Giovanni Panzeca et alii jouent Boulanger, Gerber et Schulé (Cascavelle) – 6/6
Pas le plus connu des compositeurs au programme de ce disque (le titre reviendrait à la matriarche, Nadia Boulanger), le physicien Bernard Schulé a pourtant eu une jolie carrière musicale. Élève de Paul Dukas – comme René Gerber, héros de la platine – à l’ENM, remplaçant de « Mademoiselle » qui a aussi été la prof de René Gerber, il lui est arrivé de remplacer « régulièrement » Charles Tournemire à Sainte-Clotilde et a même fréquenté des cadors de la pointure d’un
- Jean Françaix,
- Arthur Honegger,
- Aaron Copland ou
- Sergueï Prokofiev,
rappelle Claude Delley dans la partie du livret en rapport. Ce sont ses Métamorphoses sur un air ancien op. 51 pour orgue seul qui concluent le disque vivifiant proposé autour de l’orgue et de René Gerber par Giovanni Panzeca et ses collègues – nous l’écoutons à l’aveugle. L’énoncé du thème s’effectue
- en solennité,
- en duo et
- sur les pleins jeux,
autour d’une harmonisation riche et frottant joyeusement contre l’idée d’un « air ancien ». D’abord claudicant, le début des variations se cherche une stabilité entre
- monodie,
- questions-réponses et
- mutations
- de registres (hauteurs du son),
- de registrations (type de jeux engagés) et
- d’intensités (niveau du son).
Bernard Schublé y offre à l’interprète l’occasion de briller tout en intrigant l’auditeur grâce
- au suspense créé par le subtil déséquilibre de certains segments,
- à l’exploitation d’un large spectre de l’instrument, et
- à la variété des techniques employées
- (solo + accompagnement,
- unisson rugueux,
- rôle de la pédale, entre
- lead grave,
- collègue de discussion et
- assise profonde).
Après la leçon d’harmonie, la fugue centrale ajoute une couche savante à la marque « with Nadia Boulanger inside ». Giovanni Panzeca y séduit
- en adoptant une allure décidée qui embarque le mélomane dans l’aventure,
- en démontrant un grand sens de la respiration adaptée à l’acoustique, et
- en témoignant d’une savoureuse envie de profiter des rythmes pointés pour énergiser la fugue, exercice de style souvent brillant mais parfois un rien guindé.
Le contraste avec la variation suivante, plongée dans les ténèbres d’une basse tamisée, saisit ; et ce saisissement se révèle être une habile mise en place d’un splendide trio centré sur les fonds. Il se confirme que, fors les caricatures donc les exceptions, l’avantage d’un compositeur organiste est que, quand il écrit pour l’instrument qu’il connaît, il a quelques notions de ce qui « marche » et de ce qui ne « marche » pas même si, sur le papier, ce serait tout à fait croquignolesque. En l’espèce, la double maîtrise de Bernard Schulé – orgue et composition – contribue à l’intérêt de l’affaire, avec
- ses contrastes vifs
- ses tuilages de style ou de nuances, et
- sa large palette de variations, qu’elles soient
- horizontales (travail sur la mélodie),
- verticales (travail sur l’harmonisation) ou
- entrelacées, à travers, notamment,
- la désintégration liminaire du motif,
- la paraphrase,
- le fugato central et
- le crescendo final filant avec une pompe très organistique vers le plenum.
Giovanni Panzeca fait honneur à cette science et réjouit l’auditeur qui découvre pour la première fois la musique, troussée avec grâce et maîtrise, par un compositeur plutôt rare – a minima sur les tribunes françaises, hélas trop souvent engoncées dans un enchaînement-type
- un compositeur star de l’époque baroque,
- un compositeur romantique ou post-romantique dont tout le monde (c’est-à-dire l’ensemble des chalands potentiels, ce qui ne sature pas, hélas, l’intégralité de l’humanité) connaît le nom, et
- de la musique un peu plus récente, entre Duruflé et Escaich (du moment que le créateur est perçu comme bankable),
principe propre sur soi, certes, mais tellement cliché – en anglais dans le texte – qu’il donne envie de bailler ou de ne surtout pas aller à un concert « d’autant que, dans cette église, on est très mal assis », attitude communément retenue par tant de ceux qui se gargarisent de leur adooooooration de l’orgue mais ne foutraient les pieds à un récital pour rien au monde.
À l’opposé, cette fin vivifiante et très intéressante conclut un disque parfois imparfait, selon nous, mais souvent fort captivant. D’ici à ce que les vents tournent et élargissent le répertoire programmé en live,
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