Pascale Locquin, Au Magique, 30 mai 2015
C’est toujours inquiétant d’aller voir chanter des gens que l’on a croisés et appréciés au gré des carrefours de hasard. Et je ne dis presque pas ça pour me vanter d’être allé écouter Pascale Locquin au Magique (75014), ce 30 mai. Pourtant…
Le spectacle s’ouvre sur une première partie oubliable. Pianiste médiocre critiquant sans cesse le quart de queue perfectible du lieu ; chanteur certainement bogosse mais n’ayant pas fait l’effort d’apprendre ni son texte, ni sa partition, ni ses accords ; coveriste optant courageusement pour les grands succès de Benabar (“Le dîner”) ou Renan Luce (“Les voisines”) ; vocaliste débordé par son piano qui le rend souvent inaudible – alors que la salle dispose d’une amplification intégrée ; showman débutant qui a encore terriblement besoin d’apprendre la relation avec le public (regards plus concentrés, verbe moins agressif, complicité moins limitée à ses amis), l’artiste que présente Pascale est sans doute un pari sur l’avenir. Comme on n’est pas du genre à investir sur la dette grecque, on ne fera pas ce pari.
Suit, enfin, la vedette de la soirée : Pascale Locquin. La gratteuse prend prétexte d’un recueil de ses textes, Au feel du temps, pour proposer son concert annuel au Magique dans une ambiance intime mais chaleureuse. En ACI rouée, Pascale va dérouler un set d’1h15′ organisé autour d’une structure simple : une chanson, deux p’tites phrases, une chanson, etc. D’emblée, elle saisit par un ensemble de qualités remarquables : des voix protéiformes, caractérisées et très variées, entre gravité chaude qui évoquent la tessiture d’une Véronique Rivière ou d’une Isabelle Mayereau, et émotion vibrante façon Mano Solo (on aimerait parfois qu’elle se laissât aller à davantage d’expressivité) ; des lignes mélodiques bien caractérisées, qui n’hésitent pas à casser la fatalité du tout-droit par des cassures qui font respirer le texte ; des breaks entre couplet et refrain, surtout sur les premières chansons, qui captent l’auditeur dans les rets d’une interprète prompte à troquer lent contre rapide, ternaire contre binaire, etc. ; un personnage singulier qui veille à éviter les clichés de tout acabit ; des paroles associant références claires (on voit de quoi c’est qu’est-ce qu’il s’agit) et ambiguïté poétique (pas sûr que l’on ait saisi tout ce qu’est-ce qu’il est question de, les discussions d’après-concert le prouvaient !). La tonalité d’ensemble, sombre, habitée par le mode mineur et les accords descendants, pourrait faire peur – et elle doit faire peur à l’ère de l’homo comicus. Pourtant, Pascale Locquin la combat avec son énergie, son sens de la mélodie, et la rythmique énergique de sa main droite. Cette association entre mélancolie et dynamisme de concert donne un concert sciemment bancal. Bancales, les chansons qui refusent les formes établies, les rythmiques perpétuelles, les chutes auxquelles l’auteur préfère les pieds-de-nez. Bancale, l’hésitation entre humour sporadique et humeur lunaire. Bancal dans un monde où la perfection, le pur, l’anodin l’a emporté. Bancal, donc stimulant.
Pour qui souhaite un set saisissable instantanément, susceptible de faire oublier soucis, claustrophobie et plus si affinités, il reste les médiocres one-man-show ou la finale de la Coupe de France entre le Qatar et un club de L2, laquelle prenait place le même soir. Pour ceux qui souhaitent découvrir une chanteuse peut-être encore en quête de son accomplissement, peut-être encore en attente du moment où elle dira plus souvent “je” que “on”, peut-être en route vers ce qui unifiera ses diverses inspirations et donc singularisera plus nettement certains de ses titres, il y a Pascale Locquin. Moi, j’ai passé une bonne soirée avec une artiste qui gagne à être découverte, en sus pour le prix d’une conso et d’un don dans un chapeau. Qui dit mieux ?