien n’y surjoue pas la tension dramatique, préférant, par

  • le tempo,
  • les dynamiques et
  • les choix de pédalisation,

avancer vers l’allegro energico qui s’annonce. Là encore, le conteur la joue finaude en préférant

  • le suspense au vacarme,
  • l’intrigant au pétaradant, et
  • l’irrégularité du surgissement à l’univocité du terrifiant.

Se déploient

  • doigts déliés,
  • poignets souples et
  • conduite fermement tenue non pas en dépit de la virtuosité mais comme en contrepoint à cette exigence vertigineuse.

D’impressionnantes séries d’octaves conduisent à la première grande modulation et la nourrissent jusqu’au grandioso en Ré et à trois temps. Avec art, Jean-Nicolas Diatkine souligne la tension entre

  • lyrisme,
  • fragmentation et
  • mutations chromatiques des leitmotivs.

En guise de développement, Franz Liszt s’amuse à jouer, derrière une apparence quasi rhapsodique, sur l’itération

  • de séquences identifiables dont il modifie la couleur,
  • de ruptures que leur répétition apparente à des à-coups laissant présager une explosion longtemps suspendue, et
  • de contrastes récurrents, tantôt progressifs et tantôt brusques voire brutaux.

La partition

  • regorge d’irisations drapant de moire les thèmes mâchés et remâchés,
  • multiplie les changements de registres donnant une ampleur époustouflante à l’instrument et
  • associe de nombreux types d’écriture (plus ou moins mesurée, percussive, spectaculaire).

L’interprète doit donc associer

  • brio hors du commun,
  • familiarité avec un matériau plus que dense pour qu’il sonne et ne se contente pas de bruiter,
  • science de la musicalité pour danser en écho de la narration.

Force est d’admettre que l’on est ébaubi par la capacité de Jean-Nicolas Diatkine à faire sonner les voltes

  • de tonalité,
  • de caractère et
  • d’intensité…

… le tout en concert, sans filet de sécurité. Un andante sostenuto et un quasi adagio peinent à apaiser durablement la situation, ce dont témoignent les incessantes mutations de nuances, de registres, de tonalités, de phrasés et de mesures.

C’est

  • musicalement puissant,
  • techniquement improbable
  • et intérieurement magnifique,

voilà.

 

Jean-Nicolas Diatkine à la salle Gaveau, le 4 décembre 2023. Photo : Rozenn Douerin.

 

La maîtrise

  • du tempo,
  • de la construction narrative et, évidemment,
  • du clavier

sidère assez pour embarquer le spectateur dans une aventure qui, certes, sur notre exemplaire, ne correspond pas aux pistes indiquées, mais, franchement, on s’en tampiponne le bibobéchon : cette erreur d’édition n’impacte en rien la lecture et notre désir de savoir la suite comme si, au lieu d’écouter Faust by Liszt, on était aux basques de la plus catchy des séries du monde interstellaire.
L’allegro energico en fugue (techniquement : des voix vont s’enchevêtrer, mais aussi accidentelle : on passe de six dièses à cinq bémols) éblouit à son tour.

  • Efficience formidable du staccato,
  • clarté improbable de la polyphonie,
  • habileté des modulations – qui revient au compositeur et à l’interprète capable d’en faire sentir l’inéluctable logique pas si logique que ça,
  • variété des attaques,
  • énergie de la virtuosité et des contretemps,
  • perfection de la maîtrise des registres :

la réécoute du concert auquel on a assisté

  • revigore,
  • réjouit et
  • élève.

Le più mosso qui suit pourrait n’être qu’une démonstration insolente de savoir-faire s’il ne se teintait

  • de poésie (l’attention aux suspensions !),
  • de dramaturgie (l’improbable cohérence des changements de caractère !) et
  • de l’aura qu’a le piano quand il devient plus grand que lui-même.

Le retour en majeur et son sublime aboutissement entre

  • binaire,
  • ternaire et
  • liberté des traits

(donc les trois à la fois) est d’une netteté et d’une émotion à tomber. Tout est accompli avec

  • finesse,
  • intention et
  • compréhension holistique donc personnelle de la partition.

La strette puis le presto puis le prestissimo stupéfient et émeuvent tout autant,

  • techniques,
  • grandioses et
  • résonants

qu’ils sont. L’andante sostenuto tente de calmer l’histoire. En vain, protestent l’allegro moderato (et, en fond, l’excellent écho du métro, parfait comme l’était l’orage, lors du concert 2021 de JND). L’interprète excelle à

  • associer l’inassociable,
  • rendre cohérent l’irréductible,
  • surplomber le diffus

Le lento assai boucle la boucle. Même si nous aimerions nous laisser éblouir par l’illusoire espérance de l’enciellement esquissé par les accords de la main droite, ne nous attend que le si le plus grave du piano. Désespérant donc magnifique.

 

À suivre !


Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.

 

Penser la mort, modes d’emploi

Photo : Rozenn Douerin. Affiche : Studio MA.

 

On n’aime pas y songer, mais c’est une réalité : quelque 700 000 Français meurent chaque année. Un beau jour (ou peut-être une nuit), 100 % des êtres vivants font de même et ce, depuis des milliards d’années environ. Pourtant, personne ne sait ce que c’est, la mort, bien que beaucoup – religieux, scientifiques, illuminés, artistes, etc. – prétendent le contraire. Après avoir longuement plongé dans ces eaux noires pour un projet éditorial qui n’a finalement pas vu le jour, je suis remonté à la surface avec quelques éléments de réponse donc pas mal de questions que je propose de partager à l’occasion du « jour des morts » qu’est le 2 novembre.
En m’appuyant sur une très riche documentation et une enquête sans concession, loin de tout prosélytisme idéologique ou spirituel (c’est pas trop le genre de la maison), je vous invite à un parcours

  • léger,
  • décalé,
  • vivifiant (si),
  • accessible à chacun et
  • rythmé par quelques fredonneries sur le thème du jour.

Ainsi, avec la participation mortelle de Jann Halexander, nous nous promènerons sur les chemins de traverse situés entre la conférence très sérieuse et le one-man-show farfelu, pour nous aider à mieux réfléchir à ce qui nous attend tôt ou tard. Les infos :

  • samedi 2 novembre, 16 h ;
  • durée : 1 h 15 environ ;
  • théâtre-atelier du Verbe | 17, rue Gassendi (Paris 14) | métro : Gaîté ;
  • réservations ici ;
  • événement inspiré par La Mort, modes d’emploi, disponible en pdf ici.

 

Peter et Zoltan Katona, “Alhambra Inspirations” (Solo musica) – 2/3

Première du disque

 

Comme la première partie du disque des frères Katona, la deuxième comprend un duo de guitares puis un concerto écrit par Peter Katona. L’arrangement qui ouvre ce tiers-temps investit « Oriental », la deuxième des Douze danses espagnoles pour piano op. 37 d’Enrique Granados, ici transposée pour deux guitares. On y apprécie les nuances

  • d’intensité,
  • de couleur et
  • de jeu (dont témoignent les harmoniques).

Le lento assai central est lui aussi baigné dans une lumière habilement modulée ; et la reprise du premier motif conforte l’évidence

  • d’une technique,
  • d’une habileté et
  • d’une musicalité très séduisantes.

 

 

Ravaudant trois sonates de Domenico Scarlatti en un double concerto, Peter Katona se propose même de terminer le troisième mouvement en « un morceau de heavy metal » avec impros rock et solo de percu claqué par les guitares, diable ! L’allegro se présente comme une pièce beaucoup plus sage qu’étoffe paisiblement la Chapelle musicale de Tournai sous la direction de Philippe Gérard.

  • Ornements vivifiants,
  • dialogue avec l’orchestre ou la flûte, et
  • breaks suspensifs

animent notamment le récit. Sans convaincre tout à fait de l’intérêt musical de la chose, le résultat n’en demeure pas moins entre

  • mignon,
  • joliment tourné et
  • élégant.

L’aria déplie le mode mineur et sa mélancolie presque consubstantielle.

  • Langueur,
  • nostalgie et
  • un brin de fatalisme

émanent de la partition, troussée avec un savoir-faire certain. L’intervention des cuivres y ajoute la dramatisation qui va bien avant que le retour au calme n’égrène à nouveau le thème à découvert.

 

 

« Scarlatti’s Metamorphosis » enquille avec un « attaca subito » où l’énergie des guitares s’amuse de ce tube de Scarlatti, la sonate K141, souvent métamorphosé, en effet (on pense par exemple à l’excellent arrangement pour sept toy pianos et contrebasse inventé par Pierre Bastaroli pour l’ensemble StaccaToys).

  • Célérité,
  • tonicité des attaques,
  • suspensions,
  • inclusion d’un tambourin

n’ont pas grand-chose de heavy metal mais s’écoutent avec intérêt et amusement, ce qui n’est pas la pire des façons d’écouter la musique savante qui prend plaisir à sortir de son sillon. Le passage central, virtuose et inattendu, est parfaitement bienvenu et accentue le sourire de l’auditeur. Une excellente manière de donner envie d’ouïr la dernière partie de ce disque, ce que nous raconterons dans une prochaine notule.

 

À suivre, donc !


Pour écouter le disque gracieusement et en intégrale, c’est par exemple ici.

 

Pour une histoire du cool

Affiche (détail) : studio MA

 

1.
Le concept

S’il est un mot et une idée que nul n’associerait spontanément à l’orgue, c’est bien le cool. Armé de son sax soprano, Pierre-Marie Bonafos a accepté de s’associer à moi pour démontrer que cette prévention est infondée. Ce récital – opportunément programmé en point d’orgue aux vacances… – veut donc raconter une histoire du cool, défini comme un état

  • calme,
  • détendu et
  • doux.

Ennuyeux, en somme ? Au contraire ! Le cool est le comble

  • de l’exotisme,
  • du jubilatoire et
  • du polymorphe

dans une vie où, bien souvent, tout est davantage

  • stress,
  • bousculade et
  • précipitation

que calme, luxe et volupté. Le cool, c’est

  • l’art de faire un pas de côté pour se poser dans la nuance de cool qui nous convient,
  • la capacité à se laisser saisir par un bien-être inattendu quand nous y invite le cool,
  • le moment magique où, lorsque vibre le cool, sans forcément planer sur des cimes mystiques, l’homme s’élève au-dessus du grouillement perpétuel qui anime ses congénères.

À contre-courant

  • de l’agitation,
  • du clinquant et
  • de la hype autoproclamée (le pseudo cool),

Pierre-Marie et moi comptons bien ruer paisiblement contre

  • la hâte,
  • le brassage d’air compulsif et
  • les cavalcades.

 

 

Selon les termes à la mode censés être cool, ils proposent une « expérience de concert » où chaque spectateur est invité moins à écouter qu’à vivre le cool. L’objectif ? Partager un instant suspendu où chacun serait libre de goûter

  • le bercement hypnotique d’un hymne minimaliste,
  • le déploiement progressif d’un thème émergent,
  • la ruse bienfaisante qui transforme un bourdon – à la fois note tenue et mélancolie intérieure – en sourire rayonnant,
  • la joie d’une mélodie simple surgissant du silence,
  • la beauté de variations refaçonnant petit à petit un air connu en transe extatique,
  • la capacité d’un motif à nous projeter instantanément dans un état de bien-être,
  • la redécouverte du plaisir du son à travers des harmonies saisissantes…

En trois parties enchaînées et articulées autour du balancement entre

  • musique écrite, improvisation et (presque) tout ce qui se peut glaner entre les deux pôles,
  • golden hits revisités, redécouverte du patrimoine et créations,
  • pièces conçues pour orgue et saxophone ou tranquillement investies par ces instruments,

Loin de nous contenter d’enfiler une panoplie lisse de musiques planantes (c’est pas trop notre tempérament !), Pierre-Marie et moi vous invitons à une séance surprenante… et résolument cool.

 

2.
Le programme environ

I. Neuf nuances de cool

1. « Bourdon en Ut » de Pierre-Marie Bonafos (1967) | 4’

2. Huit pièces pour trompette et orgue de Jean Langlais (1907-1991) | 26’

Cantabile | 3’30
Vivo | 1’30
Modéré | 2’30
Andante | 4’
Adagio | 2’30
[Sans indication de mouvement] | 5’
Allegro | 2’
Allegro vivace | 3’

 

II. Deux invitations au cool

3. « First song » de Charlie Haden (1937-2014) | 4’

4. « Simbolo di pace » de Robert M. Helmschrott (1938) | 12’

 

III. Cinq façons de laisser vibrer le cool

5. « Etc. » de Pierre-Marie Bonafos | 4’

6. Un florilège cool | 14’

Un arioso (BWV 156 et 1056) d’après Johann Sebastian Bach (1685-1750) | 3’
Une « Folia » (traditionnel du xve siècle) | 4’
Un quatrième prélude de Frédéric Chopin (1810-1849) | 3’
Un adagio d’Albinoni d’après Remo Giazotto (1910-1998) | 4′

 

Durées données à titre indicatif. Fin du concert vers 18 h 40.


Après avoir obtenu le diplôme supérieur de concertiste de l’École Normale de Musique de Paris, Pierre-Marie Bonafos s’est consacré à ses passions : la musique (il maîtrise tous les saxophones, les clarinettes et une flopée d’autres instruments), la composition et les arrangements (pendant le confinement, il a écrit et enregistré une version jazz exceptionnelle des Tableaux d’une exposition de Moussorgski) et l’enseignement (il a été professeur de saxophone, de jazz et d’improvisation au Conservatoire à Rayonnement Départemental de Gennevilliers pendant 22 ans…). Amoureux du jazz, passionné de big band, celui qui a été le saxophoniste préféré de l’Orchestre philharmonique de Radio-France a aussi exploré avec sa compagne organiste les merveilles de la musique savante-mais-pas-toujours-si-sage – audaces qui ont eu l’honneur d’être invitées à plusieurs reprises à la tribune de l’église de la Madeleine.
Organiste-conférencier du musée national de la Renaissance d’Écouen pendant douze ans, Bertrand Ferrier est organiste de Saint-André de l’Europe (Paris 8) depuis plus de vingt ans et adjoint aux grandes orgues de la collégiale de Montmorency (Val-d’Oise) depuis plus de dix ans. En tant que concertiste, il s’est notamment produit aux grandes orgues de Saint-Eustache et de Saint-Augustin, de la cathédrale de Gap, des collégiales d’Eu et de Pézenas, de l’abbaye de Royaumont et de l’église Sainte-Julienne de Namur. Voilà de nombreuses années, qu’il « coollabore » régulièrement avec Pierre-Marie Bonafos pour des projets de musique très classique, très jazz, très chanson, et parfois un peu des trois ; et c’est cool.


 

3.
Les infos concrètes

  • Dimanche 3 novembre, 17 h 30 ;
  • durée : 1 h 5′ environ ;
  • chapelle du Val-de-Grâce | place Alphonse Laveran (Paris 5) | métro : Port Royal ;
  • entrée libre, sortie aussi mais possibilité de déposer des billets de 200 € ou environ si l’on en dispose (et que l’on veut les déposer, évidemment).

 

Jean-Nicolas Diatkine, « Live à Gaveau » (Solo musica) – 1/3

Première du disque

 

Plus de vingt ans après son premier disque, Jean-Nicolas Diatkine ose publier un enregistrement en concert, gardant ainsi trace de deux concerts donnés dans une salle qu’il connaît et s’apprête à retrouver le 16 décembre à 20 h 30. Ce n’est pas rien et, pourtant, la proposition s’ouvre sur six « petites choses » parmi les vingt-cinq bagatelles griffonnées par Ludwig van Beethoven. Le recueil opus 126 place en tête un andante, ternaire en Sol, à jouer « con moto cantabile e compiacevole ». Le concertiste en rend la tension entre

  • retenue et allant,
  • liberté et mesure,
  • foucades et itération.

Lui succède un allegro binaire en sol mineur, cette fois. Là encore, les ruptures de caractère exigent de l’interprète qu’il sache

  • changer de toucher en un clin d’œil,
  • caractériser chaque bribe par une intensité spécifique et, sur la durée,
  • créer
    • un liant,
    • une unité,
    • une résonance commune

qui rendent raison des contrastes si beethovéniens qui lui sont proposés. Le second andante, « cantabile e grazioso » et en Mi bémol, lui, est ternaire comme l’était le premier. L’interprète y est particulièrement attentif à la complémentarité entre

  • une première partie verticale,
  • une partie centrale rubato et
  • une dernière partie « à l’italienne » (accompagnement à gauche, ligne mélodique à droite).

 

 

La mi-parcours franchie, se présente un presto canaille en si (mineur puis majeur puis re-mineur).

  • Doigts décidés,
  • vigueur des accents et des puissantes notes répétées, et
  • clarté des unissons

drapent de musicalité une miniature à la fois

  • déliée,
  • narrative et
  • joliment complétée par la quasi barcarolle majeure, entre charmeuse et mystérieuse.

Un quasi allegretto en Sol et six croches à la mesure offre à l’auditeur

  • la joie du balancement doux,
  • le plaisir de l’agogique délicat qui suspend la phrase pour l’éclairer et la laisser respirer, et
  • la dramatisation bienvenue qu’apportent, çà et là, des crescendi et des piani subito de toute beauté.

La dernière bagatelle illustre la ligne de force du recueil – cette confrontation, dans chaque pièce, entre des pulsions ou, selon les petites choses, des inclinations contradictoires. Il s’agit d’un presto (en ouverture et conclusion) et d’un andante « amabile e con moto ». Donc un truc qui va super vite mais pas longtemps, et un truc qui va lentement mais un peu vite quand même. Jean-Nicolas Diatkine fait droit à ce miroitement sans céder à la caricature.

  • Face à la fureur du prélude, l’andante évite le mignon pour privilégier le swing très vite doublement ternaire (trois temps avec chacun un triolet) ;
  • face à l’évidence du développement, l’interprète cisèle les zones de mutation par des choix pensés et néanmoins sensibles
    • de phrasés,
    • de nuances et
    • d’accentuations ;
  • face à l’unicité du tempo, le pianiste travaille
    • l’élargissement de la mesure,
    • les mutations de couleurs, et
    • la manière de poser le retour d’un thème déjà souventes fois entendu par
      • un léger ritendo,
      • une petite respiration ou, par exemple,
      • un toucher différent.

 

 

Un premier épisode

  • captivant,
  • audacieux et
  • joliment tourné.

 

À suivre !


Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.

 

… et à l’heure de notre mort

Jann Halexander en la collégiale Saint-Martin de Montmorency (Val-d’Oise), le 27 septembre 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Alors qu’il pratiquait peu l’athlétisme, Yannick Daguerre pratiquait beaucoup l’éclectisme. Lors du concert saluant sa mémoire, le 27 septembre, en la collégiale Saint-Martin de Montmorency, impossible de passer sous silence, au sens propre, son travail de musicien populaire.
Pour l’illustrer, outre l’improvisation inspirée par un thème funk du maître, choix fut fait de se référer à un intrigant album africanisant que le très sérieux organiste et professeur avait claqué et dont des extraits sont disponibles sur YouTube. En écho à son « Requiem pour un éléphant », Jann Halexander accepta de glisser son propre « Souvenir d’Hadrien », inspiré de Marguerite Yourcenar, les deux titres évoquant le seuil fatidique que Yannick a franchi et qui nous attend. Dans une enceinte sacrée, ces méditations profanes résonnèrent avec force. La preuve en vidéo.

 

 

Peter et Zoltan Katona, « Alhambra Inspirations » (Solo musica) – 1/3

Première du disque

 

Pas vraiment destiné au public hexagonal puisque, en dépit de son ancrage belge, le disque physique propose un livret exclusivement anglophone, le projet exige un triple pari de l’auditeur pour accepter

  • la réécriture de standards,
  • l’adaptation de partitions sacrées à force d’être des golden hits de la musique savante,
  • la création de chimères suscitée par les circonstances,

en l’espèce la présence d’un duo de guitaristes jumeaux. Pas question pour Peter Katona de s’en tenir à un arrangement, autrement dit à un bricolage. Il compte remodeler les pièces en fonction de son inspiration propre.

 

 

Ainsi, à la pièce originale d’Isaac Albéniz (qui n’a pas le droit à son accent officiel, sans doute trop épuisant à ajouter), extraite de la Suite espagnole op. 47, le réécriveur promet de substituer au piano deux guitares et d’y ajouter des passages pour valoriser « ses racines arabiques et flamencas » à travers

  • un prélude (« Asturias » étant originellement lui-même un prélude à la pièce suivante),
  • une guitare percussive façon flamenco,
  • des mélodies additionnelles et
  • des « special guitar effects ».

Le résultat ? Moins une interprétation, comme promis, qu’une réinterprétation qui

  • puise dans différents idiomes modaux et stylistiques,
  • insiste sur le groove donc la rythmique,
  • recrée une sonorité spécifique qui n’hésite pas à osciller selon les motifs.

Même liberté auto-octroyée pour le « Double concerto Tárrega » (le compositeur étant souvent privé de son accent, sans doute trop épuisant à ajouter, décidément), composé pour deux guitares à partir de mélodies inspirées des œuvres de Francisco Tárrega puis orchestré par Peter Katona avec des idées assumées comme singulières – ainsi de « Gran Vals », utilisé par Nokia en tant que sonnerie et que le guitariste a utilisé « comme si la sonnerie de Nokia avait inspiré Tárrega », enough said. La réalité, c’est que ça fonctionne.
En effet, le premier mouvement – Gran Vals, donc – s’ouvre par la sonnerie, avec une cédille, avant de se lancer sur une valse entraînante où les guitares n’ont pas toujours le rôle principal, d’où le principe de concertation présidant à la pièce. Certes, l’enregistrement de Frédéric Briant, trop soucieux de lisibilité, manque souvent de naturel dans l’équilibre entre les forces en présence, mais la promesse de divertissement plaisant est assurément tenue : c’est sans doute un brin andrérieusque, cela reste amusant à souhait.

 

 

Le deuxième mouvement, « Alhambra inspiration », si important pour le disque, s’amuse autour du tube de Francisco T., en le rapprochant avec la progression d’une « caravane de chevaux dans un désert arabe ».

  • Harmoniques,
  • interventions arabisantes du hautbois,
  • exotisme du tambourin et
  • soyeux du combo bois – cordes

habillent ce qui s’apparente à une bluette mignonne tentée par le boléro. Le troisième mouvement, « Capricho arabe », revendique de mieux valoriser le passé mauresque de l’Andalousie que ne le fit Francisco Tárrega.

  • Dramatisation topique,
  • sautillements retenus,
  • alternance orchestre – solistes aux grands ongles

organisent une partition peu surprenante mais agréablement troussée et pimpée par une cadence en duo enlevée avec la maestria pyrotechnique qui sied à ce genre d’exercice. Au terme de cette première partie, le duo a mis en évidence

  • un savoir-faire certain,
  • une dextérité incontestable, même si on la préfèrerait sans doute plus à découvert (cela viendra), et
  • une volonté de charmer l’oreille qui n’est pas le plus grand défaut des musiciens savants.

 

À suivre !


Pour écouter le disque gracieusement et en intégrale, c’est par exemple ici.