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Ne nous laissons point berner. L’originalité du présent disque ne réside pas dans l’association entre orgue et saxophone, désormais bien installée dans l’univers musical qui, jadis, donnait l’impression aux organistes de conter fleurette à la friponnerie et aux saxophonistes de s’immiscer dans un monde à eux interdit. Les exemples rappelant la banalité de ce type de duo sont nombreux – citons-en quelques-uns. Avec son épouse, Pierre-Marie Bonafos a su associer virtuosité classique et inventivité savante du jazzman et arrangeur roué qu’il est – des concerts à la Madeleine ont, entre autres, salué la parution de leurs disques. Domenico Severin a lui aussi esquissé tantôt un pas dans cette direction en compagnie de la Caribéenne Roselyne Quémin lors d’une mémorable doublette concert – captation à Basse-Terre. Daniel Kientzy, le plus radical des saxophonistes français donc sans doute du monde, prépare une série de créations venues de l’Est où l’orgue se fraiera un chemin entre ses sept saxophones (au moins). Au Québec, Sophie Poulin de Courval et Jacques Boucher ont exploré, entre autres, des perspectives autochtones alliant chanson et musique savante avec le même attelage. On le subodore à travers ces quatre exemples, ce n’est donc pas l’alliance entre orgue et sax qui garantit un projet original et frétillant, mais le répertoire spécifique et l’orientation artistique proposés par les artistes.
Sur ce plan, ne nous laissons point berner non plus par la première de couverture du disque, qui associe à une jolie photo une titraille bâclée – le texte d’introduction en deuxième de couv’ est assez croquignolesque aussi – pouvant laisser craindre un produit aussi médiocre que le titre choisi. Or, la proposition apportée par Fabien Chouraki et Olivier Dekeister, sponsorisée par le ministère de la Culture, le Centre national de la musique et Henri Selmer, est à la fois de très haut niveau et d’une grande exigence musicale, exclusivement centrée sur un répertoire des vingtième et vingt-et-unième siècles.

 

 

L’heure un quart de musique s’ouvre sur la Première sonate de Denis Bédard. L’Invention en Sol – mais ne rechignant pas devant la modulation – s’enroule sur un motif roboratif bientôt absorbé dans un segment plus paisible. Celui-ci assume la répartition entre un sax alto soliste – que la prise de son de Luc Fourneau rend hélas presque solitaire par moments – et un orgue accompagnateur prenant sagement un p’tit solo après son complice. La partie A revient ragaillardir tout ça, permettant même à l’orgue de dégainer des jeux plus puissants. Les amateurs d’une musique située entre conceptuelle et expérimentale éviteront de poursuivre l’aventure Bédard avec le deuxième mouvement, une Barcarolle en mi mineur où l’opposition rythmique entre la main droite et le sax fait mouche. L’orgue lance ensuite le sax sur une nouvelle piste, où le dialogue paisible se poursuit entre jeu solo et soliste. La sonorité chaude et réverbérée de Fabien Chouraki accompagne joliment l’auditeur dans cette structure ABA interprétée avec la sérénité qui sied. Une Humoresque en Sol débaroule avec une tonicité motorique prise avec franchise et nuances par les complices. Alors que le saxophone s’essaye au lyrisme, la main droite de l’orgue en arrière-plan ne se calme pas avant le mitan du mouvement où il lui revient de relancer le soliste. Justes synchronisations, tempo audacieux et souci de musiquer au-delà du pétillement des notes achèvent de convaincre que commencer le disque sur une musique simple – pour l’auditeur – et joliment troussée était une belle idée !
Première transcription du programme, Impression d’automne d’André Caplet date de 1905 pour sa version originale. Les ondulants de l’orgue lancent le balancement sur lequel se greffe le saxophone. La pédale joue une sorte de glas, puissant et terrible. Le motif liminaire, autour duquel échangent sax et main droite, se brouille quand le propos semble se hâter puis se figer dans une contemplation triste. L’attention se porte alors sur les harmonies acidulées dont André Caplet raffolait. Le retour de la partie A enserre l’affaire dans une retenue dont on est heureux d’avoir suçoté la belle amertume jusqu’à l’infinie note finale.

 

 

Du grand organiste Éric Lebrun, SaxOrgue choisit, sous le titre de Ricercare, d’adapter “la cinquième pièce des Vingt mystères du Rosaireopus 10, originellement pour violon et orgue. Le background ? “Il s’agit d’une évocation poétique de Jésus, enfant, perdu puis retrouvé dans le Temple de Jérusalem.” Le langage musical, jusqu’ici tout mignon, se cabre d’un seul coup d’un seul. Le sax se cherche, l’orgue le cherche itou. Il suit des motifs dessinés par le soliste sans parvenir à se calquer sur lui, sinon en se tapissant dans l’ombre. Fabrice Chouraki semble s’en goberger sur tous les registres, poursuivi de loin par claviers et pédalier.

  • Suspensions du discours,
  • changements d’atmosphère,
  • travail sur l’apport narratif des tenues apaisées versus la cavalcade initiale

organisent un extrait dont l’esthétique relance l’intérêt de l’auditeur.
Transcription au carré, la Louange à l’éternité de Jésus d’Olivier Messiaen adapte l’adaptation d’une pièce pour six ondes Martenot, “Oraison”… même si le livret cafouille à ce sujet, tant dans l’intitulé que dans la présentation mêlant texte du compositeur et ajouts personnels. L’oraison est extraite de Fête des belles eaux, créée lors de l’Exposition universelle de 1937 et remixée pour violoncelle et piano, y a pas de petit profit, dans le Quatuor pour la fin des temps. Comme les précédentes, cette transcription ne semble pas signée. Sur une rythmique obstinée – mais non perpétuelle – de l’orgue se déploie le lamento du sax. Les amateurs de composition oscillant entre stabilité étale et tensions culminant dans un crescendo raisonnable suivi d’un piano subito y vibreront ; en dépit du souffle impressionnant de Fabien Chouraki, les autres supputeront plutôt qu’il s’agit d’une respiration ménagée dans le récital tant, hors contexte, ce Lento solennel paraît, osons le blasphème, longuet. Curiosité vécue souvent devant des tronçonnages de mouvement de symphonies pour orgue, dont l’extraction gomme l’intérêt qu’ils avaient quand ils étaient associés aux autres mouvements avec lesquels ils formaient un seul et même corps…

 

 

Organiste vedette devenu compositeur vedette, Thierry Escaich signait une redoutable Tanz-Fantaisie pour la finale d’un concours de trompette allemand. Écrite pour piano et trompette en 1997, l’œuvre a été transcrite pour orgue et trompette en 2000. La voici arrangée pour sax et orgue. Une introduction inquiète oppose les mystères sonores du soliste à la rythmicité de l’orgue. Au tiers-temps, le rythme agite le sax itou, lequel hésite néanmoins sur la conduite à tenir. L’orgue, précis, tente de l’émoustiller, y parvient un temps, donc essaye d’en rajouter une couche.

  • Le détaché du soliste,
  • son travail sur la conduite du son et
  • la qualité de l’accompagnement d’Olivier Dekeister

ne convainquent certes pas de la nécessité de la transposition au saxophone mais, pour qui fait abstraction de l’original, ne manque ni de charme, ni de peps, ni de brio. Ils remettent en avant l’intérêt d’un duo orgue et saxophone qui est, certes, d’interpréter des pièces originellement dédiées à une telle association mais qui est aussi d’offrir un large panel de pièces écrites pour des ensembles très différents, des sextuors d’ondes au binôme trompette-piano.
Dans les choix de pièces d’origine comme dans les options de style privilégiées, les duettistes semblent apprécier davantage les tête-à-queue que les chapelles. Ne leur parlez pas de monochromes, ils hachurent, colorient, déchirent, refont, empêchant le mélomane de se contenter d’une forme d’harmonie, d’un genre de musique plus ou moins contemporaine, bref, d’un seul kif redondant à souhait. Pour preuve, les deux pistes suivantes conduisent l’auditeur sur la piste de Naji Hakim, organiste rebelle et compositeur apprécié worldwide. De Our Lady’s Ministrel, SaxOrgue retient les parties instrumentales censées encadrer trois mélodies pour soprano et orgue. Contrairement à ce qu’affirme le livret, les Prélude et Danse ne sont pas destinées au duo sax et orgue mais au duo clarinette en Bb et orgue (la pièce a été créée par Regula Schneider, clarinettiste également soprano jazzy). Oublions cet étrange raccourci du livret, et profitons du Prélude en Mi bémol. Le mouvement déploie une excellente harmonisation aux tonalités jazzy autour d’un Salve Regina qu’il enveloppe dans une sorte de valse hypnotique pour musical. L’interprétation fait le choix de la rigueur qui rend, par contraste, la science d’écriture épicée et presque souriante de Naji Hakim, même si l’absence des trois chants consubstantiels au projet empêche de comprendre pleinement le sens des harmonies que ces mouvements prolongent, creusent et modifient avec gourmandise. La Danse en Fa s’ouvre, elle, sur des accents quasi brésiliens.

  • La justesse des aigus très clarinettiques (?),
  • la chaleur des médiums,
  • la registration pertinente (discrète mais assez fournie pour affleurer à bon droit) d’un orgue en grande forme,
  • la restitution des rythmes dont maintes partitions de Naji Hakim font grand cas,
  • les effets d’écho entre les partenaires,
  • l’interprétation mélancolique à souhait de la valse centrale et le retour vibrionnant du premier motif

achèvent de séduire et de donner désir de découvrir les directions que prendra la fin du récital. Ce sera chose faite dans une prochaine notule !


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À suivre !