Pierre Réach joue 9 autres sonates de Beethoven (Anima) – 3/8

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Première du disque

 

La “Grande sonate pathétique”, ainsi qu’a été markettée la huitième sonate pour piano de Ludwig van Beethoven, s’ouvre sur un premier mouvement en Ut mineur, agrémenté d’un prélude “grave”. Soutenu par la prise de son parfaite

  • (précise sans être étriquée,
  • chaleureuse sans être forcée,
  • spatiale sans être évanescente)

d’Étienne Collard, Pierre Réach en salue les contrastes

  • de dynamique
    • (sforzendi,
    • phrasé,
    • légèreté suivie des
      • accords,
      • octaves et
      • quelques fantaisies chromatiques de la main droite),
  • d’intensité
    • (fortissimi,
    • piani subito et
    • crescendi) et
  • de caractère
    • (martial,
    • méditatif,
    • emporté).

Le contraste avec l’Allegro “di molto e con brio” est ainsi garanti, non point seulement par le tempo (les quadruples croches précédentes atténuaient le contraste) mais par

  • l’énergie de la sonorité,
  • la régularité de l’allant et
  • la tonicité affirmée des attaques.

Pierre Réach opte pour une différenciation intériorisée, au sens où il semble concevoir les sonates beethovéniennes comme un espace de frictions plus que comme une série de moments incompatibles

  • (rapide / lent,
  • fort / tendre,
  • brillant / lyrique…).

Ainsi réussit-il à poser, autour d’une main gauche ploum-ploumeuse, une main droite

  • baladeuse avec légèreté,
  • tressautante avec charme,
  • dialoguant avec elle-même et comme avec l’auditeur.

Dès lors, on peut goûter confortablement

  • l’agogique précise,
  • la distribution fine des nuances et
  • les habiles différenciations des touchers.

La huitième sonate n’a pourtant pas grand-chose de confortable, et c’est ce dialogue entre interprétation soignée et tension interne qui, à nos esgourdes, fait le sel de la version de Pierre Réach. Ainsi, la réminiscence du grave liminaire semble moins entraver la vivacité créée par l’allegro que lui redonner du souffle en lui proposant

  • une suspension intrigante,
  • une respiration tonifiante,
  • un tremplin revigorant vers la modulation fragile en majeur.

La partition permet à l’artiste

  • de caractériser les registres (graves grondants mais distincts),
  • de varier les couleurs (entre tempi et à l’intérieur de chaque dynamique) et
  • de déployer un spectre pianistique particulièrement irisé,
    • du pétaradant au délicat,
    • de l’explosif à l’introverti et
    • du rutilant au joyeusement rustique.

L’Adagio cantabile en La bémol est le tube de la sonate.

  • Sa sérénité étagée sur trois voix
    • (lead,
    • bariolage,
    • basse),
  • sa préhension des multiples registres
    • (exposition dans les graves,
    • réexposition du thème dans les aigus, puis
    • ré-aspiration vers les profondeurs du piano) et
  • les mutations de son développement
    • (rôle du ternaire dans la relance ou la rythmique,
    • double bariolage,
    • dynamisation des triples croches)

contribuent au plaisir d’écoute et valident la voie interprétative choisie par Pierre Réach : non point opposer mais

  • jointoyer,
  • faire résonner et
  • agencer

les

  • changements,
  • contradictions et
  • tensions

manigancés par le compositeur. L‘attention portée par le musicien

  • au toucher,
  • aux nuances et
  • à la respiration globale

inspire un profond respect pour cette proposition. Le rondo allegro revient à Ut mineur. On est immédiatement happé par le punch de l’interprète. On se repait

  • de staccati ébouriffants,
  • d’appogiatures étincelantes et
  • d’un accompagnement à main gauche d’une extraordinaire vitalité…

alors même que ce qu’il y a à jouer de ce côté-ci ne brille pas, a priori, par

  • son intérêt,
  • son originalité ou
  • sa créativité.

Or, c’est précisément de cette association entre mélodie accrocheuse et accompagnement bateau que le mouvement tire son énergie. C’est pourquoi Pierre Réach n’efface pas la banalité de ce que joue la senestre, il s’en sert comme d’une lumière braquée sur la dextre. L’une ne dévalorise pas l’autre, au contraire : elle est à son service. Le charme naît de la collaboration voire de la complémentarité entre les deux – et, il faut bien le dire, d’une synthèse musicalement impressionnante. Il est fort envisageable que le musicien ne pense pas en ces termes tant paraît fluide, naturelle, évidente, sa capacité

  • à déminer la dichotomie, et hop,
  • à penser avec plutôt que contre, et
  • à proposer une vue englobante qui nous permet d’imaginer ce qu’a peut-être imaginé, quelques siècles plus tôt, LvB en personne.

Là encore, que Beethoven ait réellement privilégie l’hypothèse réachienne ou non n’a aucune importance, car l’intérêt d’une interprétation, au sens fort, est avant tout

  • de proposer une lecture spécifique d’un texte commun,
  • d’emporter la conviction de l’auditeur par l’adéquation entre l’intention et la partition, et
  • de laisser ouverts les autres possibles.

De fait, une belle idée n’invalide pas d’autres belles idées ! Celle de Pierre Réach associe

  • maîtrise,
  • élégance,
  • variété et
  • cette capacité à lustrer une intention que seule permet une longue fréquentation avec une partition.

Bref, abandonnons-nous au jargon réservé aux experts en musicologie appliquée, et reconnaissons que, loin d’être simplement croquignolesque, c’est gouleyant. Pour prolonger ce voyage et ce plaisir, les deux sonates plus brèves de l’opus 49 nous permettront tantôt de retrouver l’interprète dans ces œuvres moins fréquentées par lesquelles passe aussi, forcément, une intégrale. Vivement !


Épisodes précédents
Sonate opus 2 n°2
Sonate opus 10 n°1