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Steve Hackett. Photo : Bertrand Ferrier.

Steve Hackett est-il « le » guitariste de Genesis… ou un guitariste qui, entre autres, a joué sur les meilleurs disques du combo progressif ? Une chose est sûre : porté plus par la nostalgie de vieux fans de la bande à Peter Gabriel, il était de nouveau en France, ce dimanche 26 mars, pour deux mi-temps d’une heure puis une heure trente, dans un Trianon archicomble des semaines à l’avance et prêt à profiter de ce concert “autour de Genesis” (recette éprouvée depuis plus de vingt ans), chic, donc pas que, re-chic.

Roger King (claviers), Rob Townsend (sax), Nad Sylvan (chant), Gary O’Toole (batterie) et Nick Beggs (basse et seconde guitare) autour de Steve Hackett. Photo : Bertrand Ferrier.

La première mi-temps oscille entre des extraits de la nouvelle galette (sortie le 24 mars avec un casting proche de celui qui se produit sur scène) et des classiques surtout instrumentaux du groupe génétique. Malgré notre goût pour la nouveauté chez les grands musiciens de rock, rien de passionnant en vue dans les titres inédits propulsés sur scène, dont l’un s’embourbe même dans un banal dialogue entre saxophone et harmonica – fort bien joué par le virtuose de la guitare, l’harmonica, mais rien de disruptif comme sut l’être en 1999 le redoutable Darktown ou, en 2003, l’excellent To watch the Storms, si riche. Toutefois, comme presque toujours chez Steve Hackett, même ce qui semble « banal » et « juste bien fait » est remarquable dès lors que le maître s’en mêle. D’abord parce que la vedette est toujours aussi brillante musicalement (les doigts, les sonorités en électrique comme en acoustique, la précision de l’interprétation, la rigueur et le dialogue libre avec le groupe, la personnalité si reconnaissable dans les covers même fidèles…). Ensuite parce que le répertoire est choisi avec finesse et agréablement agencé. Enfin parce que les pièces au menu sont souvent d’une richesse passionnante, même quarante-six ans plus tard : breaks, trouvailles harmoniques, changements de tonalité impromptus, alternance synchro ultraprécise (ces dialogues guitare / sax !) + impros classiques, variation des climats, puissance évocatrice des mélodies et des atmosphères esquissées par les textes… Tout porte ici vers le beau, au-delà du technique ou du spectaculaire. La virtuosité est au service du spectateur, et ne se cantonne point dans ce qui pourrait n’être qu’une démonstration impressionnante mais stérile. Résultat, cette première partie enthousiasme, en dépit de certains titres moins palpitants que d’autres et malgré quelques gnangnanteries (pour que l’on accueille tous les réfugiés comme les parents de l’artiste jadis, contre le Brexit qui érige des barrières quand on devrait ouvrir les bras…). La présence juste, motivée et percutante de Steve Hackett emballe absolument le public, frustré par l’entracte intervenant trop promptement, ce qui est bon signe.

Le précis Roger King. Photo : Bertrand Ferrier.

D’autant que le Trianon est un lieu idéal pour profiter de l’entracte : y a le bar, bien sûr mais, à l’étage, il y a aussi des fauteuils fort cosy, parfaits pour deviser entre gens de bonne compagnie. La pression monte, dans pas mal de sens, pour une seconde partie que Steve Hackett promet plus génésienne. Ce qui nécessite un groupe au plus haut niveau. Roger King, complice coutumier de ces reprises (ce qu’illustrait Watcher of the skies dès 1996), est aux claviers et parfois à la voix. L’habitué Nick Beggs (et non Roine Stolt, comme annoncé), kilt, longs cheveux et attitude parfois étrange, est très bon tant à la basse qu’aux secondes guitares. Gary O’Toole est derrière les fûts et, parfois en lead, derrière le micro pour chanter ou narrer – irréprochable et scéniquement très investi sans déborder pour autant de son rôle d’accompagnateur. À l’inverse, Rob Townsend en fait un peu trop à notre goût : saxophoniste de qualité, il est aussi doublure percu et claviers fort inutile. Reste la faute de goût (en sus d’une certaine désinvolture dans le décor – régie à jardin très visible – et du plan de feux pénible, avec cette manie si exaspérante d’éblouir le public à répétition) : la voix est confiée à Nad Sylvan, chanteur suédois au timbre encore plus nasillard que celui de Paul Carrack, à la tessiture très limitée et aux intonations d’une fausseté repoussante. Autrement dit, il ne suffit pas d’adopter une capillarité et des habits très rock prog des seventies, ce qui en soi est joyeux, pour pallier des déficiences techniques patentes et pesantes. Heureusement, restent la musique et la dextérité de Steve Hackett, et, avec elles, quelques regrets en forme de questions, comme : pourquoi si peu de chansons esssclusivement de la vedette, dont le répertoire solo est pourtant si riche ? ou pourquoi si peu de parties chantées laissées au guitariste ? Juste pour ne pas décevoir les vieux venus applaudir le Genesis de leur adolescence ? D’un talent aussi formidable que Steve H., on n’ose presque pas le penser.

L’excentrique Nad Sylvan. Photo : Bertrand Ferrier.

En conclusion, un spectacle convaincant et de grande qualité, mais qui tend à effacer le créateur polymorphe derrière le Génésien – ce qui lui permet, sans doute, de tourner, mais ne rend pas justice de l’entier potentiel du zozo. Par chance, quand la satisfaction l’emporte sur une déception de set-list, on tend à déduire que ce dimanche soir n’était pas totalement perdu… surtout quand il se termine par une discussion dans un bar proche, typiquement français donc tenu par des Asiatiques, où un Grand Ancien déploie sa connaissance intime et profonde des liens entre Genesis, Steve Hackett et le rock progressif – so typical d’une musique aussi complexe qu’accessible à tous, euphorisante, intelligente et pétillante quand elle est aussi bien jouée que par Mr Steve et sa bande.