Tristan Pfaff & friends, Salle Gaveau, 7 février 2024 – 3/4
Elle a bien été pensée comme un tout, la fête fomentée par Tristan Pfaff avec ses amis musiciens pour son public parisien, fête dont nous avons évoqué les débuts ici et là. En témoigne le tuilage entre une première partie conclue par Jacques Offenbach, alors que la seconde mi-temps se rouvre sur un autre tube de Jack, la “Barcarolle” des Contes d’Hoffmann. Pour tube qu’elle soit, la chanson est issue d’un échec initial lié aux Fées du Rhin. La voici interprétée dans une version pour deux chanteuses (c’est logique), violoncelle et piano. Les “zéphyrs embrasés” puisent dans la profondeur vibrante de Marie Gautrot tandis que les ivresses de “la nuit plus belle que le jour” s’alimentent à l’évanescence maîtrisée d’Erminie Blondel. Porté par un piano très sûr et un arrangement de bon goût, le violoncelle de Julie Sevilla-Fraysse est
- l’âme lyrique,
- la grâce harpiste et
- la pulse contrebassiste qui sied.
Le pianiste autour duquel tourne quand même le récital reprend alors le pouvoir pour deux valses de Frédéric Chopin. Deux valses hypnotisent l’assistance dans leur évidence et leur apparente dénuement (point de collègues alentour). La “Valse de l’adieu” en La bémol
- virevolte,
- s’émoustille de nostalgie et
- s’habille d’une noblesse que la réalité contredit complètement :
elle a servi trois fois au compositeur pour trois nanas différentes. L’exécution ne manque pourtant pas d’une dignité aguichante.
- La main gauche est d’une légèreté saisissante,
- la main droite arbore une clarté confondante, et
- l’interprète délivre une prestation qui affine avec délicatesse la complémentarité des différents segments.
La valse op. 34 n°1 s’acoquine par sa tonalité avec sa consœur. Son incipit fanfaronnant réinsuffle du dynamisme dans le concert. L’œuvre est servie par un interprète idéal pour valoriser
- son inclination au déséquilibre (pas que modulant),
- sa pulsation (pas que rythmique), et surtout
- sa jubilation devant les possibles du piano qui passionnaient tant le compositeur et qui s’actualisent à chaque exécution sur un piano moderne :
- spectre d’intensités,
- musicalité de la puissance,
- liberté des petits marteaux dans la célérité et
- poésie de l’ensemble des registres.
Les effets sont patents :
- émotion prégnante,
- sourire sporadique, et
- wow.
Tube sur tube, dans ce mitan jubilatoire : le baryton Laurent Arcaro hérite de la complainte de Mackie Messer, id est “le surineur”, un des highlights (pourtant ajouté in extremis…) de L’Opéra de Quat’ sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill qui peut avoir inspiré pour partie Pierrot la tendresse, un film dont on a surtout retenu la parfaite chanson-titre de Guy Béart. Le chanteur commence par se faire attendre – un problème de régie, nous souffle-t-on, que Tristan Pfaff tâche de tourner en gag avec la retenue qui ajoute en efficacité. Acteur revendiqué, le soliste essaye d’incarner davantage par le costume et la mise en scène que par le texte lui-même. Hélas, le sens des mouvements du chapeau iconique et peut-être inutile en la circonstance nous échappe ; et la nécessité de se rabattre par saccades vers le pupitre-prompteur annihile, à notre sens, toute velléité d’être le personnage – nous aurions suggéré, faute de mémorisation, de rester honnêtement face pupitre plutôt que de briser l’éventuelle illusion toutes les dix secondes. Aussi nous raccrochons-nous au plaisir de rrrréécouter la terrrrrible rengaine, habillée par l’élégance roublarde du piano.
Les hits s’enchaînent avec, cette fois, Marie Gautrot en vedette, chargée de porter “J’ai deux amants”, la pépite sertie dans L’Amour masqué d’André Messager sur un texte lucide partant très insultant pour nous autres, mâles cisgenres non déconstruits, claqué par Sacha Guitry. Au premier balcon, un connard utilise sa lampe-torche de portable pour vérifier si c’est bientôt fini puis pour lire son programme. Portée par un accompagnateur aux petits soins, la soliste, elle, se glisse avec sapidité dans le costume de la chanteuse d’opérette. Elle a les sens
- du tempo,
- de la respiration et
- du texte.
L’affaire est menée avec rondeur et habileté. Erminie Blondel propose d’enchaîner ce bonbon avec l’air incontournable de l’opérette Giuditta de Franz Lehar : “Meine Lippen, sie küssen so heiß”. Alors que son personnage essaye de réfréner ses pulsions érotiques afin de de s’y plonger plus voluptueusement encore, la soliste nous réjouit
- de ses jolis aigus,
- de son souffle sûr et même
- de sa tentation chorégraphique, audacieuse mais bien menée.
Sans que cela enlève à son mérite, force est de signaler qu’elle est remarquablement blottie dans un piano attentif, rendant fort gouleyants les accents hispanisants de la partition et les strass scintillants de la réduction pour clavier. Ce travail plié, Tristan Pfaff sort alors de scène au bras de sa comparse. Il est temps de reprendre souffle avant le dernier gros morceau du gâteau servi ce soir : le Café music, trio composé en 1987 par le pianiste Paul Schoenfield pour piano, violon et violoncelle…
À suivre !