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Décor final, si si : Rebecca Ringst. Photo : Bertrand Ferrier.

L’histoire

Le roi Lear se sent vieux. Il décide de partager son royaume entre ses trois filles mais exige qu’elles lui lèchent le cul pour avoir leur part. Cordelia est la seule qui refuse de flatter le vieux croûton, précisément parce qu’elle l’aime bien et qu’elle pense que lui lécher l’entre-fondement serait le renier. Le vieux n’y entend goutte et s’offusque. La sainte-nitouche n’aura donc rien et est envoyée sans dot au roi de France, son futur époux. Goneril et Regan, les nouvelles régnantes s’associent pour bouter leur père hors des affaires du royaume. Recueilli par “le fou des marais”, en voie de démentisation, le roi est conduit à Douvres pour y être en sécurité (acte I, 80′).
Après la pause, tout part en vrilles. Regan et Goneril chient sur leurs époux et trouvent un même amant. Celui-ci défait le roi de France venu attaquer les Angliches et pécho la sœur rebelle plus le roi, qu’il condamne à mort. Après que le vice et la bassesse semblent l’avoir emporté, tout le monde s’entretue, se suicide ou meurt, et c’est la fin (acte II, 60′).

Le scandale

Comme de coutume, on ne retrouve pas un Français dans la distribution de l’Opéra de Paris, ni chez les chanteurs, ni dans l’équipe technique – si, un, le Nantais Franck Evin, soit 4 % de la troupe. Pour un opéra « national », c’est toujours aussi sale. Il faut absolument que l’État français baisse ses subventions pour cette entreprise mondialisée qui n’a rien de nationale et abîme, donc, les artistes natifs. L’embauche d’un patron étranger n’augure rien ni de bon, ni de mauvais : l’actuel Français à la tête de la Grande maison a laissé tout pouvoir au Grec pour se soumettre aux agents et exclure les Hexagonaux du plateau. C’est immonde et, quitte à paraître se répéter pour nos lecteurs réguliers ou presque, il faut le stipuler.

Photo prise à côté, cinq minutes avant la représentation : Bertrand Ferrier

La musique

Dodécaphoniste et sériel, Lear porte trace de la mode qui survivait encore à la fin des années 1970. Pourtant, loin de paraître suranné ou réservé à une élite de prout-prout-ma-chère, le résultat dramatique est tout à fait convaincant. En accord avec un livret inégal mais qui commence bien et travaille ensuite sur le temps (brièveté des morts, effets d’attente, dilatation de certains dialogues), la partition est toujours expressive et magistralement tenue par un excellent Fabio Luisi. Qui accepte de renoncer à l’art de l’air mélodieux se retrouvera plongé dans une magnifique musique de film. Tantôt descriptive, la partie instrumentale se risque çà et là à contredire le texte. La variation des effectifs est entre très sage et habile, associant soli, ensembles, chœurs d’hommes (trop rares à notre goût), passages instrumentaux et voix parlée (Ernst Alisch).
La caractérisation de certaines voix par l’usage abondant, par exemple, des extrêmes aigus fortissimi pour le méchant Edmund (Andreas Conrad) ou par un ambitus large flattant le timbre protéiforme de Lear (Bo Skovhus), impressionne moins qu’elle ne convainc. Des trouvailles de couleurs instrumentales (duo puis trio de flûtes sur fond de cordes à la fin du I, ponctuation récurrente par trois ou quatre percussions différentes au II…) saisissent. Laissons les expertologistes se demander s’il est pertinent de reprendre cet ouvrage à Garnier alors que tant d’autres pièces majeures attendent leur exhumation parisienne. Commercialement, c’est un échec attendu, ainsi que le laisse entendre la photo supra. Toutefois, en dépit de la complexité évidente de l’écriture, le résultat, rendu avec engagement par l’orchestre et le chœur, déploie un drame accessible à tout auditeur de bonne volonté, en dépit d’une mise en scène affligeante.

Annette Dasch et Evelyn Herlitzius. Photo moche : Bertrand Ferrier.

Le spectacle

Bien entendu, le décor de Rebecca Ringst représente le vide : des planches en bois éventuellement mobiles à partir du second acte, entourent ou surplombent rien, comme pour traduire le vide, au goût de cercueil de nos existences – au fond, comme les personnages, nous finirons tous par crever en emportant wallou. C’est naze, c’est pourri, c’est se foutre de la gueule du monde et tenter de transformer une paresse économique pour de l’art. Par chance, d’où l’on est, l’on est (j’ai pas fini) moins perturbé par la vidéo – aussi indispensable pour faire yéyé que superfétatoire – de Sarah Derendinger, inaccessible aux spectateurs des rangs latéraux – c’est vachement bien pensé – que par les lumières agressives de Franck Evin, qui nous éblouissent – au sens hé, connard, j’ai mal aux yeux – derrière le rideau de planches, c’est toujours aussi bien pensé.
La mise en scène de la star Calixto Bieito, donc la dramaturgie de Bettina Auer, sont à l’avenant : consternantes. Si, dans la vie, certains se touchent la nouille, ici, tout le monde se touche la cravate – le costume-cravate, ce niveau zéro du costume choisi ici par Ingo Krügler, sauf pour Lear qui passe une bonne partie de la représentation en calbute, c’est classe. À en croire ce que l’on voit, la pièce de Jacques Spire aurait été transformée en opéra sur la cravate. Pour un opéra sur la vieillesse, la déchéance et les folies, c’est affligeant.
De même, la contradiction entre texte et représentation, preuve de sottise s’il en est, est probablement pensée comme un signe de génie. Du coup, quand le texte dit : « Retenez-le », personne n’est autour du prisonnier, ce serait trop TF1, comme projet. Quand le texte chanté par Annette Dasch – on parle pas de Joe le clodo, hein – dit : « Ils auraient au moins pu avoir pitié de ses cheveux blancs », le mec est chauve (tandis que le fou des marais rêve, lui, de se coiffer d’une perruque bleue, c’est donc ça la créativité de Bieito). Quand le texte dit : la nana se poignarde, en fait, sur la scène, elle s’étrangle avec son foulard. Ben parce que, sans doute.
Le reste de la direction d’acteurs englue les malheureux dans un érotisme tantôt homo (même si le narrateur n’est pas habillé en mariée, contrairement à Hambourg, 2012), tantôt brièvement hétéro pour Edmund, tantôt incestueux. Après quoi, faute d’autres idées sans doute, on demande aux survivants de transformer les morts en serpillière, autrement dit de les tirer (tsss, mauvais esprits) sur la scène : Bedienter (chanté par notre chouchou Luca Sannai) a, sur ce plan, une place de choix dans le projet de nettoyage du plateau. C’est pitoyable.

Photo : Bertrand Ferrier

Le plateau

Dans un plateau 100 % non-hexagonal, rien ne dépare. Brillent les vedettes attendues : l’étendue vocale de Bo Skovhus, sa sensibilité à la musique récente et son habitude de jouer les souffrants impressionne, en dépit d’une mise en scène qui le réduit à un pantin grimaçant moins pitoyable humainement que scéniquement limité. Hélas, son charisme s’en ressent, comme souvent. Les metteurs en scène de Paris le réduisent à un M. Propre déchu, c’est triste pour lui, car son chant semble toujours vigoureux. Le duo de sœurs lèche-culs et salopes, Evelyn Herlitzius et Erika Sunnegårdh, fonctionne dans la complémentarité. Comme attendu et comme le veut la partition, l’aisance spectaculaire et l’incarnation superlative de la première, soprano d’exception qui illumine les répertoires straussiens et modernes, captivent davantage, mais sa consœur joue la garce un peu bêtasse avec une gourmandise non dissimulée et une virtuosité jamais surjouée.
Le rôle du bâtard, toujours poussé dans ses retranchements vocaux, est courageusement endossé par Andreas Conrad. La Cordelia d’Annette Dasch, aussi habituée qu’habitée, est parfaite de pureté naïve, même si la longue scène finale où le metteur en scène la fait frotter puis se frotter à son père sonne aussi faux que stupide – pas la faute de l’artiste, évidemment. Andrew Watts n’a pas peur d’affronter la jointure entre ténor et contreténor dans un rôle ambigu qui peut agacer à la longue mais en alimentant les brava pour l’artiste, ce n’est pas rien.
Le reste du plateau se défend. Gidon Saks a peu de temps pour sonner, mais sa voix légèrement en retrait par rapport aux autres correspond à son rôle. Les adjuvants que sont Derek Welton, Michael Colvin, Kor-Jan Dusseljee et Lauri Vasar tiennent vaillamment leurs parties, tantôt méchants, tantôt poules mouillées, et à la fin éradiqués comme il se doit. Et notre chouchou Luca Sannai, dans un rôle bref très éloigné de ses penchants plutôt situés – et c’est large – entre Bach et Verdi, performe puis se fait tuer, bousculer et traîner avec une motivation qu’Erika doit apprécier.

Evelyn Herlitzius, Fabio Luisi et Bo Skovhus. Photo moche : Bertrand Ferrier.

La conclusion

Soirée paradoxale : un opéra daté mais prenant, une mise en scène honteuse mais insuffisante pour brider le talent des artistes, des musiciens et des chanteurs au taquet sous la direction d’un chef très concentré. En gros, c’était bien, mais faut aussi mettre des artistes français puisque ce sont les Français qui payent, et faut surtout virer les metteurs en scène et leur équipe qui sont dans la place et, décidément se foutent du monde, à Garnier comme à Bastille. PS : si toi vertige avoir, toi jamais quatrième loge premier rang car toi mourir de peur pendant tout le spectacle et même après, moi te pouvoir dire.


Les suites

Franck Evin nous a fait la tendre amitié de répondre à cette critique de la sorte.

“C’ est avec Horreur que je viens devoir que vous êtes toujours actif …vos critiques sont de la MERDE innommable comme votre Xenophobie et votre ton Haineux . dans un OPERA ALLEMAND on N’engage de preference des Chanteurs qui Chantent ALLEMAND et qui connaisse le role d’ une Ouvre très peu jouer .pour quelque’ un qui se veux au courant de tout il serait du meilleur effet de vous renseigner.”

Notre réponse unique restera celle-ci.

“Il arrive que des artistes, s’offusquant de propos qui leur disconviennent, invitent au débat en s’étonnant d’une incompréhension de leur projet. Jugeant cette perspective stimulante et ayant plutôt un a priori favorable sur la parole des acteurs de l’art, j’en accepte volontiers l’augure.
En revanche, sur  le genre de pichenette infantile dont vous vous rendez coupable, sans argument, sans propos, sans perspective, il est évidemment tentant de surenchérir dans l’invective. Ce serait facile et vain car, chacun le sait : sur Internet, les petits coqs sont prompts à insulter et à dénoncer la haine tout en crachant la leur. Souhaitons-leur simplement de se rendormir bientôt dans le fumier de leur sottise emplumée. Tout au plus pourrait-on leur suggérer qu’ils sachent, toutes stars qu’ils soient, la prochaine fois qu’ils écrivent leurs âneries en FRANÇAIS, écrire en FRANÇAIS.
Ce serait inapproprié : à la vérité, le type de propos dont ils se rendent coupables paraît assez correspondre à ce que l’on a pressenti. En conséquence, mieux vaut briser là et laisser les sots dont ils sont à leur trépignement ridicule, puisque telle est la posture qu’ils ont choisie. C’est dommage, mais, pour reprendre l’idiolecte étrange de votre message sans pour autant céder aux insultes du correspondant que vous fûtes : à la fin, merde.”