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Mârouf affiche

Debussy meets Offenbach : tel est le programme très savoureux proposé par Mârouf, savetier du Caire d’Henri Rabaud, sur un livret de Lucien Népoty.
L’histoire : Fattoumah, l’épouse de Mârouf, peu satisfaite de la pâtisserie offerte par son époux, le fait bastonner ; Mârouf décide de s’enfuir (acte I). Son embarcation fait naufrage ; seul rescapé, il se fait passer pour un riche marchand attendant sa caravane ; le Sultan est intéressé (acte II). Alléché par les cadeaux promis, le Sultan offre même sa fille Saamcheddine à Mârouf ; et Mârouf est séduit (acte III). Hélas, tu m’étonnes, la caravane n’arrive pas, et les questions du Vizir sceptique commencent à troubler le Sultan ; Mârouf décide donc de s’enfuir avec Saamcheddine (acte IV). Contre un peu de substantation, Mârouf aide un vieux fellah, soumet un genni, et obtient la réalisation de son vœu le plus cher : sa caravane se matérialise pile au moment où arrivent le Sultan et sa suite ; donc c’est la fête (acte V).
La représentation : rarement monté de nos jours, cet ancien succès séduit instantanément, malgré la détestable tendance des orchestres (ici, le “Philar” de Radio-France) à répéter devant les spectateurs jusqu’à la dernière minute. La partition, délicieuse, est dirigée par Alain Altinoglu, passionné par les raretés. Il rend avec finesse les caractères contrastés au programme : velouté des cordes, ronflement des tensions dramatiques, facétie sporadique des vents, et rares folklorismes pseudo arabisants aussitôt détournés par un sens de l’harmonie ébouriffant. Cette science de la composition se glisse sous un livret facétieux, dont il est difficile par moments de distinguer le premier du second degré ; et cette indécision excitante fait aussi le charme des deux heures trente de musique !
Sous la houlette de Jérôme Deschamps, le patron des lieux, la mise en scène multiplie les trouvailles, au point d’égarer le spectateur devant la richesse des détails dont il faut profiter. Un gag liminaire signale d’emblée le ton choisi : on va rire ; et, en effet, on rit. On rit grâce aux costumes rageusement colorés de Vanessa Sannino (mention spéciale pour les chapeaux) auxquels font écho les lumières de Marie-Christine Soma ; on va rire aussi grâce aux décors lisibles et pertinents d’Olivia Fercioni, aux ânes envahissants et danseurs, bref, aux idées qui assument et habillent le kitsch pour en faire une fête des yeux, tandis que les oreilles goûtent une musique d’une richesse quasi contradictoire avec la farce en jeu.
Dès lors, les chanteurs ont les moyens de briller. Jean-Sébastien Bou est Mârouf, un pauvre savetier tantôt dépassé par la situation, puis bien décidé à carpe diem. La voix s’affirme, tonne quand il faut, se repose parfois sans que son personnage en souffre, et conduit à bon port un personnage qui pourra gagner, après la première à laquelle j’ai assisté, en spontanéité, aisance, peut-être même second degré. Nathalie Manfrino, dont le rôle est moins écrasant que la robe-parachute dont elle est affublée dans un premier temps, semble d’abord stressée, comme en témoignent son timbre crispé et ses regards inquiets vers le chef. Puis, constatant que tout roule, elle semble se lâcher. La voix s’épanouit, s’envole quand il faut, et la comédienne perce sous la chanteuse, bien que son rôle, dramatiquement, ne soit pas le plus fouillé de la distribution !  Les seconds rôles assument leur partie : Luc Bertin-Hugault, orné d’un formidable costume (posant une question existentielle : une grosse griotte fondue est-elle très différente d’une pomme d’amour qui a coulé ?), joue le gentil débonnaire avec aplomb ; Ali, l’ami de Mârouf, est tenu avec fermeté par Frédéric Goncalvès ; Nicolas Courjal souligne à dessein les ambiguïtés du Sultan, cet ahuri gentil qui est surtout un monarque assez intéressé pour vendre sa fille afin de remplir ses caisses ; Doris Lamprecht n’est pas toujours parfaitement intelligible, mais elle joue Fattoumah avec un abattage et une rage très réjouissants, avant de revenir pour le final – sans autre justification, semble-t-il, que parce que ; et le Vizir trop lucide de Franck Leguérinel, de très bonne tenue, devrait, au cours des prochaines représentations, approfondir sa présence scénique pour donner encore plus de chien à son personnage de faux méchant.
En conclusion, même si l’on aurait peut-être rêvé d’un final plus spectaculaire vu ce que peut inventer Jérôme Deschamps, voilà une bien belle soirée ! Divertissement joyeusement daté et pertinemment réinvesti, et musique délicieuse interprétée avec charme (même Accentus joue bien le jeu des contrastes de nuances) : que demande le peuple ? D’autres découvertes, nom d’une babouche !

Mârouf, la distribution