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C’est l’histoire d’un “quintette à cordes vocales” que dirige et anime depuis sa fondation le sieur Geoffroy Heurard, baryton ici secondé pour neuf des quinze titres par Renaud Brès, et entouré par Mathilde Bobot, Geneviève Cirasse, Sean Clayton et Mathieu Dubroca.
Disons-le d’emblée, la cohérence du nouveau chapitre, Play List (sans “z” entre le “s” et le “t”), est quasi nulle. Quel rapport entre Paul Simon et Gabriel Fauré, Ralph Vaughan-Williams et Tom Waits, “Frère Jacques” et Henry Purcell ? Aucun. Ça tombe bien ! Si l’on a saisi le projet, ce côté salad bowl est l’une des caractéristiques revendiquées par l’ensemble. En effet, la polymorphie des titres alignés dans le nouveau disque permet de valoriser la singularité de l’instrument à cinq têtes – la cohérence, c’est lui, c’est l’Ensemble Perspectives ; la diversité, c’est à la fois la variété des origines des pièces et le dialogue qu’entretiennent les différents arrangements.
Certes, le principe du mix’n’match n’est pas aussi exceptionnel que l’affirme le livret – Cinq de cœur, dans un registre plus théâtral et divertissant, est aussi un quintette vocal composé de chanteurs “classiques”, trempant le plus souvent a capella des Spéculoos de musique savante dans le café des musiques populaires. Intérêt spécifique et complémentaire de l’Ensemble Perspectives : ses artistes chantent leurs titres au complet, quand Cinq de cœur excelle dans le tuilage ou la concaténation de tubes disparates. De plus, à côté des golden hits, ils n’hésitent pas à piocher dans un répertoire moins connu ni à commander des pièces à leur réseau de compositeurs. Qu’importe si l’exclusivité du concept prête à débat ! Ne pas être exceptionnel au – voire en – sens unique n’empêche point d’aspirer à être exceptionnel au sens artistique, ainsi que nous l’avions goûté çà en concert et là à l’occasion de leur précédent album. Acceptons-en l’augure, et appuyons sur “Play”.
L’affaire commence sur un negro spiritual refagoté par Philip Lawson. La prise de son très proche est osée, car elle ne pardonne rien. En échange, elle donne l’impression d’être au milieu du quintette pour profiter d’une proposition apéritive, techniquement bien troussée même si – c’est son rôle de premier titre – elle se refuse à tout approfondissement :

  • point de développements captivants,
  • point d’imitation gospel poussée, et
  • le chouïa d’harmonisations modernes qui pimente l’affaire sans choquer le chaland.

Pimpant pour lancer la fête sur une aguichante frustration.

 

Juste avant l’enregistrement. Photo inédite : Geoffroy Heurard, by courtesy of the artist himself en personne.

 

Alexander L’Estrange arrange ensuite la lamentation de Didon selon Henry Purcell. En gros : quand on m’enterrera, souviens-toi de moi mais pas de ce qu’il m’est advenu. Déjà, on rigole moins. Les voix graves amorcent cette histoire sur une semi-marche chromatique obsédante, laissant la soprano énoncer la mélodie. Une jolie coda épuise le sujet – terrible – que la prise de son rend présent et brillant mais moins poétique que certains pourraient espérer.
Plus tubesque que « Mrs Robinson », le premier des deux arrangements de Paul Simon monté par le combo, ce sera difficile. Soit, donc, une chanson dont le texte ne veut, à l’aune de notre intelligence, à peu près rien dire – pour de la variétoche, ce n’est pas si grave – et  la genèse cinématographique n’apprend rien, sinon la substitution de “Roosevelt” par “Robinson” et, probablement, l’état un peu second du fredonneur à ce moment. Soit aussi l’arrangement de Philip Lawson, qui se décapsule sur un scat collectif ne refusant pas des effets de percussion vocale sans pour autant beatboxer – processus que l’on retrouvera en version digest lors des interludes.
Appert peu à peu avec ce titre l’un des grands intérêts du disque : non pas classiciser du tout-venant tubesque, mais transversaliser l’exigence savante – héhé ! osons même écrire que la finalité est de la faire ruisseler, papapam – afin

  • d’ouvrir les consciences,
  • d’embellir le cool et
  • de remettre en question les barrières musicales, en démontrant qu’une harmonisation savante et une interprétation au cordeau s’adaptent fort bien à moult genres.

Ce n’est pas inutile de le rappeler, à une époque où la médiocrité voire la nullité grotesque est souvent érigée en critère suprême de qualité, selon les critiques des daubes populaires. Dans cette perspective rabibochant science, artisanat et plaisir, on goûte

  • la virtuosité de l’arrangement,
  • le refus des interprètes de faire les kékés et
  • le sérieux de la mise en place qui n’empêche pas les voix les plus expressives de pimper l’interprétation.

 

 

 

 

Mélodie pour baryton et piano, “Diane, Séléné” de Gabriel Fauré, extrait de L’Horizon chimérique, est ici arrangé par Fabien Touchard. Le texte de Jean de la Ville de Mirmont (on n’aurait pas été choqué que cela fût mentionné sur le livret, puisque son texte est reproduit) est à peu près aussi clair que celui de “Mrs Robinson”. En gros, le narrateur regrette le Soleil que fait fuir la Lune, tout en aspirant à la paix que lui inspire la “nocturne flamme”. Je conçois que, parfois, il est séant de  pardonner aux artistes, surtout s’ils sont poètes ; ce nonobstant, admettons que pour des clampins de base, on est plus sur du rugueux que sur du coruscant.
La mélodie fauréenne, est autrement douce à nos sens. Fabien Touchard travaille d’abord sur un accompagnement à bouche fermée avant de s’ouvrir à la parole partagée… et de mêler les deux options pour mieux valoriser les harmonies complexes de l’œuvre. L’Ensemble Perspectives s’y coltine avec art et, surtout, sans se départir du quant-à-soi qui l’habite quand il ambiance avec des airs d’ordinaire préemptés par RFM. Cette exigence identique, dans le gling-gling et dans le costume-trois-pièces-queue-de-pue-et-chemise-à-jabot, séduit.
Toujours dans la nuit, toujours sous la Lune, « In stiller Nacht », composé par Johannes Brahms sur un poème de Friedrich Spee von Langenfeld, pas davantage mentionné que JdlVdM, raconte en résumé que le narrateur est triste et que les animaux aussi sont tristes par compassion pour lui. Le quintette démontre l’intérêt des semaines de résidence que ses membres ont partagées en propulsant

  • une intensité commune,
  • des respirations qui font sens et
  • un partage d’intentions qui vibre remarquablement.

« Dúlamán », comme le reste des textes, n’est pas fourni avec son décodeur. Hélas, je ne parle le gaélique que sous la torture – et encore, pas toujours très bien, hélas. Il semblerait néanmoins que çà ou là flottent des algues d’océan, for that matters. Bah, ce sujet en vaut sûrement beaucoup d’autres ! L’arrangement de Michael McGlynn, excellent, et l’interprétation haletante des zozos rendent raison du projet populaire habillé de chic par les voix maîtrisées. Les artistes lyriques sévissent sans pour autant se la ouèj.

  • L’expressivité,
  • les nuances,
  • le travail sur les accentuations

tombent comme un gant sous la gourmandise des voix. Comme on ne dit pas en musicologie, cette escapade celtique, pour un non-celticien, est super réussie.

 

L’Ensemble Perspectives au pied du mur. Photo : Sandrine Expilly, reproduite avec l’autorisation de l’Ensemble.

 

Pas de mention de Charles Mackay, dont les paroles sont pourtant la base de « By the Lone Sea Shore » de Samuel Coleridge-Taylor – jamais compris pourquoi les mots valaient moins, en termes de droit d’auteur, que les notes. Le narrateur y décrit un paysage de grève déprimante, avant que la tristesse et la solitude ne se dissipent quand un smile éclaire la nature. Cette pièce écrite sur quatre portées (plus un piano “de sécurité”, dont la partition est, selon la tradition, une réduction de ce que chantent les choristes) déploie un ternaire exigé “Larghetto”. Le tempo choisi par l’Ensemble Perspectives permet à la fois d’apprécier les dissonances parfaites distillées par le compositeur et de se laisser séduire par le groove de la grève sur laquelle clapote l’eau. Joli travail d’unité, y compris dans la coupure finale – même si l’on s’étonne d’entendre un [k] quand on devrait ouïr un [t]…
Sur un texte de Robert Louis Stevenson, “Whither must I wander”, de Ralph Vaughan Williams (sans trait d’union, soit stipulé en passant, la faute étant répétée sur l’ensemble du disque physique) est donné dans un arrangement de Philip Lawson. L’une des versions de référence de l’original est bien sûr claquée par le duo Bryn Terfel / Malcolm Martineau. La version de l’Ensemble Perspectives évacue pour beaucoup la douleur du froid et de la faim en confiant le récit d’abord aux voix féminines, que leur qualité rend, fichtre, quasi immatérielles. Erreur, faute ou frime de l’arrangeur ? Certainement pas. Philip Lawson vise au contraire à travailler, selon la consigne, le quintette comme un tout, donc à faire circuler le lead d’un pupitre à l’autre, rendant plus universelle cette sensation d’être, techniquement, dans la merde, loin de chez soi, id est loin

  • de la sécurité d’une bonne bouffe,
  • d’une famille solide pour ceux qui aiment ça, et
  • d’une harmonie rassurante dans tous les cas.

Ce que l’on perd – forcément – en compassion immédiate pour le gars qui nous parle de nous en nous parlant de lui, on le gagne en émotion devant l’évidence, interprétée avec un brio époustouflant, que ce n’est pas de nous que parle Robert Louis Vaughan Williams, mais de nous tous. Même si l’on a parfois l’impression que l’arrangement se range à un souci égalitariste intelligible humainement (il faut laisser quinze secondes de lead à chacun) mais point nécessaire musicalement, on reste ébouriffé par

  • la qualité spécifique de chaque voix,
  • la précision des ensembles, respirations audibles comprises, ainsi que par
  • la subtilité des arrangements valorisant les harmonies récurrentes.

Du très haut niveau d’arrangement et d’interprétation qui augure du meilleur pour la suite.

 

 


 

Pour acheter le disque, c’est, par ex., ici.

À suivre !