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Magic Mélanie et Romain Watson au Kilomètre zéro (Paris 3), le 14 mai 2025. Photo : Rozenn Douerin.

 

Romain Watson et Magic Mélanie, c’est un  bruit de fond qui tournoie dans la tête des amateurs de chanson à mélodie mais descend rarement du Nord pour gagner Paris. On les avait vus à la capitale dans une autre de leurs vies musicales, sous le nom d’Atlantys et dans une ambiance d’abord plus rock pour Eden / Apocalypsia, plus chanson française pop pour La Maison des mystères, qui apparaît a posteriori comme un trait d’union entre l’énergie rock des débuts et les prémices du projet Romain Watson. Entre fluide et intersectionnelle, héhé, la créativité musicale de Romain, guitariste, chanteur, auteur et compositeur, sait aussi faire preuve de souplesse. Ce jour-là, c’est en duo qu’il affronte le public de Kilomètre zéro, lui qui jouait encore pour partie les mêmes titres en groupe il y a peu, devant les foules venues assister à la tournée de Yannick Noah au cours de laquelle la gang du 62 a joué en ouverture de festoiement.
Cette modularité du projet va construire la set-list fomentée pour ce soir chaud de la mi-mai parisienne. La chanson d’ouverture l’assume, qui s’interroge sur « Ce qui reste » de nous, et plante d’entrée une thématique très watsonienne, tant le chanteur aime à interroger le temps qui

  • passe,
  • construit parfois,
  • détruit souvent (ce n’est pas systématiquement un défaut),
  • change toujours.

D’où l’importance d’interroger les « Racines » évoquées dans la deuxième chanson qui ouvrait elle-même l’album Comment j’ai disparu, tantôt chroniqué ici et . Roués (mais pas de coups, on se calme) et fins tacticiens, Romain et Mélanie font le choix d’accompagner leur duo vocal tantôt en acoustique avec guitare-cajón, tantôt en augmentant ce dispositif par du play-back pour enrichir la résonance des chansons… et surnager un peu au-dessus du clapotis du brouhaha ambiant qui, youpi, finira par se tarir – on verra des spectatrices dont le bavardage à fort décibel pouvaient laisser entendre que la musique les indifférait s’éclipser en remerciant Romain pour son son, eh oui.
Dans ce contexte flottant, il est logique que l’ACI opte pour « La valse de la vie » en troisième position. Cette chanson, issue du projet aussi malin que passionnant « Une chanson en un jour », le met en scène en train de dialoguer avec la vie qu’il trouve globalement cool (ouf) mais parfois très perfectible, it’s the least we can say. Le dialogue se poursuit avec « Être né quelque part », reprise de Maxime Le Forestier et Jean-Pierre Sabar, qui interroge ce qu’Alain Chamfort appellerait « le désordre des choses » ou « l’inadvertance », ces réalités qui structurent nos vies sans que nous n’ayons de prise sur elles – on pense à la proposition antiraciste de Gustave Parking, suggérant de délivrer des cartes d’identité dont on pourrait découvrir le pays d’origine en grattant le jour de ses dix-huit ans (« et merde, je suis Afghane / – Désolé, Kimberley-Jésus-Christ, le sort est dur mais c’est le sort »).

 

 

« Faire mieux » propose de changer l’espace en « rajoutant deux, trois astres », prolongeant de la sorte la question posée par la fatalité du « quelque part » de Le Forestier. En revanche, « l’amour » échappe à cette perspective d’optimisation puisque le concept consiste à « séduire sans cesse » mais aussi à « oublier le reste », car « ça, on le sait bien » (Romain Watson prétend être un « cœur d’artichaut » alors que, au vu de son personnage, on n’est pas sûr qu’il connaisse le sens précis de cette expression, certes polysémique mais pas à ce point !). Fidèle à son mariage et à ses débuts rock où l’anglais avait toute sa part, Romain Watson dégaine son accent frenchy le plus typique pour proposer les deux premières chansons anglophones du spectacle, l’une dans un esprit folk, l’autre augmentée par une basse préenregistrée et un solo (parfois en duo) aux dimensions variables. De quoi se souvenir de l’époque Watson Klub, où « Never look back », chanté en seconde position et qui évoque à notre voisine une fredonnerie poussée par Renée Fleming dans Dark Hope, ne manquait pas de faire son p’tit effet !
Le premier set s’achève sur deux chansons plus connectées à la veine actuelle du musicien. Ces allers-retours stylistiques, s’ils floutent sciemment qui est le Romain Watson, sont aussi habiles que labiles – à base de popopopo – dans le cadre d’un concert de bar où le Romain devient les Romain, légion de possibles susceptibles de capter par leur diversité l’attention de l’auditoire. « Comment j’ai disparu » pose une nouvelle question, elle aussi sans réponse, cette absence de conclusion péremptoire permettant à l’auditeur de rêver aux conséquences fouyouyou – oui, fouyouyou, ou fouyouyoutes, whatever – que comporte la dangereuse et saine envie de « frôler l’irréel », dans un titre flottant, dans la version live, quelque part entre Isabelle Mayereau et Nirvana (et hop).
« Nouvel An » renoue avec la veine dialoguée qui inspire Romain Watson, résolu à casser le couple qu’il formait avec la vieille année, une nouvelle ex de laquelle il dresse un bilan pour le moins sévère – quand on jette, on ne compte pas. Il faut regarder le clip supra puis imaginer un duo guitare-percu dans un bar pour capter la qualité d’une musique plaisir efficace, tatataaaa, qui, investie par les interprètes, se prête à de nombreuses versions. Par cette polymorphie sonore, Romain Watson et Magic Mélanie témoignent d’une intégrité artistique réjouissante, qui prend en considération les circonstances mais les turbulent. En effet, les duettistes auraient pu réduire leur show à un bruit de fond planplan pour bar bobo, où les non-habitués sont accueillis de façon plus désagréable que fraîche en dépit de tarifs survitaminés. Au lieu de quoi, les Nordistes proposent un tour de chant maîtrisé, judicieusement en lien avec le public mais préservant

  • la singularité artistique,
  • les oscillations musicales et
  • la diversité d’inspirations

qui font scintiller Romain Watson et laisseraient songeur le spectateur de les retrouver au Kilomètre zéro plutôt qu’à la Boule noire ou à l’Olympia s’il croyait encore que la quantité de spectateurs parisiens est plus due au talent de l’artiste qu’aux paris d’un producteur. Nous narrerons le second set parisien du haut duo – pas pu m’en empêcher – ce tout tantôt environ. À suivre, donc, inch’Allalalalalalah !