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Décor de Chantal Thomas pour “Les Puritains”. Photo : Bertrand Ferrier.

Ce sont les jours de, pfff, lassitude médiocre comme ce 10 septembre où l’on se réjouit, presque malgré soi, d’avoir réservé des places pour l’opéra dès le 12 mars. Certes, existe le risque d’être décédé entretemps, mais persiste la possibilité que non et que, conséquemment, domine cette “obligation” d’aller au spectacle, à laquelle l’on ne se serait point soumis si l’on avait décidé – et non décédé, comme disaient les disquaires – de réserver le jour même. Partant, c’est lesté et de quelques cernes intérieurs et d’une curiosité têtue que nous nous sommes faufilé jusqu’à Bastille afin, d’une part, de présenter un médius préalablement humecté et tendu bien haut en direction de la fatigue ensuquante et, d’autre part, d’y ouïr le dernier opéra de Vincenzo Bellini, I Puritani, les deux parties étant, on l’aura compris, consubstantielles.

L’histoire

Elvira (Elsa Dreisig) veut épouser Arturo (Francesco Demuro). Hélas, son père (Luc Bertin-Hugault, toujours performant) l’a promise à Riccardo (Igor Golovatenko). Grâce à l’intervention de son oncle Giorgio (Nicolas Testé), le papa cède à la demande de sa fille. Riccardo explique à son pote Bruno (Jean-François Marras) combien il est dégoûté de la laillefe… mais le destin lui sourit. À quelques minutes de son mariage, Arturo décide de sauver la reine Enrichetta (Gemma Ní Bhriain, excellente), prisonnière incognito que l’on s’apprête à décapiter. Pour cela, il file avec elle. Riccardo est aux anges : sa chérie est délaissée pour une autre femme (acte I, 80′) ! Au retour de l’entracte, Elvira n’a pas supporté la trahison et, faute de démenti, se démentise. Seule solution pour la sauver : que Riccardo récupère Arturo. Au nom de l’honneur, de la patrie et de quelque autre billevesée comme un reste de love, Riccardo finit par accepter (acte II, 45′). En fait, sa prisonnière libérée, Arturo revient de lui-même. Elvira n’en croit pas ses oreilles en l’oyant chanter. Las, encore perturbée, elle appelle la garde qui se prépare à faire exécuter le salopard. Ouf, trois minutes avant la fin, un retournement militaire permet de pardonner au lâcheur, et tout est bien qui finit vite (acte III, 40′).

Elsa Dreisig. Photo moche : Bertrand Ferrier.

La représentation

Le décor de Chantal Thomas propose un squelette métallique et modulaire, évoquant un château fixé, pour une raison qui échappe au clampin, sur un plateau tournant – Elsa Dreisig y passera l’essentiel de son temps, crapahutant de-ci de-là ou s’enfermant dans sa chambre. À l’instar de cette carcasse figurative, la représentation dans son ensemble suscite une impression plus contrastée que mitigée. Le décor décharné permet de beaux jeux de lumière (un labyrinthe apparaît à la fin de I, 1) mais se révèle souvent incapable à nourrir suffisamment l’imaginaire pour rendre raison du livret voire laisser l’action intelligible – et ce n’est ni le gag mimi du piètre feu de camp ni la pitoyable vidéo finale qui prouvera le contraire.
Côté orchestre, contraste aussi : les musiciens font le boulot malgré une partition d’intérêt très inégal (argh, ce prélude de l’acte II, comme c’est vilainement ennuyeux !). À sa tête, Riccardo Frizza tâche de caler son énergie sur celle des chanteurs, en dépit des grandes différences de dynamisme chez les vedettes. Côté chœur, personnage important de cet opéra, les artistes sont à l’ouvrage, soumis à une mise en scène signée Laurent Pelly qui privilégie le mignon des déplacements au sens dramatique. En effet, certes, les évolutions d’ensemble sont fouillées, mais plus pour le show-off esthétisant que pour l’intensité dramatique. Le déplacement joli des hommes aux hallebardes, l’étrange ballet des choristes femelles transformées en poupées automates (pas bien compris pourquoi, dois l’admettre), les entrées et mouvements coordonnés de la masse humaine, tout cela signale un effort louable. Toutefois, était-ce l’essentiel ? Déjà que le plot est limité, les figures des chanteurs, quelque réussies soient-elles, contribuent à dissiper le peu de nourriture scénaristique que le spectateur peut se mettre sous la quenotte. À quoi l’on pourrait ajouter, si l’on voulait jouter, pfff, les ratés sporadiques ou le mépris du texte. Citons-en trois exemples, dans chacun des actes.

  • Quand , à la fin du I, le chœur constate que l’amoureuse “è immobile”, Elvira se contorsionne au sol.
  • Quand Giorgio met en scène son monologue, au II, et lance : “Ebben, se volete, v’appressate”, le chœur est déjà autour de lui, il ne peut plus s’appressate.
  • Quand, dans le III, à l’approche du finale, la foule s’écrie “si fè smorta, accampò”, comment y croire ? Elvira est évanouie, le visage vers le public, la foule ne peut voir la couleur de son visage !

Voilà pourquoi la mise en scène de la foule semble mériter moins une appréciation mitigée qu’une appréciation contrastée, entre esthétisation joliette et ratés manifestes.
Côté chanteurs, même contraste. Elsa Dreisig, presque toujours sur scène, éblouit par son aisance, sa facilité, sa constance et sa science du rôle dramatique de la voix (quel magnifique changement de ton quand elle redevient délirante dans le “Sí, quel suono funesto” du III et annonce qu’elle a déchiré le voile sur la tête de la reine !). Pour couronner ses vocalises pyrotechniques, elle ose des piani incroyables et les réussit avec métier. Elle sait aussi trouver des trésors de délicatesse comme dans “O rendetemi la speme”. On regrette d’autant plus que la mise en scène ait oublié de lui donner des pistes pour jouer une folle moins caricaturale que Cassandre jouée par la reine mal coiffée dans Kaamelott. À quelques errements près, propres au live, Francesco Demuro (présent au I et au III) assume son rôle avec les aigus et le souffle nécessaires, mais il n’émane de lui ni héroïsme ni charisme – encore, peut-être, un problème de direction. On salue toutefois sa prestation au III : après un acte au repos, l’artiste paraît plus relâché – tant pis si, çà et là, son vibrato et sa justesse menacent hélas parfois de suivre ce relâchement. Galvanisé par les touchants “tormeeeeenti” d’Elvira, Arturo assure ses aigus dans l’impitoyable  “Vieni fra queste braccia”. Bref, à défaut d’irradier, le ténor fait le job. Vue l’exigence de la partition, ce n’est pas un mince compliment.
Une fois lancé, Jean-François Marras dévoile une jolie voix et un sens musical poussé mais, dans le duo liminaire, son organe se marie mal avec celui d’Igor Golovatenko, martial à souhait et beaucoup plus puissant… bien que ses vocalises dans le duo final du II, quoique finement nuancé, manquent de fluidité. Admettons que le registre grave profond ne semble être ni son petit filou, ni sa passion ; puis notons que Nicolas Testé joue un Giorgio convaincant, conforme aux exigences mais un peu perdu dans la scène vide, lui aussi : son duo avec Elvira finit par se perdre dans des déambulations scéniques pour le moins inutiles. Son grand duo (finale du II) avec Riccardo n’est pas parfaitement synchrone, mais nul doute que les représentations suivantes permettront aux deux partenaires de se mieux deviner. Hélas pour eux, ils devront toujours subir la médiocrité de la direction d’acteurs qui fait que, tour à tour, pour souligner leur émotion et leur grandeur d’âme, le “second père” d’Elvira et le lover bafoué jettent leur veste au sol. Ils se retrouvent alors en T-shirt noir, suscitant cette question essentielle : combien d’années d’études et de pratique avant de parvenir à diriger aussi piètrement, eh oui, des artistes de ce calibre ? La question suivante étant, ça va de soi : est-ce bien raisonnable ?

Louis Boilly, “L’Effet du mélodrame”. Photo : Rozenn Douerin, extraite d’une déambulation dans le “Paris romantique” du Petit palais – chronique à venir.

En conclusion

Il y avait donc contrastes, ce mardi soir, à l’occasion de ce “melodramma serio” de Vincenzo Bellini.

  • Contrastes propres à un opéra dont l’écriture est inégalement fouillée, mais qui exploite avec puissance, notamment dans le I, les possibilités offertes par les forces à sa disposition – orchestre, chœur, solistes.
  • Contrastes aussi dans une mise en scène à la pertinence variable.
  • Contrastes enfin sur le plateau, où la qualité d’ensemble, à la hauteur de l’exigence technique, n’est pas toujours nimbée de la magie charismatique que l’on attend, insatiable, des premiers rôles.

En bref, une belle soirée un tantinet longuette – on mentirait en prétendant que la seconde partie ne manque jamais d’être passionnante – et un chouïa frustrante, dont on retient néanmoins de beaux moments. Ce n’est pas toujours le cas : réjouissons-nous de ce dernier contraste !