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Photo : Bertrand Ferrier

 

Trop souvent, la dichotomie aristotélicienne suffit à comprendre le monde. Par exemple, l’on peut distinguer sans coup férir

  • le bon grain de l’ivraie,
  • les macronocompatibles des gens fréquentables, et
  • ceux qui aiment ce site des butors.

Heureusement, il arrive que la réalité se dérobe au rythme binaire de la partition et oppose au beat disco une oscillation plus stimulante pour la boîte à neurones qui est censée couronner notre corporéité. Ainsi de ce crozes-hermitage conçu par Florian Buit, qui

  • s’est occupé des vignes,
  • a supervisé les vendanges mais
  • n’a pas embouteillé lui-même ce vin de prestige.

Et pour cause : en attendant la construction d’un chais perso, son jus est hébergé dans la cave de Jean-Louis Chave, mentor et voisin dudit Florian. Or, cette opération, d’apparence anodine, s’accompagne, sinon d’une transsubstantation, du moins d’un changement de nature : le vin de récoltant devient vin de négociant.
La nouvelle terminologie est a priori moins prisée des fines bouches car le statut de négociant permet aux aigrefins de tripatouiller fonds de cuve et invendus pour créer une vinasse presque aussi honnête qu’un gouvernement associant une ministre de la transition écologique à une ministre de l’agriculture se démenant pour développer tout azimut des intrants phytosanitaires (quel dommage que cette dangereuse fumisterie barniérique ait été victime d’une motion de censure !). Cependant, et nous l’avons constaté dans cette rubrique, la prévention que la dénomination de « vin de négociant » entraîne est parfois totalement injustifiée. Il arrive fréquemment que tel vin de négociant bien intentionné ne se révèle pas moins sapide et singulier que certains de ses concurrents, compères et collègues aux étiquettes plus prisées.
L’étiquette est d’ailleurs le point faible de la bouteille, en dépit de sa sobriété élégante. En effet, le cinquième millésime du « Vieux mûrier » a oublié son accent circonflexe. Partant, il remet un coin dans notre juke-box inauguré tantôt : comment peut-on faire des trucs aussi compliqués qu’un vin et omettre de faire relire son étiquette par des gens qui,

  • nuls en fermentation alcoolique ou malolactique,
  • incompétents en piégeage ou soutirage,
  • démunis face à tout projet d’éraflage ou d’entonnage,

sauraient néanmoins éviter cette cagade pour, finalement, pas super cher ? Certes, l’essentiel est ailleurs, comme on disait dans le Sentier, et un petit chapeau pointu n’est peut-être qu’un détail ; ce nonobstant, pour reprendre l’analyse de Muriel Robin quand elle était chef de chantier plutôt que

  • collectionneuse de subventions publiques,
  • pleurnicheuse en chef,
  • madone grassement rémunérée des causes consensuelles, et
  • lâcheuse d’élite sortie première nommée d’une promotion où, pourtant, la concurrence était féroce,

« votre chemise a des boutons, c’est un détail, mais avouez que, pour la fermer, c’est quand même plus pratique ». Enfin, donc, après ces considérations de dénomination et d’orthographe, apparaît le vin, un monocépage à la gloire de la syrah. Sa robe est marquée par

  • l’unité,
  • la densité et
  • l’opacité

du produit. Peu d’éclats rougeoyants. À la place, une belle densité qui augure d’un vin solide et charpenté. Le nez confirme ces auspices. On note

  • sa puissance,
  • ses notes de fruit confit et
  • sa finale de girofle

qui ajoute à la fermeté une petite pirouette à la fois gracieuse et appétissante. La bouche étonne. Partant sur une légèreté où le fruit semble se dissimuler derrière le gingembre, elle revendique

  • moins la rondeur chromatique qu’un à-plat de couleurs,
  • moins l’étagement des saveurs que leur confrontation synchronique, et
  • moins l’explosivité propre à certains monocépages syrah qu’une forme de stabilité gustative se prolongeant en fade out.

Peut-être la dégustation est-elle perturbée (ou rendue spécifique) par certaines interférences. D’une part, il est évidemment envisageable que la quille aurait gagné à rester en cave quelques années de plus, d’où la sensation d’un potentiel profond associé à une linéarité gustative, au lieu de la perspective 3 voire 4D que l’on attendait. C’est entendu, mais l’impatience, si elle peut être saccage, est aussi hommage à la désirabilité des bouteilles ! D’autre part, son association avec de délicieuses pâtes fraîches au foie gras – merci à la maison qui, ce soir-là, n’avait reculé devant presque aucun sacrifice – n’est sans doute pas la plus immédiatement attendue. Pour autant, en bousculant les us et coutumes des logiques feutrées présidant aux accords mets et vins, elle souligne le charme d’un vin – généralement commercialisé aux alentours de 25 €, compter 5 € de plus chez les heureux cavistes qui ont obtenu un quota de cette cuvée annoncée comme confidentielle – qui sait être

  • soyeux,
  • ferme et
  • assez direct pour s’adapter au palais du curieux sans perdre son identité.

De la sorte, la création de Florian Buit ajoute du mystère au plaisir et évoque, à son corps défendant mais le siroteur a le droit de résonner (oui, avec un « é ») comme juste lui semble, cette confession d’Alicia Galienne :

 

Plus je me regarde dans cette eau lourde et profonde,
Plus la nuit se masque et va rejoindre le jour.
(« Les nocturnes », in : L’Autre moitié du songe m’appartient, Gallimard, « Poésie », 2020, p. 69.)

 

Bonnes nuits diurnes à tous, et belle joie aux patients pas malades qui dégusteront le jus quand il aura atteint maturité !