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Béninois “de mère catholique”, Myster Ezin se faufile dans le monde du slam avec son premier disque, Espoirs,

  • pulsé par des beats de Sébastien Zacharie, avec harmonies et sons fonctionnels sertis de choristes féminines miaulant assez souvent pour nous inspirer un chouïa de gêne, Sébastien Zacharie étant remplacé çà par Afo Monga et là par Florian Perdrizot,
  • masterisé par la superstar sempervirens Dominique Blanc-Francard et
  • valorisé dans l’Hexagone par le chanteur franco-gabonais Jann Halexander et Purple Shadow Agency.

Le tout est assez étrangement subventionné par “le laboratoire de recherche PRISM-CNRS” visant, dans le cadre de ses productions artistiques, à “faire dialoguer l’art avec les sciences fondamentales avec les sciences humaines” (avouons que, au vu de la production, cette justification laisse en l’espèce un rien sceptique, mais nous n’avons pu en parler avec l’artiste parti tourner l’album en Afrique du 3 novembre à Abidjan à ce jour). Ici, autant que nous en puissions juger, point de sciences fondamentales. Quant aux sciences humaines, c’est à l’exploration de l’African lover topique qu’est consacré cet opus.

 

 

En effet, Myster Ezin est amoureux de nature mais certainement pas amoureux fou – sinon, suppute-t-on, il émargerait dans la rubrique faits divers, pas dans la rubrique culture. Le ténébreux beau gosse raisonne. Il

  • connaît les cadres,
  • maîtrise les codes,
  • jauge l’audace à l’aune du concrétisable.

Passionné, oui, mais sans réelle altération de son discernement, diraient Dominique Hondelatte et Christophe Rizet. Le mec veut construire. Un soir, une vie, une éternité, mais construire.
Dès le titre d’ouverture, il donne le ton entre

  • rimes évidentes comme un coup de foudre (“Dans les épreuves les plus difficiles / Tu as ce quelque chose qui rend tout facile”, “C’est avec toi que je veux revivre / Tu as réveillé ma soif de survivre”),
  • parophonies sans fard (“Avec toi, je m’éclate, je ris aux éclats”, “Loin de toi, je perds tout repère”) et
  • inclination pour le rythme ternaire des scansions.

Son africanité, le slameur l’assume par

  • son refus d’aimer à moitié,
  • son envie affirmée d’être le meilleur malgré ses erreurs et
  • sa vision de la mère.

En effet, dans sa poétique, la mère est la femme suprême, à la fois mère (si), père et repère malgré “les offenses répétées pendant ma puberté”. Sa mère étant la mère, elle a engendré Rosa Parks et Simone Weil (Veil, aurait-on tendance à penser, mais qui sait, pour un fils de catho ?). Elle est la matrice de toutes les grandes dames et de tous les grands hommes, amis ou stars, tels que Nelson Mandela et Martin Luther King côtoyant Michel Vallat et même le pourtant contesté par maints anticolonialistes Albert Schweitzer. On retrouve ici cette admiration africaine – un rien facétieuse car si la mère a engendré tous les grands hommes, elle a dû aussi porter quelques salopards, et je ne parle pas que de moi, hélas pour l’humanité – pour la maternité conçue comme un creuset, un modèle, un idéal – celle que chante aussi Tita Nzebi, expliquant aux Hexagonaux la générosité du concept.

 

 

Pas étonnant si Myster Ezin entrelace ses suppliques amoureuses avec sa description des femmes de sa famille : il semble s’inscrire dans une pulsion de vie où l’homme doit composer avec la réalité tout en se laissant inspirer par l’idéal mythifié par une certaine tradition. Ainsi, “Destin commun” martèle la nécessité vitale de la femme. L’héroïne de “Te chérir” a “réveillé [s]a soif de survivre” en lui ? Celle (peut-être la même, mais pas sûr) de “Destin commun lui a “redonné goût à la vie”. Pulsion érotique, pulsion vitale, oui.
La topique africaniste est respectée avec l’importance de l’aspect pécuniaire (“Tu n’es pas la femme qui profite”, compliment suprême, fût-ce pour proposer à la donzelle peu après d’aller faire les boutiques chez les Grimaldi) et un soupçon d’érotisme graveleux (ce qui “fait durer très bien nos ébats” étant forcément en relation avec : “Je le sens, tu me fais grandir”, sciemment ambigu). Comme en écho à “Bilou” d’Allain Leprest, “Petite sœur” est un plaidoyer pour ne pas désespérer d’une contrariété amoureuse car, Myster Ezin l’admet en connaisseur, “Les hommes ne sont pas toujours sympa / Ils oublient parfois les grandes dates” ; mais, là encore, l’érotisme ambigu n’est jamais loin des grands sentiments, puisque si sa “petite sœur” et son habituel arrivent “si bien au septième ciel”, c’est que la femme est “le bout du tunnel”. Voilà un tunnel lumineux…
L’intérêt textuel de ce diseur au verbe lent et réfléchi pourrait se nourrir de sa capacité à trifouiller l’ambiguïté structurelle de l’amour et du sexe, à la fois quête du sublime éternel et expérimentation du prosaïsme ancré dans l’éphémère. “Amour secret” fusionne ces thèmes quand Myster Ezin assume son paradoxe le plus cher : “Je dois t’avouer que je t’aime en secret”, lâche-t-il, semblant évoquer la gêne de Michel Leiris pour qui vivre avec une femme n’est rien d’autre que le vivant proche d’avoir visé trop bas et d’avoir pu se contenter – ce que creusera “Ma beauté” où l’auteur supplie la nana de “rester” tout en précisant : “Je suis triste, es-tu la meilleure ?”. En réalité, le diseur revendique son désir, et le désir a trois axes :

  • un, il n’a pas de limites (la morale tâche de le contenir, mais elle ne l’éradique pas, heureusement) ;
  • deux, il est en prise avec la réalité (comme un rappeur bas de gamme, il invite sa “chérie” à partir à Monaco faire “du shopping toute la night” à moins d’aller faire “de l’oseille à Paname”, sorte de fantasme pécuniaire se surimprimant sur le fantasme de cul) ;
  • trois, il est la principale crainte des religions, musulmane comme chrétienne.

 

 

Le surgissement de langues vernaculaires africaines pimente intelligemment “Amour secret”, gardant de la sorte amoureusement secret le sens du texte face aux non-polyglottes. “Ma lumière” tente alors d’enjailler le disque presque alla Doc Gynéco, avec une métaphore foutchebolistique qui ne masque pas le projet : vêtir la donzelle de “Gucci, Dior et Chanel” pour qu’elle “frotte [s]on corps avec le mien” jusqu’à ce que Myster Ezin se sente “à jamais le premier”. La limite

  • de la métaphysique,
  • du respect de la tradition,
  • de l’amour vertueux,

semble stipuler le diseur, reste cisgenriquement l’envie de bander et plus si affinités.
“Espoir”, que le titre de l’album étoffe d’un pluriel, renoue avec la veine dark du proférateur. Citant à peu près JFK, Myster Ezin rappelle la nécessite de se battre – nécessité qui vaut pour lui et pour ceux qui l’écoutent. Sur cette dernière chanson (avant une sympathique et inattendue reprise de “Caroline”, la piqueuse de cœurs), la vedette préfère le pas de côté, celui de l’espoir qui consiste non pas à se pommader mais à attendre la rencontre de quelqu’un qui croit que, à défaut d’être Martin Luther King, tu seras Barack Obama, aka le king.
Presque rien d’égoïste, dans ce projet – même si, dans ce monde où les altruistes se mettent tant en avant, on finirait par s’intéresser davantage à ces centrés-sur-leur-nombril qui ne font sans doute guère plus de mal que les saints officiels, bref. Juste l’envie stellaire de briller pour attirer vers soi les regards de celle qui, après avoir shoppé chez Chanel sur le Rocher, rejoindra le statut vénérable de Mère. De la zoulette tendance zlatana à la meuf-maman, du lover au papa rangé quoique caliente, il n’y a peut-être qu’un pas si l’on garde des espoirs (en deux mots) ?


Pour acheter le disque, c’est par ex. ici.