Fruits de la vigne – Le Seuil de Mazeyres 2016

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Photo : Bertrand Ferrier

 

Pomerol est de ces appellations prestigieuses qui sont parfois massacrées. Certains remplisseurs de quilles, notamment disponibles en supermarché, partent du principe qu’une piquette habillée d’une étiquette flatteuse sera forcément jugée gouleyante et subliiime par le convive en retard qui l’achètera avant de gagner quelque repas où l’on n’ose arriver les mains vides – et l’entourloupe peut fonctionner comme prévu,

  • que ledit urgentiste du cadeau trouve effectivement ce jus de chaussette délectable,
  • qu’il s’oblige à s’en pourlécher les babines dans la mesure où un Pomerol, c’est forcément sublime, ou
  • qu’il essaye de s’en convaincre pour ne pas admettre que le marketing lui a, une fois de plus, joué un fort vilain tour.

C’est dire si l’on aborde avec précaution ce Seuil de Mazeyres 2016, mélange de merlot (2/3) et de cabernet-franc (1/3) que l’on peut trouver sur certains sites entre 20 et 25 € hors frais de port.
La robe assume l’ambiguïté du rubis bien préparé. Elle n’est pas que rouge, pas que noir. Entre

  • lumière et obscurité,
  • couleur et effacement de la couleur,
  • unité solennelle et ambiguïté troublante,

elle aguiche et promet à la fois.
Le nez nous évoque curieusement quelque chose qui s’apparenterait

  • à l’écorce de santal,
  • à une promenade en sous-bois agrémentée d’une pincée d’épices ou, peut-être,
  • à une fleur aux fragrances riches et mystérieuses.

La bouche offre une attaque rugueuse. Amateurs de douceur, passez votre chemin ! Ce nonobstant, après une ouverture déstabilisante, le nectar s’équilibre lentement et s’apprécie grâce à une longue note finale lorgnant vers le café fraîchement torréfié. Cette dichotomie devient complémentarité au deuxième test, quand le palais commence sinon à s’habituer du moins à apprivoiser la bête liquide qui le colore. Associée au combo tournedos – patates, la quille fait efficacement son travail et, sans ébaubir les papilles pour autant, n’a pas à faire rougir l’appellation dont elle est issue. Un instant, comme l’écrit Lionel Ray dans Comme un chateau défait [1993] suivi de Syllabes de sable (Gallimard, Poésie”, 2004, p. 27),

 

le ciel sans pesanteur en toi
glisse, une fraîcheur s’en
vient, diffuse un infini,
le silence s’éloigne,
le temps se forme dans le fruit

 

et pour le reste, la guerre, l’argent, l’urgence, l’éternité éphémère des jours, la mort et ses grondements, franchement, on verra plus tard.