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Maurizio Benini (chef), Sondra Radvanovsky (Leonora), Marcelo Álvarez (Manrico) et Ekaterina Semenchuk (Azucena). Photo : Bertrand Ferrier.

Encore un pari raté de Stéphane Lissner : les séances tardives de l’opéra, les 13 et 14 juillet, peinent à trouver preneur. En dépit de soldes monumentales sur les catégories chères, l’opéra est vide comme jamais, ce soir-là. Date malencontreuse ? Trop nombreuses représentations d’un tube déjà vu en 2016-2017 ? Ras-le-bol des grèves et des préavis de grève ? Échec, en tout cas, de l’initiative lissnérienne. Ce qui ne doit pas nous empêcher de goûter au plaisir d’un monument du répertoire, au contraire.

L’histoire

Attention, ce qui suit est dégueu. En gros, en dénouant les analepses, une sorcière est soupçonnée d’avoir jeté un sort à un fils de comte. On la brûle. Sa fille, Azucena (Ekaterina Semenchuk), s’empare d’un bébé de comte. Elle croit le tuer par vengeance, façon Boris espérant accéder au pouvoir, mais, en vrai, elle crame son fils. La voici donc avec un Manrico (Marcelo Álvarez) sur les bras, fier et noble comme un fils de comte, mais croyant dur comme fer qu’il est fils de gitan. Il est amoureux réciproque de Leonora (Sondra Radvanovsky). Hélas, le Conte di Luna (Željko Lučic, hors sujet puisqu’il est censé avoir l’âge de son rival alors qu’il semble pouvoir être son grand-père ou presque) veut aussi l’épouser. Le combat de coqs dégénère. Pour échapper au comte, Leonora veut prendre le voile. Le comte tente de l’enlever au couvent mais c’est Manrico qui y parvient. Sauf que le comte capture Azucena et annonce qu’il va la brûler.
Attendu par les ennemis et un Noir cul nu(l), avec une serviette sur le zguègue, dans la version Bastille, va-t’en savoir pourquoi (j’ai bien une idée, hélas, sauf pour la serviette, tu penses), Manrico part avec ses hommes pour la sauver. Ils se font dérouiller. Bientôt, le bel amoureux sera décapité à la hache (en fait, flingué, le metteur en scène ayant tous les droits, surtout les plus débiles, à Bastille) tandis que sa mère sera passée au barbecue (en fait, flinguée, le metteur en scène, etc.). Leonora tente de le sauver : elle promet un non-chaste amour au Comte contre la vie sauve de son chéri. Croyant en l’accord du comte, elle s’empoisonne à mort pour éviter de coucher avec lui. Bref, à la fin, tout le monde clamse, sauf le comte qui, sauf, clame qu’il est sauf dans la dernière réplique de la saison.

Le cast dans le miroir. Photo : Bertrand Ferrier.

Le spectacle

Cette 26ème représentation dans la mise en scène d’Àlex Ollé, assisté de Valentina Carrasco, si elle représente bien des militaires, gifflotte le livret stipulant que l’action est censée se passer au quinzième siècle. Or, ça sent plus un mélange entre Napoléon et Première Guerre mondiale (superbes masques à gaz volontiers verdis, quel humour !), pour une raison qui, aux yeux du pékin moyen, échappe totalement, laissant supputer que, une fois de plus, le metteur en scène s’est gaussé de la face de la Terre, voire foutu de la gueule du monde. Sa direction d’acteurs est faible – ha ! cette manie de demander aux artistes de se saisir et de se caresser pour montrer le lien qui les unit tous sans prendre la peine de créer un liant dramatique entre eux ! – et imprécise – le bis offert avec générosité par Sondra Radvanovsky souligne l’approximation des déplacements puisque les deux séquences suivent un chemin différent. Nous imposer une fois de plus des pauv’ figurants censés avoir été fusillés avant d’être ramassés en vrac finit de consterner, espérons-nous, ceux qui, dans l’assistance, gardaient un vague espoir de dignité.
Le décor d’Alfons Flores est assez cossu dans le genre doigt d’honneur à Giuseppe Verdi puisque, entre les sempiternels miroirs qui permettent moins de donner l’illusion du nombre que de contempler l’orchestre et son chef, il fait pendouiller ou surélever une trentaine de parallélépipèdes trouant la scène. Comme cette uchronie abstraite n’a aucun sens, on apprécie surtout les lumières précises et oniriques d’Urs Schönebaum, qui habillent le plateau de belles trouvailles… bien qu’il soit regrettable qu’elles n’aient aucun rapport avec ce qu’est-ce que l’histoire elle raconte. Le beau est sans pourquoi, soit ; mais, ici, précisément, il y a un pourquoi, il y a une tension, il y a un drame. Décréter que l’on en fait ce qui nous chaut est une insulte au spectateur que l’on regrette de ne pouvoir laver d’un crachat – tout aussi symbolique, voyons – à la face des offenseurs.

La musique

Porté par un chœur qui tonne et nuance avec précision comme il aime et sait faire, cette collection d’airs de bravoure qu’est Il trovatore trouve un chef inspiré et attentif en la personne de Maurizio Benini ; et il faut un artiste de cette trempe pour mener à bien ce bateau qui tangue souvent ! Pas la faute aux Français : une seule soliste (et aucun membre de l’équipe de mise en scène) ressortit de cette nationalité honnie à l’opéra Bastille, vu que c’est plus cher qu’une Slave… ou moins chic qu’un zozo allogène. La faute, peut-être, paradoxalement, aux trop nombreuses représentations : deux équipes (mais pas équitablement réparties), quatre Manrico – difficile de créer une cohésion à chaque séance. Ce soir, tous semblent souffrir. La jolie voix de Mika Kares (Ferrando) paraît manquer de puissance – ce que sent le chef puisqu’il obtient de l’orchestre un accompagnement discret. Sondra Radvanovsky ne s’échappe devant aucune difficulté, mais son timbre paraît souvent résonner de manière métallique. Il est vrai que les acrobaties récurrentes qui lui sont demandées doivent épouvanter les gosiers les plus gourmands ; aussi préfère-t-on retenir la bravoure, l’honnêteté et la constance de la chanteuse, en dépit d’une fin d’opéra titanesque.

Luca Sannai (Un messager), choriste toujours, soliste moult fois. Photo : Bertrand Ferrier.

Marcelo Álvarez chante comme il peut : il fera expliquer à la mi-temps qu’il souffre d’allergie ; mais on souffre avec lui – ces coups de menton pour accéder au-delà du sol, ces hachures pour respirer, cette difficulté à terminer les longues tenues témoignent de la véracité de sa maladie. Le comte, Željko Lučic, paraît aller au-delà de ses capacités ; et l’on est heureux lorsqu’il termine ses airs tant il semble en souffrance devant l’exigence de la partition. Tandis qu’Élodie Hache tient vaillamment son rôle de confidente, la plus incarnée des artistes, Ekaterina Semenchuk, est hideuse à souhait. Il est logique qu’elle finisse première à l’applaudimètre, car c’est la seule à briller vocalement grâce à un rôle fabuleusement spectaculaire – n’étant pas italianophone, nous garderons par-devers nous l’impression que, par moments, son italien, et ce ne serait pas le seul sur le plateau, ne manque pas d’exotisme. Les trois solistes issus du chœur – Yu Shao, Lucio Prete et Luca Sannai – montrent clairement la qualité de ces artistes dits « choristes », Yu Shao ayant plus que les autres l’occasion de démontrer la qualité de la voix et le plaisir de jouer qui battent chez ces vedettes en puissance.

Marcelo Álvarez et Sondra Radvanovsky. Photo : Bertrand Ferrier.

En conclusion

Un grand opéra, une mise en scène déplacée, un plateau valeureux mais fatigué, un orchestre et un chœur à leur affaire, une quasi absence d’artistes français poussant à se rrrredemander pourquoi l’État français subventionne si généreusement cette institution censée être nationale – voilà de quoi fermer le ban opératique de l’année avec de l’enthousiasme pour les émotions vécues malgré tout, et l’agacement devant l’obligation d’ajouter « malgré tout » après « émotions vécues » !