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Photo : Bertrand Ferrier

 

Télérama et « France-Inter » nous désignent ce que nous devons aimer, et il faut les en remercier. M le magazine du Monde ce dont nous devons parler, et c’est formidable. Le Monde des livres ce qu’il faut écrire donc lire donc penser, grâces lui soient rendues. Pour ceux que lire et penser intéresse, voici donc un florilège du dernier épisode du Monde des livres et nos conseils pour vous améliorer en douze maximes garanties conformes à la pravda.

 

1. L’homme (blanc) est un salaud.

En une du supplément est évoquée l’histoire (griffonnée par « une écrivaine ») d’un policier moustachu, forcément moustachu, qui traumatise sa fille en prétendant l’éduquer. Ce type pousse le comble de l’horreur à se prendre pour « un homme, un vrai, comme on disait avant #metoo ». Bien sûr, nous espérons tous qu’il est mort. Cette critique vedette est accompagnée de deux autres longues notules évoquant « le thème de la brutalité paternelle ». D’un côté, Gaëlle Josse met en scène un « brutal géniteur » ; de l’autre, Sarah Jollien-Fardel dénonce « un homme violent [qui] fait de la vie de son épouse et de ses filles un enfer ». On notera la tautologie qui choquera tous nos lecteurs conscious : dans « un homme violent fait de la vie de son épouse et de ses filles un enfer », « violent » est pour le moins redondant. Nous nous concentrerons sur le bon message : l’homme blanc est dominateur et mauvais. Parmi eux, réfléchissons spécialement à faire rendre gorge aux papas blancs.

 

2. Le genre, c’est so 2021.

Page 3, on apprend qu’Emmanuelle Bayamack-Tam met en scène un homme « qui finance une retraite dans le désert en fabriquant des bougies parfumées à la vulve » signe, pose la critique, que « l’écrivaine » est « irrésistible ». D’autres signes le laissent penser, en effet : dans son nouveau roman, « l’autrice » évoque « Farah et sa mère, Hind, une “femme à bite” qui n’est autre que le père biologique ». Faut suivre, d’autant que, dans ce roman, éloge de la GPA, « le petit garçon Farah se change en femme » car « la détermination de son genre est une métamorphose parmi d’autres qu’on aurait tort de fétichiser ». Écrivaine + personnages transgenres + GPA, on touche au strike, évidemment.

 

3. Le futur est dans le passé, mais pas n’importe lequel.

À côté de la re-rentabilisation des attentats du 13 novembre 2015 par Emmanuel Carrère et de la peinture d’une « femme qui s’est imposée dans un monde masculin », la page 4 nous offre notamment un trio d’« autrices » qui enquêtent sur « les origines que l’on perd de vue ». Parmi elles, Gabriella Zalapi traque un « juif, entrepreneur et surtout collectionneur d’art » qui a « quitté Vienne au moment de l’Anschluss en 1938 » (devoir de mémoire, je t’en supplie, ne nous lâche jamais !), et Polina Panassenko raconte comment son héroïne Polina « va en justice demander » que l’État français, ce salaud, soit condamné pour lui avoir « imposé un prénom francisé ». La vache à lait nazie et la dénonciation de l’État français, raciste s’il en est, mettront en appétit tous les êtres normés donc fréquentables.

 

4. (Tous) les noirs sont (forcément) des victimes.

Jusqu’à la page 5 du Monde des livres, on aurait pu croire que les noirs, ça n’existe pas en soi : il y a des gens noirs parce qu’ils sont noirs, pas des gens qui sont parce qu’ils sont noirs. À l’ère décoloniale, cette tarte à la crème de l’antiracisme, qui tenait lieu de doxa jusqu’ici, est devenue blasphématoire, à la limite de l’incitation à la haine raciale. Nous invitons donc nos lecteurs à l’effacer de leur mémoire. Dans la pravda en vigueur, tout part du premier point, voire du premier poing : l’homme blanc est un salaud.
Partant, si, comme Paul Cerda, vous contez la vie d’un « prodige espagnol des échecs », ne loupez pas de glisser un couplet sur « James Meredith, premier étudiant noir à intégrer l’université du Mississipi » car écrire, c’est essayer « d’altérer l’échiquier des races [donc] du pouvoir et de l’argent ». Vous rejoindrez ainsi la poétique de « l’écrivaine » Priya Hein, qui dénonce « le bidonville sordide d’Africa Town » où grandit Noémie, loin des « Grandbourg, les riches blancs ». Noémie « subit un racisme frontal et décomplexé », dans « un pays où les frontières entre descendants d’esclaves et de colons ne semblent pas avoir bougé ». De façon générale, en littérature, le héros gagne à être « afro-américain » comme le « petit ami de Mike » avec qui il forme une « cellule » de « deux hommes pensant n’avoir de comptes à rendre à personne » tout en s’inscrivant dans un réseau « d’appartenances culturelles dissonantes ».
C’est dit : dans la pravda, il y a une ontologie du noir, si l’on entend par-là une caricature faisant tour à tour de lui la victime ou le « témoin de violences policières, la victime [ou le témoin] de contrôles abusifs et d’un racisme insidieux ». Cette noirophobie ne devient supportable, pour le héros noir de Caleb Azumah Nelson, qu’en profitant de produits créés par des noirs, « des chansons de soul et de hip-hop ainsi que des livres, notamment de Zadie Smith et de James Baldwin », seules portes permettant d’« entrevoir un monde où [être] libre ». Ben oui, pour traduire un livre de noire ou parler aux noirs, il faut être noir, sinon, c’est encore de la colonisation. De même, une soprano « afro-américaine » chantera de préférence des trucs écrits par une « compositrice et flûtiste afro-américaine » relatant « les douleurs et les espoirs de la communauté noire », avec une « vocalité proche du gospel » louant « un amour au nom du Génie Noir » (commentaire de Marie-Aude Roux : « Intense émotion » et « immense exclamation du public » de la Philharmonie de Paris pour Angel Blue et Valerie Coleman, in : Le Monde, 9 septembre 2022, p. 26). Femme + racisation + texte conscious = quasi strike car, enfin, c’est encore un homme blanc qui dirige, en la personne de Yannick Nézet-Séguin. Hormis cette faute de goût, noir, c’est noir, il faut que ce soit noir, alors, prenez des notes, noir sur blanc, j’aimerais ne pas y revenir dans de prochains épisodes.

 

5. L’Histoire (blanche) oppresse l’Afrique.

L’oppression des noirs par l’Histoire blanche est le sujet du « grand entretien » des pages 7 et 8. On y apprend que « l’Afrique est présente dans tous les passés » et qu’il est « évident que les savoirs ont été colonisés ». Lutter contre l’Histoire des blancs est un devoir pour l’historien blanc, peut-être le devoir, même si cela ne suffira pas pour aboutir un « processus de décolonisation des arts ou de décolonisation des savoirs ». Cela étant posé, notons une nuance, glissée timidement mais courageusement à la toute fin par François-Xauvier Fauvelle, sentant vers quel terrain l’interviouveur tente de les entraîner, Anne Lafont et lui : selon l’africaniste, il ne s’agit pas d’« africaniser » l’Histoire mais de lui donner une dimension « polycentrée » afin d’« engager une grande conversation entre les sociétés ». Les stéréotypes ont parfois leurs limites, hélas.

 

6. La vérité est ailleurs.

Si la destruction du prisme colonialiste reste une priorité, c’est que la vérité n’est pas dans cet endroit que nous considérons, avec un exclusivisme qui ne nous honore pas, « chez nous ». Probablement effrayés par cette évidence, les colons ont essayé d’imposer leur mensonge à tous. Heureusement, page 8, une « écrivaine » signe un livre qui permet de « remonter loin en arrière dans l’histoire personnelle de l’autrice » pour plaider en faveur des « cultures autochtones menacées jadis par la colonisation » et – c’est bien aussi – dénoncer « les dérèglements climatiques ». Le combo antiracisme et écologie est tout à fait seyant, nous le conseillons à nos lecteurs.

 

7. La civilisation occidentale est délétère.

En Occident, nous vivons dans une odeur d’œufs pourris si commune que nous ne la sentons même plus. Pour preuve, page 9, on découvre que Jim Downs dénonce « comment le colonialisme a transformé la médecine » (en anglais, c’était moins tapageur, ça s’appelait Maladies of Empire). On apprend aussi que le monde se pourrait porter mieux en « pensant avec le punk » car il développe les « pratiques féministes », hop-là. Vincent Berthelier semble galérer un chouïa, d’après la critique, dans son désir de prouver que « les écrivains de droite » développent « une pensée racialiste » en ayant un style suranné et compassé (en clair, Nimier, c’est pas la Despentes, hihihi) ; toutefois, si Céline n’a pas un style suranné et compassé, « le lyrisme de l’argot célinien » est « le véhicule de son fascisme ». Si t’as un vieux style, t’es facho ; si t’as un style pas vieux mais que tu ne professes point la pravda, t’es facho itou – bien vu.

 

8. Nous sommes tous des violeurs intrafamiliaux
(sauf les nouveaux venus).

À ce niveau de finesse technique, on pourrait abandonner, mais il ne faut pas : l’article principal évoque un probable chef-d’œuvre signé par « cinq auteurs et autrices » selon lequel l’inceste n’est pas une déviance mais le résultat d’une « culture de l’inceste qui serait la nôtre ». En effet, comme chacun sait, devrait savoir ou saura dorénavant, « l’inceste structure notre société à l’image des discriminations de genre, de classe et d’âge ». La boucle est bouclée, car le racisme, la LGBTQIA+phobie et l’inceste puisent à la même source : le « fonctionnement général d’une société basée sur le principe de domination » des hommes blancs. Heureusement, ce livre-ci est « sous la direction » (la domination, donc) d’Iris Brey et Juliet Drouar, une femme et une personne qui, « après avoir été assigné.e femme » est devenue « activiste dans le mouvement TransPédéGouine », gage de qualité suprême. Une domination équitable, donc, libérée et active, quoique un peu blanche à mon goût.

 

9. Ceux qui ne sont pas d’accord d’emblée et systématiquement
avec l’intégralité de la pravda sont des malades.

La page 9, excellente, se termine sur un entrefilet vantant le dernier livre du psychiatre Serge Tisseron qui dénonce le déni, cette pathologie qui frappe les complotistes, entendus comme les fous allant jusqu’à interroger l’efficacité des vaccins. Dois-je préciser que, ne souhaitant pas finir dans une clinique psy, je ne nie pas qu’il a raison ?

 

10. La culture occidentale, c’est du vent et de la haine.

Page 10, on est alléché par le nouveau roman de Makenzy Orcel, écrivain haïtien narrant en français. En effet, il décrit une famille typique d’une « petite ville du sud de la France » : elle est « sous l’emprise d’un oncle fanfaron, raciste et dominateur » ; en son sein, « on s’exprime par le viol et les coups ». Classique, dans les villages du sud de la France. Résultat : l’héroïne a beau s’échapper, elle se suicide. Pis, cette « jeune Française blanche » meurt en étant « beaucoup plus pauvre en monde (sic) » que la « vieille Haïtienne noire et morte qui remontait le fleuve de sa vie et de son histoire, de l’histoire de son pays ». Les blancs en général et les Français en particulier, disons-le sans barguigner, c’est inculte, c’est vide et ça puduc.

 

11. Le présent existe, mais il faut bien le choisir.

Alors que, page 11, Mathieu Belezi dénonce « l’histoire de l’Algérie coloniale », histoire « folle, démesurée, ignoble » s’il en est (voilà plusieurs pages que l’on n’avait presque pas parlé en langage décolonialiste, j’avais peur d’être tombé sur un méchant journal), Le Monde des livres propose un panorama de propositions culturelles valides :

  • d’abord, un colloque sur « la place des femmes dans la bande dessinée » qui est « organisé par des chercheuses, journalistes et éditrices » ;
  • ensuite, la promotion des écrivains ukrainiens à Nancy et à Lviv (Russie, non non, Ukraine, oui oui – l’antiracisme culturel n’est pas équitable, c’est là sa moindre qualité) ;
  • enfin, deux promesses de délices,
    • « la lecture de Cher connard par Anna Mouglalis » à Manosque et
    • l’hommage à « la littérature vivante » organisé par le Centre Pompidou, incluant
      • un « salon de tatouages transféministes avec Paul B. Preciado [anciennement Beatriz Preciado] » et
      • une « exposition sur l’écriture inclusive et les réformes typographiques ».

C’est ça, la littérature vivante, chers lecteurs.

 

12. Même en 2022, nous avons besoin d’idoles.

Ça tombe bien, la page 12 portraitise, et pourquoi pas, Leila Mottey, « autrice » qui dénonce le fait que « l’on attend peu des adolescentes afro-américaines [comme elle] en particulier ». Leila « a grandi dans une maison remplie de livres et au sein d’une famille multiethnique ». One point. Elle a créé « The Women of Color Club, qui interroge l’expérience des femmes de couleur dans les quartiers et à l’école ». Two points. Elle vit avec Mo, sa compagne. Three points. On notera que la mère de la narratrice lui apprend « comment flotter et crier dans l’océan », ce qui est bien, à la différence du policier moustachu, croisé au début de ce florilège, qui voulait « apprendre comment survivre en forêt ou près des océans » à sa fille, ce qui était mal.

 

En conclusion

Ne vous trompez pas : choisissez un livre écrit par un non-homme, si possible non-blanc et tenant un discours décolonial antiraciste validé par des organes engagés et sûrs. Merci pour vous, merci pour la planète, merci pour l’humanité.

En espérant vous avoir aidés,
Votre conseiller en pensée autorisée.