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Halle des Grésillons, version jazz. Photo : Bertrand Ferrier.

Même pour nous qui allons rarement dans les clubs de jazz, et encore moins pour ouïr de la musique conceptuelle, je l’admets, il faut croire que c’est bien à Genevilliers, au bout du monde, que tout a commencé. En témoigne une exposition ambitieuse, quoi que sa cohérence ne saute guère au pif de l’ignorant. Elle est abritée pour l’essentiel dans ou devant d’absurdes conteneurs sciemment mal repeints pour laisser trace des convoyeurs comme CGM. Cette scénographie rend hommage au sponsor – lequel regroupe plusieurs ports dont celui de Gennevilliers.
C’est dans cette halle très froide que se tient le concert jazz des profs du conservatoire local quoique départemental. On va pas se mentir : n’eût été le lien qui nous associe au souffleur – arrangeur – prof de jazz qui sévit dans le lot, même pas on aurait pensé à venir, malgré le prix de zéro euro. En dépit d’un fond de scène carrément dégueulasse de nullité, qui se prend pour de l’art chiraquo-tribal et ressemble à un ratage pour cantine de collège bien naze, nous eussions eu tort.

Le projet : aligner les standards-mais-pas-que qui font le prix d’un jazz encore populaire des années 1930 aux années 1960, en gros. Du coup, le public comme le septuor n’est pas typique de Gennevilliers : c’est hyperblanc et, côté salle, c’est pas superjeune. En échange, la ville ne met pas de technicien à disposition. Concon, alors qu’il y a des projos en place et une table de régie, lesquels seront utilisés pour la rencontre succédant pile poil le concert.
Peu importe aux spectateurs. Ici, on vient à la bonne franquette. C’est le public jazz à la papa. Assez savant pour clap-claper quand il faut, et globalement assez éloigné de l’enjeu artistique – fors quelques ex-élèves ébahis. Autour de nous, ça discute pendant le set (“nan mais là, carrément, c’est trop on y va pour danser, personne te calcule, c’est génial”), ça circule (“bon ben bisous, je te bigophone bientôt, ma douce”), mais à tout moment ça blinde les chaises et les gradins – sans doute plus d’une soixantaine de personnes, connaisseuses, liées aux artistes ou non. Pour un dimanche après-midi plus frisquet que friqué, dans un lieu mal défini pour les allogènes dont nous sommes, avec une pub mal valorisée : putain de respect – je cite le philosophe Nicola Sirkis, bien sûr.

Pierre-Marie Bonafos. Photo : Bertrand Ferrier.

Car, contrairement à ce que la présentation planplan peut laisser supputer, sur la scène, il s’agit bien d’artistes qui jouent sa mère ça joue. Le meneur de revue, c’est Pierre-Marie Bonafos, qui saxe, qui arrange et qui présente – mais la mairie a omis de prêter un micro. C’est d’autant plus ballot qu’un amplificateur se retrouvera dans les mains du mec présentant, juste après, la rencontre bédéistique. Reste le travail accompli. “String of pearls” popularisé par l’orchestre Glenn Miller ouvre la voie avec son swing où les passionnés ne retrouveront pas le piano original qui relançait le discours de la version iconique (il y a une très belle bête mais “elle est accordée à 415” nous souffle-t-on).
Pulse cette capacité de l’arrangeur à glisser l’essentiel de l’orchestre et, en sus, le swing léger que permet le plus petit ensemble, break compris. Ne négligeant pas le plaisir de faire zizir, la bande claque “Fly me to the moon”, avec les trois soli qui vont bien : Philippe Miller au sax ténor craque son p’tit groove, le big boss batifole avec art sur la ligne de crête, et Julien Chevalier gratte entre notes pertinentes et accords qui relancent.

Le célèbre et quasi minimaliste “C Jam Blues” célébré par Duke Ellington inverse les soli, la guitare précédant le baryton et l’alto. Avivant notre regret que ces chansons n’aient pas de voix, “Perdido” de Duke Ellington se présente modestement comme la “lyophilisation pour septuor de la version pour big band“. Pourtant, cette histoire de cœur perdu pulse comme il sied, même si la basse de Florent Corbou a l’astuce de ne pas marcher aussi vite que dans la version illustre.
Logique, le rythme, c’est pas la vitesse : c’est le contretemps, l’harmonie qui relance, la note qui déstabilise, l’arrangement qui décoince l’habitude ou happe le novice. La bande à PMB le démontre à dessein avec un premier solo de trompette fricassé par le très sûr Bruno Nouvion et une seconde improvisation à intertexte du patron.

“Splanky”, standard de Count Basie s’il en est, permet au trio de saxophonistes de se rrremettre en évidence, à commencer par le baryton Gilles Ferré. Après un classique de Count Basie (“avec que quatre bémols à la clef” se réjouit Florent Corbou), le “Sing, sing, sing” copyrighté par Louis Prima en 1930 puis popularisé par Benny Goodman, offre l’occasion à Bruno Nouvion de ouah-ouahter généreusement, mais aussi à la batterie, animée par les baguettes de Mathieu Penot, de batifoler conformément à la version de référence.
Tube oblige, “All of me” surligne l’aisance sans m’as-tu-vuisme de la guitare avant que l’hommage sinatrique à la clodo (“The lady is a tramp”) enrichit les arrangements par d’autres idées (incluant une intro à la guitare, solo en duo entre alto et ténor). Un final bluesy façon Muddy Waters (là, les paroles ne manquent pas) et un bis in extremis finissent de séduire un public chaud bouillant.

En conclusion, un moment swing, sans guinderie, sans falbala, avec le savoir-faire, la synchro et la spontanéité qui vont bien. Il se murmure que le projet Kurt Weill parallèlement mené par le big boss va voir le jour et sera inauguré par une prestation au bar du Théâtre de Genevilliers, qui jouxte la Halle.
À suivre, assurément, tant le savoir-arranger, le sens d’un jazz protéiforme et la capacité de fédération de Pierre-Marie Bonafos sont capables de susciter des moments aussi pétillants humainement que musicalement puissants.