Fruits de la vigne – Domaine Angiuli, “Primitivo”
Double danger :
- aller un voir un caviste en lui demandant un vin pour accompagner des spaghetti bolognaise, et se voir proposer un vin italien ;
- penser “Ha, pourquoi pas, je connais pas” et accepter la suggestion.
Oui, quitte à jouer les bravaches, nous nous sommes senti de taille à affronter ce double péril. Aussi nous sommes-nous retrouvé en possession d’une bouteille de “Primitivo”, un vin du domaine Angiuli, dans la province de Bari. Comme son nom l’indique, c’est un monocépage (100 % primitivo, donc) réputé corsé, ce que confirme l’étiquette affichant sans complexe 14,5°.
La robe est d’un rouge plutôt clair. La trouble une tentation vers l’obscurité et la densité dans laquelle elle n’ose point tout à fait plonger.
Le nez est discret. On croit sentir qu’il égrène, timide, un petit chapelet où grains de café et de cassis se côtoient avec un sens du vivre-ensemble qui ferait se pâmer un élu socialiste, tant qu’il en reste, prônant la mixité sociale bien calé dans son duplex de la place des Vosges. A posteriori, j’ai bien lu qu’il fallait y découvrir des “herbes aromatiques” : j’ai dû mal chercher ou me laisser distraire par un bosquet aux mouvements suggestifs car je n’ai rien décelé de tel.
La bouche s’articule en trois temps.
- D’abord, derrière le pétillement qui gâche un peu son attaque, fleurit un bouquet d’épices où la cannelle ne laisse pas sa part aux chiens qui, au reste, s’en seraient fichés comme de colin-tampon.
- Ensuite s’établit une amertume aux accents caféinés (oui, je tente “accents caféinés”, c’est sans doute une remotivation lexicale extrêmement signifiante, à moins que ce ne soit un syntagme de bon gros snob des familles, voire les deux).
- Enfin, on semble se diriger vers une impression compotée, plutôt floue donc assez difficile à attribuer à une dominante spécifique.
Le mariage avec le trio pâtes-tomates-viande est adéquat, mais il manque au jus la netteté, la personnalité voire l’originalité qui provoquerait un sain dialogue avec un mets proportionnellement peu relevé. Si à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, à échouer avec danger, on ne triomphe pas beaucoup plus. Est-ce, comme l’eût écrit Pier Paolo Pasolini (in : Une vitalité désespérée. Anthologie personnelle 1953-1964, Gallimard [1973], “Poésie, 2020, p. 87),
justement en cette torpeur
qu’est la lumière ? en cette inconscience
d’enfant, d’animal ou d’ingénu libertin
qu’est la pureté ?
En l’espèce, nous aurions sans doute aimé que la pureté de la lumière se secoue ou nous transperce. Qui sait si, la prochaine fois que nous braverons une double menace…