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Plafond de la salle Érard (aperçu), le 15 octobre 2023. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Comme lors de sa précédente édition, le Festival Érard version 2023 a séduit.

  • L’idée est excellente,
  • le plateau remarquable,
  • la set-list passionnante,
  • l’endroit original et signifiant au vu du projet.

Même si l’entrée n’est pas donnée, surtout si l’on se retrouve au fond de la salle où l’acoustique n’est pas formidable (un prix par “catégorie” pourrait être envisagé), chacun de ses cinq concerts était pensé, intelligent, accessible, varié et d’une admirable tenue musicale. C’est aussi l’occasion d’entendre

  • des raretés chambristes comme des standards du répertoire,
  • des découvertes et des transcriptions,
  • des trouvailles comme des golden hits,
  • des arrangements parfois singuliers piquant l’intérêt,
  • des interprètes chevronnés côtoyant élèves et grands étudiants

et du CNSM et du CRR où enseigne Jérôme Granjon, l’un des grands manitous du projet. Après le concert inaugural, nous avons pu assister au concert conclusif, intitulé “Le lever du jour” du nom d’un extrait de “Daphnis et Chloé” transcrit par Emmanuel Pélaprat et symboliquement placé à la fin de la prestation pour, suppose-t-on, rappeler que les interprètes travaillent déjà à l’édition 2024 de la chose.
C’est peut-être la dissonance – plus énigmatique qu’onirique – des deux épisodes auxquels nous avons assisté : le premier s’intitulait “Concert de Chausson” bien qu’il rassemblât une pièce de Ravel en sus du “Concert” de Chausson ; le second porte un titre dont le rapport avec l’ensemble de la prestation nous échappe et n’est pas explicité par le programme fourni gracieusement aux spectateurs. Insuffisant pour doucher notre enthousiasme, amusé par l’ouvreur de l’occasion qui lance avec une fougue non feinte au couple qui nous précède dans la file d’attente : “Installez-vous, ça va être super !”
À notre tour, nous nous installons donc dans une salle une fois de plus quasi comble et profitons des quelques minutes qui nous séparent de la musique pour réfléchir au sketch qui nous a accueilli. Dans quelle société vit-on pour que la présence de deux vigiles (un pour feindre de contrôler les sacs à l’entrée de l’établissement, un autre au cas où près de la billetterie) soit obligatoire pour un concert dominical de musique savante ? L’effet d’étrangeté se dissipe néanmoins dès le début de la “Tarentelle” de Camille Saint-Saëns pour flûte, clarinette et piano. Sur une pulsation groovy donnée par Saori Ishikawa sous le regard de son mentor Jérôme Granjon. Son attention au toucher et au phrasé fait rutiler l’introduction. C’est la pianiste, spécialisée ans l’accompagnement chorégraphique, qui va arbitrer le duel entre Corentin Garac et Yan Mařatka, lesquels se prêtent avec sérieux aux jeux

  • de la fusion,
  • de la complémentarité et
  • de la provocation mutuelle.

C’est précis, vigoureux et musical grâce au soin apporté aux

  • nuances,
  • articulations,
  • respirations et
  • inspirations communes.

Le tout est huilé par

  • de la technique,
  • du souffle et
  • un investissement artistique patents.

 

Saori Ishikawa, Yan Mařatka et Corentin Garac à la salle Érard, le 15 octobre 2023. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Derrière nous, une négociation engagée avant le début continue entre le fiston asiatique muni d’un bouquet et son père qui lui intime de se préparer à aller donner les fleurs à sa prof, le gamin n’envisageant d’accepter qu’à condition que son père l’accompagne. À notre sénestre, une maman coréenne s’installe bruyamment avec son gamin muni d’un taureau en plastique. Loin devant, sous les projecteurs, les interprètes sont à leur affaire pour mener un joli decrescendo à suspense préludant au redémarrage et à l’emballage final.
Changement de plateau pour “La chanson perpétuelle”, l’opus 47 d’Ernest Chausson bestofisant “Nocturne” de Charles Cros pour voix, quatuor à cordes et piano. D’abord saisit l’harmonisation sublime qui irradie les premières notes. Sur cet écrin vient se poser la voix juste chaude et expressive de Chantal Mathias, dont on apprécie le souci de diction. La dame raconte sa nuit torride avec son bien-aimé dont on apprend d’emblée qu’il l’a larguée. Charge est confiée aux rossignols d’aller dire au papillonneur que son ex est super triste – vraiment super triste – de son départ.
Derrière son clavier à la sonorité si particulière, Saori Ishikawa crée une unité antithétique entre une pédalisation atmosphérique et une absence de confusion qui eût transformé le texte en gloubiboulga. L’ensemble des accompagnateurs lui emboitent le pas sonore en fomentant de beaux effets expressifs grâce à des nuances joliment amenées. Celles-ci

  • prolongent,
  • approfondissent ou
  • soulignent

la contradiction narrative entre

  • l’orgasme du souvenir amoureux,
  • la torture de l’absence et
  • le semblant d’espoir qui bat dans tout désespoir.

Sans ciller, mais avec une malice joyeuse voire une joyeuse malice, Chantal Mathias glisse son texte d’une mauvaise foi assumée, comme lorsqu’elle pose : “Et puis, je ne sais plus comment / il est devenu mon amant.” La mort soulage-t-elle de l’amour ? Peut-on choisir de mourir alors qu’on ne choisit pas d’aimer ? Comment trancher sur la conduite à tenir quand vivre sans l’amour et mourir d’aimer ne sont que deux manières d’un même destin : “comme en un linceul doré, (…) / Subir l’étreinte de l’absent”. De ce drame à peu près universel, Ernest Chausson tire une partition intense et polymorphe qui, forte d’un ensemble peu fréquent, sait flatter la voix, que celle-ci soit

  • intérieure (exposant le tourment vécu par la narratrice),
  • narrative (précisant le contexte pour le rendre intelligible à l’auditeur) ou
  • émotionnelle (les embardées de la cantatrice témoignant de ce qui se vit derrière la factualité sèche des mots).

Le résultat, que nous oyons pour la première fois, est

  • doublement original (instrumentarium rare et œuvre rarement jouée),
  • joliment écrit et
  • interprété avec goût et métier.

De quoi mettre en appétit pour la seconde partie du concert…

 

À suivre !