Fruits de la vigne – Domaine Grieco, “Début d’une histoire…”

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Photo : Bertrand Ferrier

 

Voilà quinze ans que Jérôme Grieco, “ancien employé de Vinci”, a repris l’exploitation de son beau-père. En sus des Châteauneuf-du-Pape et des côtes-du-Rhône, le vigneron travaille aussi des vins de France pour lesquels il a été frappé, comme tant de ses collègues, par la malédiction du naming pupute. Voici donc le “Début d’une histoire…”, un vin 100 % cinsault, ce qui n’est pas si fréquent – ce cépage est souvent considéré comme un appoint précieux pour tempérer mourvèdre ou syrah, par exemple.
La robe est trouble, mêlant

  • rougeoiement sanguin,
  • entre-deux-grenats et
  • crépitement des ombres.

Dans le verre, le cœur de l’histoire qui commence bat avec une belle densité mais n’exclut pas, le malin, de laisser passer des rayons de lumière.
Le nez est riche et multiple.

  • L’attaque fraîche nous évoque l’herbe coupée ;
  • le corps du délit recentre le tarin vers les fruits rouges ;
  • au final semblent poindre les fragrances d’une pointe de cour de ferme franche et sans chichi, que l’on aurait plus spontanément associer à une solide syrah.

La bouche confirme la complexité du projet. Dans un monde où

  • le bouilli,
  • le prémâché et
  • le prêt-à-digérer

s’imposent, stipulons que la complexité est, en la circonstance, un joyeux compliment.

  • D’abord saisit l’étrangeté d’un pétillement qui grésille (les amateurs d’une rondeur soyeuse et lisse d’emblée abandonneront ici toute espérance, quitte à la reprendre plus loin).
  • Ensuite, des vapeurs de café nous conduisent vers des notes de groseille puis d’agrume quand la quille nous remonte aux naseaux.
  • Enfin, le vin se prolonge,
    • solide,
    • résonant,
    • délectable.

Le mariage que nous fomentons avec une côte de porc et des légumes grillés est complètement stupide. Le breuvage est trop puissant pour la viande, même de qualité et bien relevée. Il n’en est pas moins intéressant, à l’occasion, de tester des vins qui surplombent le mets sans dialoguer avec lui. La prochaine fois, nous serons plus malin. Enfin, nous essayerons de l’être.
Le prix de la bouteille, davantage disponible chez les cavistes – comme Thierry Welschinger & PiB à Paris – ou à l’export que sur les principaux sites de vente à distance, a flambé comme garrigue par temps de cers, surtout si l’incendie permet à un promoteur immobilier (ou à un vigneron cherchant à créer un espace resort premium pour se lancer dans l’œnotourisme écoresponsable en construisant une salle où accueillir un festival de jazz sponsorisé par les copains à la tête de la communauté de communes et du département où seront programmés de vrais, de grands, de beaux musiciens comme

  • Orelsan, le spécialiste de la détection de salopes parmi ses compagnes,
  • Eddy De Pretto, l’un des hommes les mieux coiffés du monde, ce qui est évidemment un signe incontestable de talent dès que l’on s’y connaît un peu en chauve-bizenèce,
  • Patrick Bruel & Dany Brillant, véritables seigneurs du groove qui ont su séduire un public allant au-delà des snobs fréquentant le Triton ou le Duc des Lombards,
  • Aya Nakamura, maîtresse du Verbe, de la Voix et de l’Élégance alla francese s’il en est, ou
  • Jul, spécialiste de l’écriture digitale de son pseudonyme – accroche-toi, Georges Brassens !)

de bâtir là où il était interdit d’édifier, bref. Il y a quelques années, la bouteille se vendait neuf euros – en témoignent les coupures de presse présentées par le domaine ici.

  • La catastrophe de Fukushima, sans doute,
  • la guerre en Ukraine probablement,
  • la montée de l’extrême-droite à l’évidence et, hypothèse fofolle, peut-être
  • le pricing power d’un vigneron à succès

lui permettent aujourd’hui de faire une culbute de quelque + 50 %. Une quinzaine d’euros pour un “vin de France”, c’est désormais du cossu. Hélas, l’hénaurme hausse est à la fois regrettable et justifiable à l’aune qualitative de la concurrence. Alors, on tâche – en vain – de réduire l’aspect matériel du liquide à ces éléments de rien que l’on aperçoit par la fenêtre du train quand, en passant,

 

le regard s’arrête sur un détail de peu d’importance : un tas de bois coupé à la lisière de la forêt. Il fait mine de se poser là. Ailleurs déjà pourtant.
(Jean-Michel Maulpoix, Rue des fleurs suivi de Pas sur la neige, Gallimard [2022], “Poésie”, 2024, p. 96)