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Capture extraite du film de François-René Martin par Rozenn Douerin

 

Voici un produit hybride et assez mollement défini ! Le pitch parle

  • d’une visite de lieux iconiques de Paris en compagnie de l’une des dernières sopranos vedettes fabriquées par l’industrie du disque (la seule qui restait vraiment sur le marché, Anna Netrebko, a été balayée par le racisme antirusse adoré par les décérébrés et prôné par les lèche-entre-fesses ou les concurrents pas au niveau),
  • d’une lettre d’amour à la culture française,
  • d’une “expérience immersive”,

le genre de baratin que l’on a peine à imaginer toujours en vigueur – preuve que si. Qu’importe, c’est l’occasion pour les fans et leurs accompagnateurs de retrouver la Renée en souvenir du bon vieux temps.
Sans préambule, l’affaire s’ouvre le 18 septembre sur une médiocre interview live assurée façon mini show du samedi soir par Kelsey Grammer, introduite par rien, sciemment grand public et, dès lors, forcément pauvre et banale pour les flemingomanes, pourtant seuls susceptibles de venir voir un projet qui s’annonce aussi mal – et pour 25 € au cinéma de la Villette, s’il vous plaît. Le ton bon enfant n’y peut mais, l’aspect bancal de l’exercice saute aux yeux :

  • le direct – qui n’apporte rien – exclut de fait les non-anglophones du jeu (la traduction écrite est forcément perfectible et très en retard sur la VO !) ;
  • les “questions digitales du public” sont plates, redondantes ou escamotées parce que pas le temps de répondre ; et
  • l’échange ronronne entre
    • banalités rasoir (“j’aime New York car ma famille y vit”),
    • pistes abandonnées sans doute pour éviter de faire trop technique (“j’aurais aimé chanter la Dame de pique“) et
    • éléments de langage consternants sur l’opéra “démocratique” parce que l’on peut même le déguster au cinéma “en mangeant des popcorns” (ça gâche pas du tout l’expérience des voisins, ça, le popcorn au cinéma qui plus est quand tu viens écouter de la musique savante : à force de prétendre se mettre à la bassesse supposée des glandus dont nous sommes, même les grandes dames se piquent de dire des conneries).

Ce mauvais moment passé, le film commence, revendiquant une esthétique compassée et disneyisante, bref, malaisante. Même si Renée Fleming s’est retirée des scènes opératiques, quel dommage de la réduire à une vedette vintage engoncée dans son statut d’Américaine lisse à souhait, écrasant Paris sous le poids d’une carte postale éléphantesque, dont le propos oscille entre grotesque et saugrenu ! Le choix du théâtre du Châtelet comme lieu “historique” en est un bon exemple, l’opéra ayant été chassé de cet espace au profit, essentiellement, de billevesées mainstream (et, donc, de privatisations). Dès les premières séquences, l’on découvre que, pour enrichir le répertoire proposé entre deux séquences touristiques, trois autres chanteurs – Piotr Beczała, Alexandre Duhamel et Axelle Fanyo – interviendront également.
Après un générique en forme de plongée fake dans les coulisses et le before, la “barcarolle” des Contes d’Hoffmann est censée lancer les festivités. Alors que le Paris divers est exclu de l’écran (les extérieurs sont filmés dans les quartiers chic, jamais dans l’Est parisien), François-René Martin tente de purifier ce projet élitiste et blanc en insistant, hypocrisie consensuelle oblige, sur la “diversité”. Aussi Axelle Fanyo est-elle montée en épingle, ainsi, et c’est plus gênant, qu’un musicien de l’orchestre – noir, forcément. Ce n’est certes pas la couleur qui pose problème mais l’insistance avec laquelle la caméra pointe l’artiste du rang. Cette grossièreté, moins appuyée que profondément raciste, sonne aussi comme la pitoyable justification des artistes mal dans leur peau devant les attaques wokisto-décoloniales – le magazine de l’Orchestre de Paris de septembre 2022 l’évoquait, se demandant, p. 18, “pourquoi la plupart des musiciens sont blancs ?” (un indice : peut-être parce que l’on est en France et que, jusqu’à ce que soit promulguée la nouvelle vulgate, le grand remplacement n’existe pas). Or, la prise de son ne flatte pas l’ex-violoniste diplômée du CRR de La Courneuve devenue soprano. Mal pensée, la captation de cette séquence paraît déformer le timbre de la cantatrice française en le rendant, semble-t-il, nasal et peu élégant, ce qui ne sera pas le cas de ses interventions suivantes. Probablement une erreur de mixage ou un problème de diffusion puisque l’air des “Pêcheurs de perles” met, lui, en valeur un Piotr Beczała à la voix sûre, à l’expression sobre et à la diction soignée donc intelligible.
S’ensuit une pénible séquence publicitaire au profit d’Alexis Mabille, qui fait de la haute couture galerie Vivienne et habille Renée Fleming pour les airs du film, dont “Adieu notre petite table”, extrait de Manon, qui enquille. La diva, qui a gardé un souffle remarquable et un beau timbre, y privilégie la sensibilité et l’expressivité sur la projection du français, pour le moins approximative, et la justesse, çà et là presque souple. Fixant le fond de scène (l’orchestre est derrière, ce qui permet aux caméras de fixer les dorures et velours de la salle à l’italienne, on en est là), Piotr Beczała y va de son tube via “Pourquoi me réveiller ?”, extrait de Werther. Difficile pour lui, dans ce contexte, d’incarner son personnage, mais le ténor assume crânement ce must du répertoire, avant que Renée Fleming ne reprenne le manche pour un air où la connexion avec l’orchestre peine parfois à être pleinement synchronisée.

 

Piotr Beczała et Renée Fleming. Capture extraite du film de François-René Martin par Rozenn Douerin.

 

Dans le plan suivant, la vedette prend le temps de siroter quelques gorgées de rouge dans des verres immenses et un troquet très classe, so Paris, en compagnie du metteur en scène Robert Carsen, qui a su associer Louis Vuitton et l’opéra – démocratie, quand tu nous tiens. Bienvenue dans un Paris 100 % cliché où la ville est désignée “capitale mondiale de l’opéra” ce qui, hic et nunc, peine même à faire rigoler. On imagine que les villes suivantes, si villes suivantes il y a, seront à leur tour capitalisées. Par avance, bravo à elles !
C’est à Axelle Fanyo d’enchaîner avec l’air des bijoux et de la Castafiore, signé Charles Gounod. Le résultat laisse le spectateur partagé entre une performance vocale tout à fait digne et une avalanche de mimiques contorsionnées qui en deviendrait presque fascinante : comment, à ce niveau vocal, peut-on ne pas avoir été coachée scéniquement afin d’adopter une attitude plus juste, une gestuelle plus sobre donc plus signifiante, une posture plus maîtrisée et moins stabyloteuse ? Heureusement, dans la “Nuit d’amour” qui suit, les deux héros sont d’accord pour chercher une joie éternelle, ça fait toujours plaisir.
Le maelström bifurque vers le lied en convoquant le pianiste Tanguy de Willencourt pour jouer Debussy tandis que l’on apprend des secrets passionnants (“les sœurs Labèque m’ont appris à choisir les fromages et les macarons”, wow). Bien que l’on peine à saisir la ligne directrice du film, l’on se réjouit de cette parenthèse musicale plus intimiste. À Reynaldo Hahn et à son “Heure exquise” succèdent les “Pleurs d’or” de Gabriel Fauré, avec Alexandre Duhamel au timbre très sûr, ainsi que “Les filles de Cadix” de Clément Philibert Léo Delibes – un golden hit flemingien que la soprano chante toujours avec cœur, métier et gourmandise sans cependant que l’auditeur soit en mesure d’en comprendre plus qu’un ou deux traîtres mots.
Le ridicule franchit un step quand les deux sopranos se retrouvent par hasard dans une boutique de vinyles (où trône, coïncidence, un CD de la Fleming). Puis Axelle Fanyo monte sur un cheval de bataille disputé entre sopranos et mezzos : la habanera de Carmen. Une fois de plus, on regrette que l’expressionnisme de la cantatrice, tatouage et minauderies en bandoulière, gâche l’impression favorable qu’aurait dû laisser la voix. Cette surinterprétation, moins intense qu’expansive, réduit l’expressivité à une série de postures caricaturales enchaînées (on est quasi sur une posture par mot). En voulant absolument montrer son investissement des paroles, même dans le cadre d’une performance uniquement filmée donc sans nécessité de surjouer pour toucher le spectateur du dernier rang, l’artiste, au lieu de s’appuyer sur la musique, fracasse l’impression d’incarnation sincère dont procède, les bons soirs, le charme vénéneux de l’illusion scénique.
À l’inverse ou presque, “La fleur que tu m’avais donnée” valorise à la fois l’art vocal et l’artisanat scénique de Piotr Beczała. Le ténor s’en tient à une exécution directe, efficace, sûre, laissant à son timbre, à ses inflexions et à sa présence le soin de traduire le trouble de son personnage. Le toréador Alexandre Duhamel affiche lui aussi une voix très solide, quoique l’intelligibilité du texte ne soit pas exactement au cœur de son projet ; et la balade parisienne se finit sur le “Libiamo, ne lieti calici” de la Traviata, feat. la Fleming et le Beczała. Le chef dirige à la parisienne, id est avec une baguette (pas le pain, dommage…) et une coupe à la main. Le quatuor de chanteurs se réunit pour le finale avec caméras apparentes et flûtes de bulles pour tous, orchestreux compris. Puisque l’on vous dit que ça, c’est Paris !
En résumé, as far as we are concerned, ce film développe un concept en forme de chromo, plus digne d’une émission télévisuelle d’antan pour fin d’année cultureuse que d’un écran géant de cinéma et d’une grande dame de l’opéra. Le résultat aurait pu être léger, grisant voire aérien comme une opérette, il paraît étouffe-chrétien comme une brioche ratée. Il aurait pu revigorer les curieux, il déçoit souvent, il chafouine et chiffonne parfois. Les artistes n’y sont pas pour grand-chose mais, dans ce Paris de Ratatouille, géographiquement et musicalement plus que restreint, le mélomane français, même flemingophile, risque de sourire jaune en voyant ces images. Peut-être fallait-il se méfier d’emblée : le pitch était vague, et quand c’est flou, il y a souvent un grand méchant loup, et pas de ceux à qui les jeunes filles ne sont pas toujours tristes de conter fleurette au détour d’un bosquet.