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Chaque venue des Arts Florissants à l’Opéra Comique est un événement. Et c’est quand même chouette de pouvoir apprécier, en 2013, un opéra de 1688, qui plus est à guère plus de demi-heure de chez soi. Nan, c’est pas chouette, c’est le luxe, j’avoue-j’admets-je reconnais, mais je rassure les rageux : j’en suis conscient. Bref, après le remix d’Atys l’an dernier, voici venu le temps de David et Jonathas de Marc-Antoine Charpentier, une pièce déjà enregistrée par les mêmes “Arts Flo” comme disent les snobs (avec Dominique Visse en Pythonisse, seul survivant) pour Harmonia Mundi en 1988.
Malgré le brouillon de neige qui tombe ce soir-là, l’Opéra de la Bourse est donc archicomble pour applaudir William Christie et sa bande, grâce à Têtu notamment, fier de sponsoriser une histoire de kif volontiers tiré du côté homo (même si Jonathas est toujours chanté par une femme). L’histoire, en gros ? David et Jonathas sont potes et même plus depuis longtemps. Mais Saül, père de Jonathas, a peur que David, militaire à succès, lui pique le job de roi. Parano, il finit par provoquer la mort de Jonathas et la sienne, parachevant le succès d’un David fayotissime qu’il rêvait, comme n’importe quel mec sensé, mort.Quid des voix baroques au programme du soir ? Si l’on excepte Krešimir Špicer en Joabel (le méchant qui cherche à provoquer la perte de David), dont l’organe puissant compense une prononciation sporadiquement exotique, les solistes alternent moments de brillance et instants plus tamisés. Pascal Charbonneau, grimé en Mathieu Kassovitz, campe un David fragile mais sensible ; Ana Quintans, sorte de Harry Potter (cheveux courts, lunettes rondes) chante un Jonathas un peu niais (le rôle y incite) qui attend son grand solo pour faire frisotter, enfin, les dorures du lieu ; Arnaud Richard, ridiculement transformé en sosie de l’instit d’Être et avoir, tonne de mieux en mieux à mesure que le temps passe, même s’il aurait peut-être dû être aidé par une direction d’acteurs digne de ce nom ; et quelques solistes du chœur brillent, notamment les voix féminines en ouverture de la pièce.
Il faut bien parler de la scénographie : un décor unique mais amovible en bois, signé Paul Zoller, qui bouge façon BD et se rétrécit pour mimer la folie de Saül. Le dispositif semble envahir l’espace à partir du troisième acte, bougeant sans cesser pour stabyloter avec lourdeur tout ce qui se passe. L’ensemble de l’opéra est déplacé dans les années à béret et complet à carreaux. Pour une scène digne de Tati (l’apparition de l’Ombre de Saül, grand moment de folie bien mis en scène), qui peut susciter l’intérêt, il faut bien admettre que le reste est ridicule, presque insultant pour le spectateur, à commencer par la bougeotte des parois boisée, et à continuer par ces stupides scènes muettes où des enfants (silencieux mais membres de la maîtrise des Hauts-de-Seine : est-ce bien raisonnable ?) jouent les héros version jeunesse, et même les guides vers le monde des Morts. Le déplacement historique, les surlignements du décor mouvant et ces ajouts dramaturgiques d’une vanité totale entraînent des incohérences dans la mise en scène, confuse, des derniers actes, où l’on ne sait plus qui tue qui, qui maîtrise quoi, bref, où tout part en brioche. Est-ce parce que nous avons eu la chance de voir la première, et que beaucoup d’éléments (texte pour certains chanteurs, réglage pour Andreas Homoki à la mise en scène) étaient encore perfectibles ? Souhaitons-le pour les spectateurs suivants.
Car, malgré tout, il reste de cette soirée une belle sensation musicale, de beaux mouvements de troupe, de belles sonorités, et des contrastes saisissants  (rythmiques, dynamiques, d’intention…). C’est beaucoup. Sans doute revient-il au spectateur de ne pas laisser de sales cons de metteurs en scène prétentieux leur gâcher leur plaisir, mârde.