Fruits de la vigne – Le vin, sang de la Terre (Monier-Perréol) 2019

admin

Photo : Bertrand Ferrier

 

… et c’est vrai que, parfois, ce marketing pseudo mystérieux, plongeant dans des références contradictoires

  • (éloge des grandes exploitations blanches avant la guerre de Sécession,
  • titre bateau pour polar vaguement racoleur,
  • refrain écolo aux bannières un rien éculées,
  • engagement social de gauche qui n’empêche pas de vendre des appellations prestigieuses au prix de, précisément, des appellations prestigieuses…),

qui imbibe les étiquettes de nombreux vins – notamment proposés dans les caves parisiennes – peut agacer, parasitant discrètement le plaisir de la dégustation en tentant de faire tinter un naming pataud au milieu d’une musique autrement appétissante. Or donc, ce jour-là, n’écoutant que notre envie de suçoter quelque fluide gouleyant, nous débouchons un vin de pays des collines rhodaniennes, l’entrée de gamme chez Jean-Pierre Monnier et Philippe Perréol – à quasiment cent balluches l’entrée, on a déjà affaire à un beau porche. Pas encore une Porsche, non, mais déjà un beau porche.
La robe de cette syrah de 2019 nous réjouit comme ces filles louées par Jean-Jacques (non, pas Rousseau) parce que, en sus de leurs charmes, elles ne font pas de manière. C’est un fait : à cette quille, il ne faut pas tout un débat ni pour le haut, ni pour le bas. L’y invite-t-on ? Voici qu’elle se déchire pour dévoiler une griotte dense tirant sur le café serré vers le centre. Pour qui se délecte des vins qui ne s’excusent pas de ne pas être de la flotte coupée à la tisane équitable, impossible de ne pas être émoustillé par la belle compacité affichée par le jus. L’obscurité rougeoyante fait joyeusement saliver en promettant d’autres délices, la coquine.
Le nez surprend. Ce sont d’abord ses vapeurs délicatement sucrées qui s’infiltrent dans nos naseaux. Ensuite, en tâchant d’affiner, on se laisse entraîner vers un caramel acidulé. Enfin, on se perd volontiers dans d’autres pistes : se faufile alors le pruneau cuit ou le zeste d’orange ou les deux. Certes, cela ne correspond pas aux verdicts des dégustateurs confirmés, mais ça tombe bien : on ne fait pas partie du club, on aspire juste à kiffer presque respectueusement.
La bouche désarçonne itou, ce qui est loin d’être un défaut pour qui aime découvrir plutôt que ressasser. D’emblée, il y a de la genièvre amère qui vous remonte dans la péninsule vous servant de nez. Elle laisse en bouche un équilibre

  • flagrant,
  • solide,
  • sérieux

qui persiste. Petit à petit, le palais s’accoutume et repère une saveur boisée, presque rafraîchissante. Pour autant, ce “vin de pays” ne joue pas les cadors :

  • habile, il évite l’astringence ;
  • curieux, il risque sa personnalité ;
  • sérieux, il ne prétend pas développer une note finale énorme, plutôt à un apaisement épicé et posé.

En somme, un vin pour le moins étonnant, dont les 13,5° ont utilement profité de leur mariage avec une merguez corsée et un riz nature, surtout après qu’on l’a laissé s’ouvrir un peu. Bah, le vin, c’est comme un mache de rrrrrrubis : c’est plus agréable quand ça s’ouvre – et, confiture sur la tartine beurrée, si on garde une juste maîtrise de l’immodération, ça fait quand même moins mal qu’un pilier de 150 kg étalé sur votre échine…