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Comme le souligne le livret d’Irène Minder-Jeanneret, incluant des feuillets à la fois intéressants car documentés et grotesques voire fats car pratiquant la ridicule écriture inclusive, Caroline Boissier-Butini, contrairement à « beaucoup de ses contemporain-e-s » (hahaha),  a eu de la chance. Des chances :

  • née parmi les riches Genevois, elle a bénéficié d’une éducation qui n’avait rien à envier aux mâles ;
  • mariée à un autre riche Genevois, elle est tombée sur un mec sympa qui l’a fort soutenue ;
  • Suisse et femme, elle se dévoile un peu plus chaque année grâce au travail d’une association dédiée et au soutien du label VDE-Gallo.

Au programme de ce nouveau disque, deux concerti pour piano, le cinquième (« l’Irlandais ») et le sixième (« Suisse »), ainsi qu’un Divertissement pour piano, clarinette et basson. On regrette le choix helvéto-helvétique de réenregistrer le sixième, déjà ouï tantôt sur ce label, quand d’autres œuvres doivent attendre de ressusciter sur nos phonogrammes, mais le projet revendique une spécificité : s’inscrire dans une optique « historiquement informée » puisque cet opus est gravé, cette fois, sur instruments d’époque, sauf le cinquième à en croire la quatrième de couverture.

 

 

En première mondiale, le Cinquième concerto pour piano et orchestre, enregistré « en direct », s’ouvre par un Allegro maestoso qui pèse la moitié de l’œuvre. Le premier solo est confié au traverso de Sarah van Cornewal, sur une base associant le basson de Rogério Gonçalves et le piano d’Adalberto Maria Riva. L’on apprécie d’emblée deux qualités :

  • une prise de son, signée Claude Maréchaux et « finalisée » par Gerald Hahnefeld, à la fois « salonnarde » (cette musique était pensée pour pouvoir se pratiquer dans les cadres privés de la haute, le tambourin pouvant même remplacer les timbales !) et distincte ; et
  • un souci des contrastes violents ménagés sur cette pièce par Jonathan Nubel, le chef d’orchestre.

Le pianoforte un Antonin Tomaschek de 1835 restauré récemment par Jullian Baudoin s’offre rapidement son premier solo à découvert, rappelant que, souvent, ce type de pièces était joué au piano seul quand

  • pas de moyen,
  • de force disponible ou
  • de place.

Des pédales de cordes reprennent et doublent le piano. Le traverso dialogue doucement avec le clavier dans une ambiance mozartienne douce où le pianoforte est quasi seul au monde de la deuxième minute à la dixième. Par

  • des respirations,
  • l’usage dramatique de la tenue et
  • de fausses hésitations traduisant l’attention à l’interprétation autant qu’à l’exécution,

Adalberto Maria Riva tâche de donner un peu de vie à cette musique bien tournée mais dont l’inventivité et l’intérêt orchestral ne sont certes pas les éléments premiers du langage : on est au début du dix-neuvième dans la bonne société genevoise, il ne faut point en attendre davantage.

 

 

Un Allegretto se faufile alors, introduit par une ritournelle charmante du piano. La mélodie est reprise parfois à la main gauche quand la main droite tintinnabule ses gammes. L’orchestre répond brièvement aux motifs pianistiques qui, à l’occasion d’une variation, n’hésitent pas à se goberger des aigus (1’45), entre « Là ci darem la mano » et air populaire façon « Maudit sois-tu carillonneur », première évocation. Jusqu’ici, l’aspect exotico-irlandais de la chose nous a échappé, sans doute pour faire monter le suspense à l’approche du dernier mouvement !
C’est un Allegro moderato qui conclut l’affaire ; et là, effectivement, ça irlandise avec un air populaire dont le livret donne trois titres possibles. Après l’introduction orchestrale, le piano reprend la main dans ce swing ternaire. Puis un tutti, avec triangle s’il vous plaît, rejoint tout le monde. Ensuite, le piano fait bouger les petites saucisses du soliste. La musique s’articule entre guirlandes de notes, thème harmonisé au piano et tutti à vocation folklorisante. Sans abus de finesse ? Si fait, mais diablement efficace, virtuose pour le piano et raccord avec l’intitulé. La partie d’Adalberto Maria Riva alterne donc entre thème solo, variation pyrotechnique, thème avec orchestre, et exposition bariolée. La composition oublie rapidement le groove irlandais pour revenir à une musique plus habituelle dont les musiciens tirent probablement le meilleur, y compris dans les rares moments inattendus comme cette reprise grave au traverso à 6’45.

 

 

Le Sixième concerto pour piano, flûte obligée et strings (pas pu m’en empêcher) nous avait fort plu tantôt. Il est ici enregistré en direct et avec instruments anciens. Les appogiatures rendent charmant le dialogue initial de l’Allegro entre pianoforte et traverso. Il y a de la solennité et néanmoins de l’élégance dans la réalisation. Si la partition refuse toute originalité, elle réaffirme un savoir-faire aussi certain que savant, lequel exige des interprètes dextérité dans les gammes ou bariolages, et musicalité – dont les signes peuvent être, à titre d’exemple,

  • les nuances,
  • les synchronisations dans le tempo et l’esprit, ou
  • ce léger retard délectable du pianiste à 3’04 pour redonner souffle au phrasé.

Force et rôle principal restent au piano, éventuellement en duo avec le traverso. Le résultat bénéficie d’une délicatesse patente, y compris dans les rares passages orchestraux où la petite masse sait créer une tension. Chaque musicien est investi, jusqu’à la clarinette pourtant peu sollicitée.

  • Gammes techniques,
  • arpèges convenus et
  • séries d’accords descendants

conduisent, comme il sied, à une coda attendue.
Pour un Suisse bon teint (quoique inclusif.ve), le point fort du concerto reste l’Andantino osant l’invocation intégrale du « ranz des vaches », hymne officieux de la Suisse nous dit-on, dont le livret se goberge à six reprises, ça rigole pas. Après l’introduction orchestrale, le piano prend peu à peu ses aises en étalant tendrement le Sol majeur puis en exposant l’hymne plus-que-sacrée avec le recueillement requis auquel les cordes font écho. Un bref accelerando propose une respiration bienvenue avant que le piano ne remette la petite troupe dans la bonne direction. Des variations, sommaires mais exécutées avec délicatesse, agrémentent cet air traditionnel au gré des trilles du traverso. Les accélérations – détentes rythment un développement mignon qui peine à s’extirper des conventions malgré quelques interventions singulières (violoncelle basique et sporadique de 9’55 à fin de partie).
Le Rondo, enchaîné, poursuit le projet ranz en le dévergondant sobrement, id est entre G, C et D. Les amateurs de complexité harmonique passeront évidemment leur chemin. L’heure est plutôt à l’extériorisation d’une technique pianistique de bon aloi que l’interprète tente de rendre musicale à défaut de pouvoir feindre passionnante. Tout cela est entre charmant et un peu gênant si l’on ne goûte pas exclusivement la musique surannée. L’utilisation d’un pianoforte équilibré mais un peu sec n’atténue pas cette impression de boîte à musique volontairement folklorique qui peine à fasciner malgré, enfin, quelques modulations judicieusement secouantes (5’23). Malgré que l’on en ait, la précision de l’orchestre et la bonne volonté du pianiste n’y peuvent mais : on salue la bonne volonté. Certes, on applaudit l’inspection de répertoires méconnus, on admet la perspective d’enregistrement « historiquement informé », mais l’on ne peut nier le fait que, à nos oreilles de non-spécialiste non-helvétique, en dépit

  • d’une énergie certaine,
  • de musiciens intègres et
  • d’un montage et d’une prise de son assurément attentifs,

ici, la musique de Caroline Boissier-Butini sonne, révérence parler, plate, pauvre et amidonnée.

 

 

Un Divertissement pour piano, clarinette et basson en deux mouvements conclut l’affaire. Une introduction sans finasserie du piano ouvre la chose. La clarinette en solo et le basson en pouët-pouët répondent sommairement. Ne cherchons pas plus prétentieux que ce qu’annonce le titre : il s’agit de se divertir sans pinailler. Partant, la compositrice prend un thème populaire qu’elle varie d’un instrument à l’autre sans trop pousser ni les musiciens ni le contrepoint dans leurs retranchements, brève mais certes pas vilaine modulation comprise. Adalberto Maria Riva, Pierre-André Taillard et Rogério Gonçalves (pas très bien loti par la partition) font ce qu’ils peuvent pour ajouter de l’esprit à un ouvrage associant solide facture et, surtout, répétitivité dans l’Allegro con spirito.
On s’attend à plus d’esprit dans le « Rondeau tempo di Pollacca » final, où la librettiste voit un choix « politique » militant pour la Pologne indépendante et « une grande compassion pour les peuples opprimés » d’autant que le père médecin de la compositrice avait comme client un Polonais notoire (en Pologne). Ne mentons pas : aussi loin que notre inculture nous permet d’écrire cela, cela s’entend sans déplaisir mais s’écoute sans plaisir non plus. Les interprètes n’y peuvent mais.

  • L’élégance du clarinettiste n’a d’égale que
  • la douceur des trilles du pianiste et
  • la vaillance du bassoniste dont la partition n’est sans doute pas la plus palpitante qu’il ait eu à jouer lors de sa carrière, fût-ce sur instrument ancien.

Il n’empêche, et l’on est contrit de l’écrire tant on est reconnaissant au label VDE-Gallo des découvertes faites grâce à lui, les 9’ de ce tarif, malgré l’allant maintenu par les exécutants, sont rapidement bourratives tant le manque de créativité et de cahots grève une écoute attentive.
En conclusion, le disque a certes le mérite de révéler sous un nouveau jour une compositrice oubliée, mais il peine à masquer, sous la qualité de l’interprétation, ce qui ressemble fort, un siècle plus tard, à la platitude fonctionnelle d’une musique joliette qui fleure la naphtaline et l’occupation de circonstance.