Olivier Lusinchi, “Œuvres pour flûte mais pas que”, Forgotten Records
Ce n’est pas à un organisateur de récitals d’orgue que l’on racontera des salades ! De même qu’un concert d’orgue, c’est ennuyeux, de même la flûte traversière, c’est – un peu comme la harpe – une promesse d’ennui poli, façon flûte à bec alto dans les sonates de Telemann. Pour contredire ce topos, Olivier Lusinchi propose un récital varié autour de musiques du vingtième siècle pour flûte seule ou flûte et piano. Enregistré en octobre 2017, ce disque est disponible pour 12,9 € hors frais de port.
Le spectre musical ici passé en revue commence par « La chanson de Pan » (1968) de Roger Bourdin. D’emblée, la découverte du programme original fomenté pour le disque, typique des passionnantes productions de Forgotten Records, exige que l’on accepte, avec appétit ou fatalité, le large vibrato, un brin envahissant à notre avis d’inculte curieux, d’Olivier Lusinchi – ce prolongement des notes qui ondule voire se déhanche après la note avec une gourmandise non feinte. Cela vaut la peine ou le plaisir, selon le goût des auditeurs, car la track-list associe titres et compositeurs connus ou méconnus. En sus, ce qui n’est pas rien, le piano de l’excellent Daniel Propper, restitué de façon un peu ouatée selon ce que nous entendons et néanmoins parfaitement calé aux circonvolutions de son comparse, propulse un swing aussi distingué que canaille et sapide, ha-ha, dans les « Joueurs de flûte » d’Albert Roussel. Pour les impatients, filez directement piste 3 : sur l’ensemble de l’enregistrement, les synchronisations sont parfaites, mais l’association des deux artistes donne un « Tityre » plein d’énergie.
Enchaîné, le Prélude de la Suite « pour la flûte de Jade » (1960) de Charles Chaynes n’est, à nos esgourdes inexpertes, pas la découverte la plus passionnante, mais il explore avec manière de poésie l’association entre la douceur du souffle et le groove des accents – et puis, découvrir un compositeur décédé à 91 ans en 2016 n’est certes pas sans titiller notre curiosité. Enquillant sur cette curiosité, débaroule une suite autour de Bilitis siglée Claude de France, associant mélodies pour voix et piano et pièces pour flûte, harpe et célesta, dans un arrangement de Karl Lenski. L’ensemble privilégie le travail d’atmosphère sur la netteté des contrastes. Dans cette perspective, la précision de Daniel Propper s’associe harmonieusement avec le son généreux d’Olivier Lusinchi (superbe résonance finale de « Pour un tombeau sans nom »). La très classique « Pièce pour flûte seule » (2010) de Michaël Sebaoun, jeune compositeur chouchou du label, propose un voyage sans à-coups sur les domaines classiques de la flûte, feat. quelques roulements de langue pour stabyloter l’émotion. Elle est rivée à la charmante sonate pour flûte et piano (1989) d’Yvon Bourrel, dont les modulations énergiques captent l’attention. La forme classique de la pièce (mouvement prompt – évanescent – vif) s’enrichit d’une mise en perspective dans le dernier mouvement (vif – lent – vif) qui séduira les amateurs de musique aussi posée que bien écrite. Après quoi, le programme étant orienté vers la musique de bon goût, ce qui n’est toujours pas un quolibet, il propose « En tous sens » (1966) de Michel Merlet. La pièce distribue clairement les rôles entre une flûte virevoltante et un piano harmonisant joliment le propos. Les amateurs de pièces conceptuelles ou secouant l’ouïe passeront leur chemin ; les autres apprécieront une science de la composition peut-être un peu sage mais idéale pour goûter l’art d’un interprète clairement plus tourné vers le groupe des Six que vers la musique conceptuelle.
Pour terminer ce disque correctement rempli (1 h 6’), « Densité 21.5 » (1936-1946) d’Edgar Varèse ouvre le bal. Légèrement plus inventive que les très dignes œuvres l’ayant précédée, cette pièce propose plus de créativité sonore, que matérialisent par exemple les bruits des tampons sur les trous de l’instrument. En dépit d’un rendu sonore qui paraît perfectible (interférences à 1’41, 1’46 et 2’, par ex.), on apprécie l’effort de tension dont Olivier Lusinchi fait démonstration dans cette pièce à la gloire du platine évoqué dans le titre. Complément de programme inconnu de nos services, « Oiseaux tendres » (1948) de Jean Rivier investigue les différents possibles de la flûte avec un souci agogique certain – en clair, c’est varié mais on comprend où c’est que le discours veut aller. Cela n’exclut pas derechef d’étranges interférences (basses entre 0’56 et 1’01), mais cela inclut une réelle volonté de pousser le flûtiste dans ses retranchements : variété des attaques, vigueur des notes, panel d’atmosphères finissant moriendo mettent en valeur l’aisance d’Olivier Lusinchi, 43 ans après son prix du Conservatoire de Versailles.
On se réjouit de retrouver Daniel Propper pour un « Merle noir » d’Olivier Messiaen (1952) : le pianiste joue peu, mais son piano semble, cette fois, autant que notre modeste matériel d’écoute nous permette d’en juger, capté avec une précision plus appropriée. Aussi sa simplicité de toucher se fond-elle d’autant mieux avec la sonorité épanouie du soliste dont les notes s’entremêlent avec celles du piano dans un effet d’écho fort séduisant. La matrice conclut l’affaire : « Syrinx » (1913), de Claude Debussy se déploie en refusant la souplesse libre qu’y insufflent certains interprètes comme Emmanuel Pahud. Les tenants d’une inspiration consubstantielle à l’idée d’interprétation auront beau jeu de pointer la raideur relative de cette version ; se délecteront par conséquent les militants d’un respect de la partition et d’une rigueur libérant Debussy d’une exécution trop subjective.
En conclusion, plutôt que de pointer les naïvetés de présentation (hyperlien vers articles sur la quatrième de disque pas très bien imprimée), l’absence de précision sur ingé son (modestie du propriétaire du label ?), la fatuité de certains passages du livret (ha ! cet « imaginaire atticisé » !), il convient de souligner l’apport de cette galette à la découverte d’un répertoire souvent peu connu. Que ceux qui connaissaient Roger Bourdin, Charles Chaynes, Michaël Sebaoun, Yvon Bourrel, Michel Merlet et Jean Rivier se gaussent ; les autres ont, si la curiosité les titille à leur tour, une occasion agréable de se refaire.