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Claire RenaudOui, quand je ne chante pas, et parfois quand je chante aussi, j’enseigne l’édition contemporaine pour la jeunesse et la littérature, j’ai donc vaguement entendu parler de J.K. Rowling.
Mais non, je n’ai pas lu Une place à prendre. En revanche, hier soir, j’ai découvert Victor et Philomène de Claire Renaud (l’école des loisirs, “Neuf”, 70 p., 8,2 €), qui paraît ces jours-ci.
L’histoire : Victor a un défaut de conception – une main difforme, qui ressemble plutôt à une pince, d’où son surnom de crabe. Mais, comme il tombe vite et fort amoureux, ce solitaire intègre d’emblée à sa vie la nouvelle, Philomène, que toute sa famille, nombreuse à l’échelle française (sept enfants), l’encourage à draguer dans ses filets. L’apprivoisement se passe bien, et Philomène, insérée dans la smala élargie (s’y ajoute le futur époux de la grande soeur de dix-neuf ans), finit par partir en vacances dans le minibus de la famille de Victor, afin de “voir la mer” qu’elle connaît sans l’avoir jamais fréquentée.
L’avis général : c’est plutôt sympathique, car le style bref et saccadé de Claire Renaud saisit d’emblée. On apprécie aussi l’ambition – glisser une famille de neuf, une famille dysfonctionnelle, une maîtresse, des copains, un p’tit copain, un meilleur ami par procuration, etc., dans à peine 70 p. Les zooms sporadiques (la maîtresse au début, le futur-mari d’Anne pour remplir) et donc les creux du livre, qui ne suit pas jusqu’au bout tous ses personnages, tendent à plaire, jusque dans la frustration qu’ils suscitent – par ex., quid de la mère solo de Philomène ? De plus, le ton, faussement enfantin, est plutôt bien tenu. On note néanmoins tous ces signes de pauvreté sémantique censés “faire jeunesse” (récurrence non maîtrisée de “faire”, “déjà”, “vraiment”, “quand même”, “d’ailleurs”, etc., qui auraient pu être très, très allégés sans que le récit perde en dynamisme et en oralité, au contraire). Le gnagnagna sur le handicap physique du narrateur-crabe est bien plus léger qu’on aurait pu le craindre, et fonctionne sur l’idée que la personne différente, c’est aussi celle qui peut prendre dans la gueule la difformité physique de l’autre sans hurler d’horreur. C’est pas faux (à ce propos, les amateurs de Kaamelott seront heureux de croiser les bretonnisants Blaise et Guenièvre en seconds rôles…).
Le bilan : oui, on aurait apprécié un scénario moins prévisible et un petit roman moins lâche (flottement autour des personnages de Cyril et Julien ; on pense parfois, malgré la brièveté imposée par le genre, à de brefs mais dispensables remplissages dans certaines anecdotes périphériques, etc.) ; certes, on aurait goûté un chapitrage moins niaiseux et plus inventif que le titre du livre, déjà assez plat (en titres de chapitre, “Première récré”, “Une grande nouvelle”, “L’expédition”, ça sent pas son mauvais Club des cinq, ça ?) ; assurément, on aurait apprécié moins de lèche-fesses d’adultes prescripteurs (“maman est géniale. Vraiment géniale”, 48, “elle est vraiment chouette, cette maîtresse”, 65, etc.), des bizarreries plus bizarres et carrément pas d’erreurs (opposition curieuse entre la piscine et le sport, 45), un métatexte – ces moments où le texte se met lui-même en scène – plus saisissant (mise en scène banale de l’éditorialisation du récit qui traînasse, 32 ; “il y a deux fois voudrais dans ma phrase, une fois de trop”, 53, mais il y a tant de répétitions avant que cette remarque tombe à plat, plaf) ; bref, on aurait aimé être plus convaincu par cette mignonne histoire de flirt, mais pour une bonne raison : les trouvailles de l’auteur, tant dans la cocasserie que dans quelques formules bien venues (“je ne sais pas comment le temps passe, mais très vite”, 57, “ce n’est pas forcément une qualité, mais je tiens à être un crabe libre”, 51, “Philomène est ailleurs, même si ses chaussures magiques ne l’ont emportée nulle part”, 40).
Le résultat des courses : ce roman de love visant les jeunes lecteurs roués et, surtout, leurs prescripteurs fait une lecture plaisante, dont on regrette qu’elle ne surprenne pas plus tant on devine l’auteur capable de p’tites touches personnelles trop vite réfrénées (l’humour pince-sans-rire hélas excusé, la flûte en double décimètre pas assez exploitée, etc.). En résumé, vivement un prochain Claire Renaud plus liiibre !