
Visiblement pas du genre à se laisser mener par le bout de l’âme, Katrin’ Waldteufel n’en est pas moins ouverte aux amours de hasard et, en particulier, aux transports en commun. Aussi évoque-t-elle en chantant l’histoire de « 2 passagers voiture 12 » qui se frôlent, sortent de leurs bulles et s’en forgent une nouvelle, une qui donne le smile, « un 28 avril vers Mulhouse », avant d’entamer « un nouveau voyage ». Ainsi le spectateur est-il invité à voguer sur les flots intranquilles du répertoire de la chanteuse. Tantôt, l’eau est étale et clapotante ; tantôt, elle se cabre et tempête ; tantôt, elle scintille et se laisse éclabousser par le soleil… puis retourne dans une horizontalité attentive au prochain frémissement.
Le sursaut suivant est né d’une conversation avec Anne Sylvestre où celle-ci avouait « ne plus pouvoir pleurer » (ce qu’elle avait déjà chanté de longue date dans « Un mur pour pleurer »). La chanson sortie de cette faille se love dans une ambiance méditative, intérieure, interrogeant les « silences assourdissants » dans le mystère des harmoniques du violoncelle, avant de prendre le taureau par les cornes en se promettant de mettre « tout sur la table, et c’qui s’pass’ra, on verra bien ». La chanson terminée, Katrin’ Waldteufel s’étonne doublement : « J’en reviens pas ! Y a plein de gens comme Anne Sylvestre ! Y a plein de gens pas comme moi ! » De cette révélation jaillit son tout premier tube qui « n’a pas pris une ride, comme moi ». S’agaçant façon reine du bistro comme sa consœur s’agaçait façon reine du créneau, la chanteuse rappe avec son public cette vérité en béton verdoyant : « Y a pas qu’les tilleuls qui mentent ! »
À l’occasion d’une hydratation express, l’artiste transforme le vert en verre, et même en bouteille en reprenant « Le temps de finir la bouteille », un hymne imparable et poignant du duo Leprest + Didier, ce qui lui vaut de se faire admonester par une voix émergeant des haut-parleurs : pourquoi reprendre ce classique ? Comme stimulée par cette interrogation, Katrin’ Waldteufel décide d’enfoncer le coin, en hommage à son grand-père. La voici, armée de son violoncelle, affrontant les « Strophes pour se souvenir » de Louis Aragon que Léo Ferré a transformé en « Affiche rouge ». L’effet est saisissant, l’interprète réussissant à éviter le surinvestissement de la scie pour l’investir à sa façon, entre
- vibrato et droiture,
- gravité et émotion,
- profondeur et sensibilité.

Ce lamento sur la perte est judicieusement tuilé avec « Je ne veux pas te perdre », comme s’il s’agissait de la réponse de l’épouse au futur mort du poème. On apprécie l’habileté dans le maniement du spectre des émotions, faisant résonner l’Histoire collective à travers l’histoire individuelle. Le retour de Martial Bort décrispe la tension à travers une fredonnerie insouciante sur les vacances, rappelant que, « partir loin, c’est pas obligé » car les vacances restent « ce qu’on en fait ». Cette idée du choix et de la relative liberté qu’il incarne ruisselle sur la chanson suivante où un violoncelle percussif fraye entre
- reggae,
- slam et
- rap
pour clamer :
Quoi que tu dis’, quoi que tu fasses,
personn’ ne vivra ta vie à ta place.
Évidemment, pas question de laisser filer les deux compères de scène après la dernière chanson. La salle surchauffée exige ses bis, et pas par simple politesse de cabaret. Sans doute le relâchement d’après le tour de chant principal conduit-il Katrin’ Waldteufel à arrêter le premier rappel quand elle constate qu’elle patauge. Dommage, car le texte expliquant que tout le monde est « la vague », éventuellement d’amour, n’est pas la chips la plus croustillante du paquet. Cependant, pour aider ses fervents spectateurs à revenir au calme de leur autre vraie vie, celle où ils ne sont pas à ce genre de spectacle, Cello Woman propose une berceuse affirmant qu’
il est temps d’aller se coucher.
Dehors, la Lune est sortie.
Les étoil’ se sont amourachées.
La Lune joue pizzicati.

Avant de renvoyer tout le monde au dodo, Katrin’ Waldteufel offrira une resucée électrique de « Personn’ ne vivra ta vie à ta place », ce qui lui vaut le triomphe escompté après un spectacle
- singulier,
- finaud,
- roboratif et
- troussé avec grâce.