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Je t’écrirai des bières violines, des qu’on boit avec les babines… Photo : Rozenn Douerin.

L’avantage d’être invité à des spectacles n’est pas seulement d’ordre pécuniaire : il est aussi d’ordre intellectuel. En effet, ces invitations sont autant d’incitations à découvrir ce qui, parfois, ne ressortit pas de son champ expérienciel coutumier. En moins prout-prout, il arrive que des attachées de presse te propulsent dans des trucs que jamais tu y serais allé si qu’on t’avait pas proposé de. Ce nonobstant, reconnaissons qu’il fallait un certain toupet pour nous inviter dans ce temple de la décadence chic qu’est le cabaret Madame Arthur pour un spectacle de travestis intitulé “Madame Arthur nique le rap », qui plus est en imaginant que nous, le bourgeois hétéro carrément mégacoinçosse et snob, au moins, serait susceptible d’y kiffer la vibe.

Charly Voodoo, meneur de revue. Photo : Rozenn Douerin.

Le concept de la soirée ? Dans cette annexe consubstantielle, et hop, du Divan du monde, des hommes travestis (mais pas que, semble-t-il) chantent un vaste répertoire francophone en se vautrant sans modération dans les codes homosexuels qui vont bien. Selon les semaines, accompagnés par Charly Voodoo, très convaincant pianiste (sur un quart de queue Gaveau !) – claviériste – miniharpiste qui rêve d’être le nouveau Alexandre Desplat, les interprètes moulinent à leur sauce, par ex., Matthieu Chedid, Mylène Farmer, Céline Dion, Charznavour, Johnny Hallyday de la Madeleine, Barbara ou un mix’n’match conceptuel, qu’ils reprennent quelques mois plus tard en changeant pour partie la set-list. Dans le catalogue des spectacles au programme, envoyé par une chargée de comm’ qui nous avait déjà permis d’applaudir un spectacle remarquable, nous fut ainsi échu de whiner notre bumpa sur du peura.

Sailor Moon Crytsal, sort of, chantant PNL. Photo : Rozenn Douerin.

Direction donc ma benz, benz, benz, réinterprété façon duo lounge, avant que Kala$h voie son “Mwaka Moon” proféré d’abord hiératique – et parfois librement via  des lyrics souvent précis, tantôt confusionnés, hé-hé, parfois réinvestis comme pour ce “trav’lo” qui remplace “négro”. Certes c’est chelou comme un son de franc-maçon, mais ça fonctionne et ça ne fait pas seulement rire – il y a aussi, structurante, cette idée que, de même que les négros s’en sortiront en niquant des biatches à coups de liasses, de même l’art renversera la stigmatisation des trav’ en dissolvant leur inquiétante et exacerbée étrangeté dans un burlesque qui fait sens. Le point commun entre Kala$h, Damso et la troupe de Madame Arthur ? La conviction, sans doute, que “s’faire sucer, c’est pas tromper”, donc que la sexualité est partie intégrante de la musique – que diable, on ne s’ébroue point dans le chobiz que pour la beauté de l’art, fuck. Le plaisir du vintage justifie un “Caroline” en duo voix opératique – miniharpe avant qu’un duo parlé ne permette de faire le bilan, calmement. Dans ce contexte de décalage inventif, la reprise du “Best plan” de Liza Monet en piano-voix paraît plus routinière et est sans doute grevée par le prompteur acoustique (oui, id sunt les paroles et accords déchiffrés par l’interprète).

Luc Bruyère, aka la Vénus de mille hommes. Photo : Rozenn Douerin.

Oinj plus que bouffée d’oxygène à la bouche avant de le passer au public (“vas-y, c’est du vrai”, me souffle mon voisin, ébloui), briquet Viceland, sac Monop’ à la main, curieusement tremblant, Sailor Moon Crystal vient se positionner au milieu des spectateurs pour proclamer “Oh Lala” de sa voix finement travaillée. Le snob pointera un texte parfois approximatif ; reste que, en dépit des aléas du direct, ce moment planant est sans doute le plus fort du spectacle car il dépasse à la fois les blagues pour trav en folie (“elle a failli sucer un spectateur ou elle l’a sucé en vrai ?”), les questions sociologiques sur la genration (pourquoi pas ?) ou l’effet de comique pouvant consister d’une part à déplacer le lieu de la parole (du négro macho au pédé outrancièrement grotesque) ou, d’autre part, à prendre au sérieux des textes souvent fiers de leur stupidité – on t’encule, public, toi t’achètes, nous on fait du bif. Les quasi sept minutes immobiles de déclamation sur fond musical départissent peu à peu le spectateur de son ironie, de son besoin de rire ou de sa nostalgie de vieux titres. C’est fait tout droit, sans effet superfétatoire, et ce talent de transformer en art le caca assumé qu’est PNL est soufflant.

La reine Diams couronnée par Madame Arthur. Photo : Rozenn Douerin.

Bien entendu, cela souffle aussi parce que le spectacle est intelligemment construit autour de moments de franche rigolade formant l’écrin nécessaire. Peut-être même est-il délibéré de placer, après PNL, “Tout oublier” d’Angèle, un second solo de Charly Voodoo qui nous éblouit aussi peu que le précédent, comme une respiration moyenne permettant de mieux repartir par la suite. L’enchaînement avec le faux casting façon les Inconnus le laisse penser. Il prélude à un duo américano-ménélikiste orné d’un sample vocal du pianiste. Cela constitue l’un des sommets comiques du spectacle, entre humour bon enfant, trouvailles et pointe de souvenance.

Le style lyrico-hispanique moulinettant le diamsique “DJ” et sa peau de pêche bleue (avant Jeremstar…) est d’une efficacité tout aussi percutante grâce à l’arrangement protéiforme, l’interprétation soignée et la qualité de la voix virtuose. Voilà une fin pertinente pour un spectacle bref (50′) mais pétillant que les gourmands – nous n’en pouvions être cette fois – prolongent par un blind test puis une séance cabaret re-puis un club jusqu’à six du ; les petits joueurs, quoique petits joueurs, auront a minima assisté à un tour de chant étonnant, riche et finalement bien plus intelligent qu’interlope. De sorte que, sans état d’âme, nous conseillons ce spectacle aux lecteurs qui ont connu le rap français d’antan et sont restés curieux – sauf, bien entendu, si lesdits (et non Lady, pfff) lecteurs ont peur, j’ai pas fini, de passer un bon, joli et bizarre moment, la dernière épithète n’étant peut-être pas la moins laudative.

Charly Voodoo. Photo : Rozenn Douerin.

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